Appelez-moi Tennessee, chronique d’une pièce avec Benoît Solès

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Chaque écrivain tout au long de sa vie exprime un seul thème. C’est la nécessité de compréhension, de tendresse et de persévérance dans l’infortune chez des individus traqués par les circonstances.
Tennessee Williams.

pice soles2Le dimanche 6 Février 2011, a lieu le premier grand rassemblement de sitcomologues sur Paris. Pour fêter dignement cette réunion, les sitcomologues ont décidé d’aller voir la pièce d’un comédien phare des sitcoms AB Productions : Benoit Solès. Nous avions déjà eu l’occasion d’interviewer le comédien pour le blog de la sitcomologie en 2009. Mais cette fois-ci, nous avons eu enfin l’occasion de voir Benoit dans son domaine de prédilection, le théâtre.

 

C’est dans le théâtre des Mathurins que les sitcomologues débarquent en ce beau dimanche d’hiver. Très vite, la tension monte car la gente féminine des sitcomologues semble en émoi à l’idée de rencontrer Benoît Solès, salué à l’unanimité comme l’un des plus beaux mecs des productions AB. Dans la file d’attente, une première constatation s’impose : nous serons les seuls jeunes dans le public. La population est plutôt digne d’un meeting de l’UMP : vieilles peaux, manteaux de fourrure, peacemaker et douce odeur de naphtaline… Dans cette assistance, la bande de joyeux sitcomologues qui est venue voir Christian de l’École des Passions, Jean-Marc des Années Bleues ou encore le bad boy en noir de Love Island, fait clairement tâche.

Nous faisons moins les malins quand nous entrons dans la salle. Benoît Solès est déjà là, tapant sur sa vieille machine, verre de whisky à la main et doux bruit des vagues en fond sonore. Nous nous mettons bien sur au premier rang, n’hésitant pas à pousser les vieux. Et là c’est le grand frisson : nous voyons enfin Benoît Solès à quelques centimètres. La sitcomologie vit déjà un grand moment.

Deux excellents comédiens. Oui, Benoit est toujours aussi beau.
Deux excellents comédiens. Oui, Benoît est toujours aussi beau.

Le pitch donne un aperçu de la construction de la pièce : « Octobre 1962. La guerre froide menace de dégénérer à tout instant. Alvin Baker, animateur vedette de talk show, rencontre ce jour Tennessee Williams. Entre « le vieux crocodile » et le journaliste ripoliné, le match va s’avérer de taille. » [1]

En effet, la pièce s’appuie sur le duo/duel entre deux comédiens : Benoît Soles, qui joue Tennessee Williams, le célèbre auteur de pièces de théâtre qui ont donné des films mythiques comme « La Rose tatouée » ou encore « La chatte sur un toit brûlant ». D’un autre côté, Frédéric Sahner joue Alvin Baker, un journaliste de télévision superficiel et conservateur. Pour le metteur en scène de la pièce Gilbert Pascal, celui-ci représente « l’Amérique triomphante, catholique et hétérosexuelle face à Tennessee qui incarne tout le contraire. Comme dans l’émission de David Frost – où Williams fera publiquement son coming-out –, il y a soudain comme un dérapage, et c’est ça qui est intéressant. On n’est pas dans le cas d’un journaliste qui « sert la soupe » à son invité. Ici, Tennessee, sous l’emprise de l’alcool et des médicaments (comme on a pu le voir en France avec Gainsbourg) a une attitude si décalée que le journaliste ne peut pas rester dans ses automatismes. Commence alors une discussion d’homme à homme, plus tendue mais aussi plus profonde. Une rencontre. » [2]

Amusant, les deux comédiens de la pièce se sont rencontrés... sur la sitcom "Le Groupe".
Amusant, les deux comédiens de la pièce se sont rencontrés… sur la sitcom « Le Groupe ».

