A posteriori, il est tentant de voir dans les sitcoms AB Productions une sorte de préhistoire de la real-tv française. On peut en effet trouver de nombreux ponts entre les deux univers, à commencer par la starification foudroyante et éphémère de toute une cohorte d’anonymes propulsés à la Une des médias, rapidement plébiscités par le public mais méprisés parallèlement par l’ensemble de l’intelligentsia parisienne et médiatique.
Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Comme l’a démontré non sans malice l’universitaire François Jost, le concept « révolutionnaire » du Loft avait déjà été mis en pratique par AB : un casting de jeunes garçons et de jeunes filles sans talent particulier, plutôt beaux, le tout mis en scène à travers un scénario plus ou moins élaboré. La notoriété incroyable d’Hélène Rollès, Sébastien Roch ou encore Rochelle Redfield n’est ainsi pas sans rappeler les figures des années Loft : Loana, Jean-Edouard, Laure De Lattre et les autres.
En outre, les producteurs d’AB ont eu la brillante idée d’utiliser les véritables personnalités de ses comédiens pour l’écriture des sitcoms. Des anciens d’AB comme Fabien Remblier ou Jérémy Wulc ont pu ainsi nous raconter les fameux dîners de productions, dans lesquels Jean-Luc Azoulay « buvaient » les paroles de ses comédiens racontant leurs histoires de cœurs ou de culs.
Alimentée par l’organe officiel Télé Club Plus (et la presse complaisante du type Télé Star), la confusion alors est totale pour le (jeune) public. Tout est fait dans ce sens : des comédiens qui jouent des personnages ayant le même nom qu’eux, d’autres qui vivent des histoires d’amour dans la vie comme devant la caméra (avec souvent une part d’intox – voire d’hoax – propagée dans ces médias).
L’univers AB fonctionne en partie selon le même principe que la real-tv, dans un contexte de paranoïa généralisée et d’une Prod’ manipulatrice. Surtout, le fil conducteur qui unit les deux types de programme, c’est que celui qui a le dernier mot, c’est avant tout le public.
Et dans les 90’s, pour mesurer le degré de popularité de tel ou tel comédien, on fait encore appel aux lettres, dont la quantité reçue mesure le degré de popularité (et le cas échéant, précipite sa chute ou lui permet de poursuivre l’aventure au sein de la sitcom).
Les ventes de disques (car tout comédien qui se respecte se doit de chanter quelque chose, même la pire des merdes pondue par le duo Porry/Salesses) demeurent un excellent baromètre du succès d’une star AB.
L’ancêtre d’internet, le minitel, a eu aussi son rôle à jouer dans ce concours informel de celui qui sera la plus grosse star AB, décernant notamment les fameux « Club d’or » (avec un hilarant podium Dupray/Rippert/Michael Jackson).
Une sorte d’ancêtre du « Tapez 1 » pour sauver votre candidat préféré…