En 1996, le « son AB » a pris du plomb dans l’aile. Les albums des stars AB se font rares, ou ne marchent plus. C’est que la recette magique du mythique duo Gérard Salesses et Jean-François Porry a été usée jusqu’à la corde.
Pourtant, dans ce contexte peu propice à de nouvelles créations, une comédienne « neuve » de l’équipe AB, Annette Schreider, se lance à son tour dans la musique.
« C’est en regardant le Miracle de l’amour que Gérard Salesses a eu l’idée de me faire chanter »
Dans les deux seuls articles de presse qui ont mentionné cet immense apport pour le reste de l’humanité, Annette herself venait expliquer la genèse du drame à venir : « C’est en regardant le Miracle de l’amour que Gérard Salesses (…), a eu l’idée de me faire chanter. Comme je n’avais rien contre, j’ai tout de suite accepté sa proposition, emballé par le fait de tenter une nouvelle expérience. Un copain, Moïse, dit Ismo, et qui a travaillé avec Ary aussi, a écrit les paroles et quelques semaines plus tard, la chanson était née, enregistrée. » [1]
A l’instar de son collègue François Rocquelin qui a aussi osé un « rap » à la sauce AB Productions, Annette est donc à son tour « élue » par le dieu Gérard Salesses pour interpréter sa nouvelle composition.
On peut très facilement imaginer la scène. Gérard Salesses s’ouvrant une bonne bouteille de Fronton, s’allumant un petit pétard confectionné par Rémy des Musclés, pour découvrir les yeux ébahis qu’une Allemande « au look high-tech » tourne régulièrement dans une sitcom AB. Et là, le déclic. Il faut la produire pour qu’elle chante un « rap », puisque c’est le style apparemment à la mode en ce milieu de décennie.
Pour Télé Club Plus, le pitch du single est simple : « Annette ressemble vraiment à la pétillante Cynthia du Miracle de l’Amour. Comme elle, elle aime tenter des expériences et que les choses bougent autour d’elle. On lui propose de faire un disque et elle accepte aussitôt et cela donne Nobody’s perfect. Sur un rythme très dance, Annette vous entraîne pour faire la fête. »
Il semble assez délicat de justifier la pertinence de la production d’un tel single. Les journalistes de maison mère AB ne s’emmerdent pas vraiment à trouver de meilleures raisons que celle donnée dans ce numéro de Télé Club Plus : « Pourquoi pas faire un disque. Annette y pensait comme ça, pour rire, elle qui chantonne toute la journée ou presque, qui connaît tous les classiques du rap. »
De son côté, Annette cherche à mettre en avant cette image, tentant maladroitement de légitimer sa nouvelle « carrière » de chanteuse auprès du public : « J’ai besoin de me défouler, je fais beaucoup de sport et je peux danser toute la nuit. En boite, je m’éclate. » [2]
A priori, personne de fondamentalement sensé aurait envie de croire à une telle présentation. Mais Annette elle-même se prend au jeu, et semble accepter les conditions de ses producteurs : « La première fois que je me suis entendue chanter, j’ai encore traversé une période de trac et de doute car je me trouvais horrible. Puis je m’y suis habituée. »
« Un être qui s’habitue à tout, voilà, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme », écrivait Dostoïevski.
C’est dans cet esprit qu’il faut manifestement se laisser entraîner par l’esprit du groove et écouter le fameux single d’Annette S (qui n’avait donc pas osé sortir le titre son sous véritable patronyme ; ce qui prouve au passage l’intelligence de la comédienne qui avait vu la casserole (se) pointer).
« Elle s’appelle Annette, a un look high-tech, oui elle le sait, ce n’est pas correct, mais Nobody’s perfect ».
Voilà les mots qui résonnent dans les esgourdes de l’auditeur lambda à l’écoute du morceau. Et il faut le dire, il est presque vital d’avoir eu un correspondant allemand, ou simplement être alsacien, pour saisir la totalité des paroles de la chanson.
C’est que Annette exécute un rap compliqué, et présente un « défaut », que l’on ne peut pas vraiment lui reprocher : elle n’est définitivement pas française.
Certes, la néo-chanteuse a le mérite de posséder un brin de lucidité en reconnaissant les difficultés qu’elle a pu rencontrer dans le processus qui a conduit à la réalisation de son single : « Les paroles, il m’a fallu un mois pour les apprendre car, à mon grand regret, je ne maîtrise pas encore bien le français et en plus, je devais les chanter sur un rythme rapide (…) Il m’a bien fallu un mois pour me les mettre dans le crâne ! Il faut vraiment que j’améliore mon français. »
« J’étais terrorisée, me demandant bien ce que je faisais là mais ne pouvant plus reculer »
La galère a du donc être totale dans le studio d’AB Productions. C’est que Annette, en bonne perfectionniste, a voulu faire du « bon travail ».
Au moment d’enregistrer, la tension est alors à son paroxysme : « Là où j’ai vraiment eu le trac, c’est en poussant la porte du studio d’enregistrement. Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. J’étais terrorisée, me demandant bien ce que je faisais là mais ne pouvant plus reculer. Une première fois que je ne suis pas près d’oublier ! »
Heureusement, ses collaborateurs ont été visiblement solidaires : « Tout le monde a été adorable avec moi, Ismo me tenait la main, et rapidement je me suis sentie en confiance. Faire un disque est un vrai travail d’équipe et c’est une ambiance que j’aime particulièrement. »
Durant l’enregistrement, l’esprit du « rap » a néanmoins été corrompu par la volonté de Gérard Salesses de réaliser un titre plus dansant, bien ancré dans ce qui se faisait de pire dans les années 90 : la dance music. Pourtant, Annette semblait croire au travail de son producteur : « Il m’a fait écouter ce qu’il avait fait, c’était un rap vraiment sympa. »
Mais le rap n’est qu’un alibi Gérard Salesses, un Cheval de Troie machiavélique qui a pour seul objectif de convaincre une comédienne de pactiser avec lui. Car le « maître des synthés » d’AB a surtout décidé d’en faire un vulgaire tube de l’été.