Mieux que les sorties pathétiques de Gainsbourg, c’est avec la participation alcoolisée de Charles Bukowski à l’émission de Bouillon de Culture que nous serions tentés de rapprocher l’histoire de la pièce de Benoît Solès. En résulte une situation extrême, dans laquelle tout peut se passer : un auteur asocial, anarchiste et immoral qui se retrouve au cœur du très lisse système médiatique. Ainsi la pièce de Benoît Soles navigue entre la parodie d’interview télévisée et une biographie théâtrale. Frédéric Sahner joue (avec beaucoup de talent) toute une galerie de personnages, évoquant des souvenirs bien précis de la vie de Williams. On peut voir apparaître Marlon Brando, choisit pour tourner dans un Tramway nommé Désir.

Pour Benoît Solès : « Alvin est un jeune homme désirable, comme les aimait Tennessee – il disait qu’il ne pouvait pas écrire une pièce sans fantasmer sur l’un de ses personnages -, et tout au long de la pièce, l’auteur va revivre des rencontres marquantes de sa vie, en leur superposant le visage du journaliste. » La prestation de Benoît Solès ne nous a pas déçu, bien au contraire. Nous avions déjà souligné dans notre article sur l’École des Passions qu’il était intrinsèquement le meilleur comédien de la génération AB. Dans Tennessee, Solès nous offre un personnage au registre à la fois pathétique, poétique et comique. Cynique et froid, Tennessee s’ouvre au public en même temps qu’il se défonce à l’alcool et aux médicaments.

Le rythme de la pièce est soutenu, ponctué par des monologues lyriques où la noirceur de Tennessee paraît infinie. Et lors des rares moments de bonheur, la vie de l’écrivain se révèle dans toute son horreur. Le spectateur ne sait plus s’il faut rire ou pleurer quand Tennessee est abandonné par son petit ami, horrifié à l’idée d’être associé à un « pédé ». Drôle, la pièce l’est lorsque Benoît Solès nous montre Williams Tennessee désinhibé par l’alcool. Espiègle, il retrouve la bouteille cachée par le journaliste dans une scène d’anthologie qui n’est pas sans rappeler aux sitcomologues l’époque de Jean-Marc des Années Bleues.

Benoît Solès et sa moustache, une longue histoire d'amour.
Benoît Solès et sa moustache, une longue histoire d’amour.

Toute la gestuelle de Tennessee est aussi parfaitement réaliste. Solès a semble t-il beaucoup observé son personnage et ses manières de beatnik homosexuel : les jambes croisées, les regards, les mains, la bouche entre-ouverte. Au final, Benoît Solès a t-il quelque chose en lui de Tennessee ? Nous aurions tendance à dire que oui. Car pour les sitcomologues, il est l’inadapté, le solitaire, le marginal, l’homme en noir qui déjà, au Studio des Artistes,vivait son art entre souffrance et incompréhension. Il y a une suite logique à le voir jouer Tennessee Williams. Lui même semble avoir voulu écrire cette pièce en forme d’hommage : « Tennessee était détesté par les conservateurs qui ne voyaient dans son travail que des récits tendancieux, il était jugé subversif, provocant. La critique l’a d’abord encensé puis piétiné. Je voulais retracer son parcours avec lucidité, tendresse et j’espère, humour. »

Après une heure et demie de représentation, le premier rang composé des sitcomologues finit par offrir aux comédiens une standing-ovation méritée aux deux comédiens, alors que certains vieux finissent leurs siestes (on a eu peur d’avoir un décès avec une femme respirant tel Dark Vador). De plus, nous nous souviendrons longtemps que Benoît, après nous avoir regardé dans les yeux lors du final, affirmera avoir affaire à « un premier rang de qualité ». Certaines sitcomologues ne s’en sont toujours pas remises d’ailleurs…

C’est alors que nous décidons d’attendre Benoît à la sortie. Étonné de voir cette bande de jeunes, nous avons l’occasion de discuter tranquillement devant le théâtre de ses anciennes années AB, pour lesquelles il semble avoir une bienveillante nostalgie. Pas vraiment enthousiasmé par son passage dans la « Baie des Flamboyés » (sic), il avoue avoir été contacté pour les Les Mystères de l’Amour. Toutefois, ses activités théâtrales semblent être prioritaires pour lui.

Mais sait-on jamais, Carole Dechantre retrouvera peut être un jour son acolyte en noir ?

1- http://www.benoit-soles.com/

2- http://www.tatouvu.fr/w/wwa_FicheArti?id=2560&a=%2Fpublic

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