La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité.
Pablo Neruda
Après avoir épluché des centaines d’articles de Télé Club Plus, l’organe officiel d’AB Production durant les années sitcoms, les sitcomologues se devaient de connaître l’envers du décor de ce journalisme si particulier. Nous avons retrouvé une certaine Nathalie Crespeau, journaliste et auteur de nombreux articles à la gloire des productions AB. Interview sans langue de bois.
« Ils préféraient mettre Christophe Rippert sur quatre pages voire huit plutôt que de faire un papier sur les Worlds Appart ou n’importe qui d’autre »
Les sitcomologues : Quand avez-vous commencé à participer au journal Télé Club Plus ?
Nathalie Crespeau : Plus ou moins à sa création. Vers les premiers numéros en tout cas. A l’époque, je crois qu’ils en étaient à Premiers Baisers.
Les sitcomologues : Pour nous sitcomologues, Télé Club Plus est la Pravda d’AB Production : un journal destiné à la propagande AB, dans lequel chaque article, chaque interview doit servir la Cause. Partagez-vous cette analyse ?
NC : La Pravda, c’est beaucoup dire… Mais c’est vrai que tout devait être positif. Plus que « servir la cause », on avait la même politique que tous les mag pour ados : on parle des gens en bien, ou on n’en parle pas. La moindre critique nous amenait des centaines de lettres de protestation. Mais c’est vrai qu’il y avait un côté propagande. On parlait des séries AB et des chanteurs AB. On a eu du mal à parler d’autre chose et on a même failli louper la vague des boys bands par ce qu’ils préféraient mettre Christophe Rippert sur 4 pages voire 8 plutôt que de faire un papier sur les Worlds Appart ou n’importe qui d’autre.
Les sitcomologues : Quelle était la méthode de travail au sein du journal ? Qui décidait et quelle était votre propre marge de manœuvre quant au choix rédactionnel ?
NC : La méthode de travail était la même que dans tous les journaux. Même si on était estampillés AB, l’équipe était professionnelle. On venait tous d’horizons différents, de la presse télé entre autre. Tant que les sitcoms ont été fortes, on mettait un point d’honneur à faire un reportage par mois sur un comédien, et à parler des tournages, etc. C’était notre fonds de commerce et on aurait eu tort de s’en priver. Je peux te dire que s’ils avaient eu accès aux tournage autant que nous, les autres journaux en auraient fait autant.
En gros, on faisait en fonction du courrier qu’on recevait. Il y avait des périodes Rippert, ou Camille, ou Fabien. Puis ensuite ça a été la folie Hélène et les garçons et on a embrayé sur Hélène, Patrick, etc. Mais rarement les Musclés et Dorothée, parce que le lectorat était supposé plus âgé que le public du Club Do.
Les sitcomologues : Jean-Luc Azoulay donnait-il personnellement son avis ?
NC : Il donnait son avis à chaque parution. Il faisait confiance à la rédactrice en chef (qui avait été longtemps la rédac chef de Salut les copains). Les hors-séries se décidaient en haut, au plan des parutions. Pour le contenu, on nous laissait faire. On se faisait une réunion de rédaction et chacun apportait ses idées, ses angles. Même si la plupart du temps, c’était du genre qui aime qui.
« On se faisait souvent traiter de salopes par les fans qui nous voyaient passer avec leurs idoles »
Les sitcomologues : Christophe nous a dit lui-même que toutes les réponses étaient bidons dans ce genre de magazine. Vous confirmez ?
NC : Toutes les réponses, pas forcément. Ils se créaient des personnages, affirmaient être célibataires et enjolivaient la vérité. Mais à force de les interviewer, on faisait des recoupements et on finissait par leur faire cracher le morceau. C’était assez marrant d’ailleurs.
Les sitcomologues : Quand on relit vos interviews de Christophe Rippert, on sent une vraie complicité entre vous à travers les années. Réalité ou fausse impression ?
NC : Non, c’était plutôt vrai. Avec les comédiens, on se côtoyait tous les jours. Il m’arrivait de passer la journée sur le plateau, à les chopper entre deux séquences pour des interviews express. On partait régulièrement en reportage ensemble. Je crois bien être parti avec Christophe une semaine au Maroc, être allée chez lui une journée entière. Ça crée des liens ! On a passé pas mal de temps ensemble et on basait nos relations sur la confiance. On savait tous que chacun avait besoin de l’autre et quand ils nous racontaient des conneries, on prenait soin de les citer, pour leur laisser la responsabilité des mensonges qu’ils décidaient de raconter. On n’était pas dupes, mais c’était le jeu. Si je racontais ce que j’ai pu voir dans les soirées, dans les coulisses des concerts etc, il y a pas mal d’artistes qui perdraient toutes leurs fans. Ou alors je me ferais lyncher par les fans qui refuseraient de me croire. D’ailleurs, on se faisait souvent traiter de salopes par les fans qui nous voyaient passer avec leurs idoles.