Annette doit assez fatalement reconnaître que le résultat final est loin d’un morceau de pur rap : « Nous avons un peu changé la musique, pour en faire quelque chose de beaucoup plus dance. »
En 1996, Annette n’était plus la Cynthia du Miracle de l’Amour, mais la Cynthia des Vacances de l’Amour. Ce détail sémantique n’en est pas un. Annette était en plein tournage quand elle a du apprendre les paroles de la chanson, plus précisément en Jamaïque, une île propice pour les good vibes.
De même, le clip tourné pour accompagner le single a été réalisé dans les Caraïbes, ce qui accentue le charme estival du titre.
Si l’on souhaite analyser plus profondément la chanson, on peut la concevoir comme un autoportrait parodique d’Annette Schreiber, un trip mégalo assez lose.
Forcément consciente de son allure atypique, la comédienne s’amuse de sa propre image. « High-tech » car oui, Annette porte des pantalons en aluminium dans la série du Miracle de l’Amour. Elle possède un style « cosmique » plus ou moins à la mode dans les 90’s, mais que personne ou presque n’ose porter, même dans une sitcom AB.
(Sauf Virginie dans les Années Fac a tenté aussi des styles déviants, à base de jupes argentés ou des combis en vinyles, pour ses sorties au Nelly’s).
« Je me suis rasée le crâne le 31 décembre 1994 »
Mais Cynthia a un autre atout dans la manche de ses fringues dégueulasses, qu’elle clame avec fierté dans le single : « coupée court, cheveux platine ». Annette et les cheveux, c’est une longue et délicate histoire. En bonne allemande, Annette ne sait que faire de ses cheveux.
La volonté de se démarquer et le succès des Cranberries ont néanmoins fini par la convaincre de changer de coupe : « Je me suis rasée le crâne le 31 décembre 1994. Je voulais le faire depuis longtemps mais pour mon travail de mannequin ce n’était pas possible. Avant, j’avais les cheveux longs et bouclés ! Cette nouvelle coupe est le symbole de ma nouvelle vie qui s’ouvre aujourd’hui et qui correspond à ce que je suis vraiment. » [3]
Pour enfoncer le clou, Annette se permet même d’offrir quelques conseils aux lectrices de Télé Club Plus, pour les cinglées qui souhaiteraient copier ses aventures capillaires. Comme ce fut souvent le cas dans ce magazine, elle profite de l’occasion pour glisser le nom des marques qu’elle utilise : « Toutes les semaines, je vais chez le coiffeur pour entretenir ma couleur, et bien sur, ça me dessèche beaucoup les cheveux. Je suis donc obligée pour éviter « l’effet paille » de mettre une crème traitante tous les matins (INNE de l’Oréal). Et surtout, je n’utilise jamais de séchoir. »
Au final, Annette l’affirme haut et fort : elle est fière d’elle, de ce qu’elle représente, de « son monde » qu’elle dit avoir inventé.
Elle assume à 100 % son look androgyne crypto-lesbien et cyber-punk : « Je suis bien dans ma tête », répète-t-elle à qui veut l’entendre.
Et puis, de toute façon « personne n’est parfait » comme elle le souligne si bien.
- Musique : 4/5
Un son AOP garanti 100 % nineties. Ça groove, c’est « fonky » il y a des chœurs. On pourrait croire à une cover d’Ophélie Winter, c’est dire. Presque « perfect ».
Chant : 5/5
Associer l’accent germanique à un style hip hop, personne n’avait osé. Il a fallu que ce soit AB qui s’y colle. Le résultat est tout simplement merveilleux. L’accent d’Annette (avec le « a » de Annette aspiré), si insupportable dans le Miracle de l’Amour, devient ici un « miracle de la musique ». La combinaison est parfaite. Ich Bin ein Annetter, ach !
Paroles : 4/5
L’aspect psychédélique du titre est indéniablement porté par les paroles du « rap » d’Annette, où s’enchaînent les phrases cultes (« look high-tech ») et les lyrics incompréhensibles du type : « Je suis copine avec des groupes pour moi il faut que ça bouge, même si c’est pas toujours le cas. » (sérieusement ?)
Prestation & EspritAB : 2/5
Un clip qui a du coûter 1000F à tout casser, AB oblige. Annette se trémousse dans une piscine, inflige ses habituelles mimiques insupportables. Dommage de ne pas avoir plus d’esprit « Love Island », avec pourquoi pas un guest comme Olivier Sevestre qui aurait pu crever l’écran.
Total : 15/20
Avec « Nobody’s perfect », ça passe ou ça casse. A l’époque, le single s’est même fracassé. Il n’a pas du dépasser les 10 exemplaires. La chanson a assurément vieillie, prisonnière à jamais de son époque bénie, les années 90. Mais comme une bonne bouteille oubliée dans une cave allemande, le single d’Annette doit nécessairement devenir culte. Un monument du son AB Productions.
1- Annette n’est pas parfaite, Télé Club Plus, septembre 1996.
2- Elle chante aussi !, Dorothée Magazine, septembre 1996.
3- Télé Club Plus, décembre 1995.