« Il faut écrire beaucoup, vite et bien, en respectant ce que disent les gens qu’on interviewe et en restant politiquement correct »
Les sitcomologues : Comment jugez-vous l’attitude des comédiens et comédiennes AB de l’époque ? Avaient-ils la grosse tête ou étaient-ils déjà conscients de la fragilité de leur position ?
NC : Il n’y avait pas énormément de grosses têtes. Ca allait et ça venait, en fonction de leur notoriété et de leur fatigue. Je ne pense pas qu’ils avaient conscience de leur précarité. Ils bossaient comme des damnés, de 7/8h du matin à tard dans la nuit, ils ne voyaient presque pas la lumière du jour et leur seule récompense, c’était de signer des autographes et de voir leur tête en une des mag. Et de gagner de l’argent bien sûr ! Alors parfois oui, ça leur montait à la tête. Mais j’avoue que moi à leur place, j’aurais vraiment pété un plomb et que je les trouvais plutôt sains pour la plupart.
Certains se sont installés dans leur personnage et aimaient leur célébrité, d’autres comme Patrick Puydebat ou Philippe Vasseur avaient du mal avec ça. Mais c’est vrai que tous ont eu du mal à passer à autre chose. A part ça, ils ont toujours joué le jeu avec nous et accepté les interviews, les photos et tout ce qu’on leur demandait.
Les sitcomologues : Comment avez-vous vécu ces années sitcoms en tant que journaliste ?
NC : On avait nous aussi la tête dans le guidon. Je ne comprenais pas ce que les gens pouvaient trouver à ces séries que je trouvais débiles et sans intérêt. C’est en assistant aux concerts d’Hélène que j’ai compris la ferveur que les ados avaient pour elle et pour les sitcoms. Donc pour moi, c’était des années marrantes où on créait une relation de confiance avec les comédiens, pour travailler vite et monter des pages en rafale. Sinon, en tant que rédactrice, c’était une époque où on pissait de la copie et ça, c’est très formateur. Il faut écrire beaucoup, vite et bien, en respectant ce que disent les gens qu’on interviewe et en restant politiquement correcte. Tout un programme !
Les sitcomologues : Vous avez été grillée dans le milieu avec votre étiquette AB ?
NC : Non, parce qu’on a su prendre un virage avec Club Plus et passer à la musique hors AB. Contrairement à ce que tu as l’air de penser, Club Plus n’était pas regardé comme une grosse merde par le milieu : parce qu’on décrochait des exclus avec des artistes français et étrangers et parce qu’entre journalistes, on respecte le boulot. Le plus difficile, ça n’était pas l’étiquette AB, c’était l’étiquette presse ado. Les journaux spé, ceux qui aujourd’hui s’intéressent aux sitcoms nous prenaient pour des crétins. Pourtant, nos papiers servaient de base à tous les dossiers de presse tellement ils étaient complets.
« Depuis que Bernard Minet a commencé à faire les soirées étudiantes avec Bioman, je me doutais qu’il y aurait un revival sitcoms AB »
Les Sitcomologues : Que pensez-vous de notre démarche ? On reprend notamment vos vieilles interviews en les détournant…
NC : Je trouve ça marrant, ça évite de rester figé. Une fois qu’un papier est publié, il appartient aux autres. Si je n’avais écrit que sur des artistes que j’aime, je n’aurais pas écrit beaucoup. Qu’on critique ou qu’on détourne ne me dérange pas. J’estime avoir apporté toutes les infos possibles au moment où tout le monde en cherchait. C’est vrai que ça a un côté un peu cul-cul 10 ou 15 ans plus tard, mais on écrit en fonction de son lectorat et au moins, on a toujours veillé à écrire en bon français et à ne pas trop niveler par le bas. Après, un comédien de sitcom reste ce qu’il est.
LS : Enfin, dernièrement les sitcoms AB (re)deviennent hype… Vous l’attendiez ce retour ?
NC : Oui ! Depuis que Bernard Minet a commencé à faire les soirées étudiantes avec Bioman, il y a quelques années, je me doutais qu’il y aurait un revival sitcoms AB. C’est kitsch, c’est surjoué, mais ça n’a jamais été prétentieux. Donc ça a le goût des bonbecs de l’enfance.