Ever and Ever, les jumelles siamoises de l’horreur

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Alors les Jumelles en fait vous étiez quoi, plus… littéraires ?
Jean-Luc Delarue, Ça se discute 2008.

Dans toute bonne sitcom pour adolescent, il y a dans le casting un freak. En général, c’est un personnage à part, à qui l’on pourra tout faire, et qui doit en théorie engendrer des situations comiques.

Comme chez AB on aime innover, ce n’est pas un mais deux freaks qui débarquent dans la sitcom Premiers Baisers : les Jumelles Ever, Christine et Stéphanie. Elles incarnent Suzy et Suzon, deux amies de la cousine australienne de Justine, Debbie.

Deux freaks débarquent d'Australie au Collège de Premiers Baisers.
Alerte. Deux freaks débarquent d’Australie dans le collège de Premiers Baisers.

L’idée de mettre de véritables jumelles dans la sitcom phare s’inspire en réalité d’une autre sitcom AB, le Miel et les Abeilles, dans laquelle sévissent déjà les frères Noël. Jean-Luc Azoulay réitère et intègre les deux créatures dans la bande de Justine. Rebecca Dreyfus, qui prend la place laissée vacante par Justine, est ainsi accompagnée des Jumelles, annoncées comme des « canons » et des « rigolotes ».

Dès leur arrivée, c’est le drame. Les gags et le « comique de situation » sur le fait d’être jumelles s’enchaînent, non sans lourdeur, toujours ponctués par un « c’est normal, on est jumelles ». En effet, Suzy et Suzon s’avèrent être de véritables tarées, s’amusant par exemple à mettre de la glue sur tous les objets de la maison des Girard. Quant à leur style vestimentaire, on atteint probablement des sommets de mauvais goût, même dans les années 90.

« Suzon = bouton »

Pas évident de reconnaître qui est qui entre les deux sœurs merengues.
Pas évident de reconnaître qui est qui entre les deux sœurs merengues.

Dans son livre témoignage [1], Fabien Remblier, qui a longtemps eu le courage de côtoyer les Jumelles, nous raconte les délicats débuts des Ever : « Les Jumelles, que nous surnommions les « sœurs meringues » à cause de leur coiffure, étaient américaines. Presque parfaitement identiques, il nous fut difficile de les différencier pendant longtemps. Nous mélangions les prénoms de la série de leurs vrais prénoms. Puis vint le moyen mnémotechnique très simple pour savoir qui était Suzy et qui était Suzon : Suzy = i = Christine à cause des deux « i ». Suzon était Stéphanie. Restait à les différencier physiquement. Une longue observation permit de découvrir que l’une des deux avait un grain de beauté un peu gros sur le visage. Et pour tout le monde la solution était trouvée : Suzon = bouton, donc Suzon = Stéphanie. »

Les blagues sur les Jumelles surviennent alors à chaque épisode. Stéphanie en rigole encore aujourd’hui : « Sur le plateau, on s’amusait beaucoup et on ne pouvait s’empêcher de faire des blagues. Une fois on a échangé notre place et personne ne s’en est rendu compte ! » C’est normal, elles sont jumelles.

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Apparemment, c’est trop drôle d’être jumelles.

Si les Jumelles jouent le jeu à fond, elles sont aussi largement poussées à la faute par Jean-Luc Azoulay en personne, comme le reconnait Fabien Remblier : « JLA s’est beaucoup amusé avec les Jumelles. Il adorait les faire parler ensemble, la première commençant une phrase, la seconde la terminant. Bien évidemment, sur le papier, ce type d’effet peut être drôle, mais à tourner au quotidien, c’est déjà moins évident. S’ajoutait à cela les problèmes de maîtrise du français et l’effet tombait à plat un coup sur deux. »

Et effectivement, le résultat est plutôt catastrophique. On ne comprend pas toujours très bien ce que peuvent raconter les deux sœurs allumées du ciboulot. Et surtout, leur humour est à la limite de l’indécence, même dans une sitcom AB…

 « Il voulait nous apprendre le français, mais moi j’ai fait un blocage, je refusais de comprendre »

Il est vrai que les Jumelles ne sont pas vraiment pas aidées par le fait d’être étrangères. A la presse, Stéphanie raconte comment elles sont arrivées en France : « En fait, notre père est né à Toulon et s’est installé en Floride à l’âge de 20 ans. Il voulait nous apprendre le français, mais moi j’ai fait un blocage, je refusais de comprendre (…) Puis nous étions inscrites à l’Université de New-York, mais ça devenait vraiment trop cher pour notre père. Alors nous sommes venues en France pour six mois, le temps d’apprendre à parler français et de prendre des cours de théâtre. » [2]

L’amour de la comédie se ressent fortement chez les Jumelles. Il leur a donné une expérience non négligeable avant de tourner la sitcom : « A Miami nous habitions à côté d’un théâtre. Dès qu’il y avait un rôle, nous nous présentions à l’audition. L’avantage d’être deux, c’est qu’on pouvait alors jouer en alternance, l’une allait au théâtre pendant que l’autre allait à l’école. » C’est normal, elles sont jumelles.

"C'est normal, on est Jumelles".
« On a pas de copains. On a des boulots de merde. On est sapé comme des sacs poubelles. C’est normal, on est Jumelles ».

Mais c’est au lycée que les Jumelles ont fait leurs vrais débuts. Stéphanie se souvient avec tendresse de ces belles années : « Depuis l’âge de quinze ans, nous faisions du théâtre. Nous avons commencé à tourner avec une troupe qui jouait uniquement avec les enfants. Ensuite, nous avons monté une comédie musicale sur Cendrillon. C’est Christine qui avait écrit les textes des chansons. Enfin je l’avais un peu aidée ! Déjà nous étions très connues à Miami, là où nous sommes nées. De cette expérience datent les premières lettres de nos fans ! Christine avait aussi écrit une série de sketchs au lycée international de Sophia-Antipolis où nous avons passé notre bac. Il nous fallait raconter la première guerre mondiale. Christine est persuadée que grâce à nous, de nombreux élèves ont eu une bonne note au bac en histoire. Dans tout le lycée, on nous appelait les « Twinkles » (les deux étoiles qui scintillent). Les profs nous appelaient toujours comme ça et non pas par nos vrais prénoms ! D’ailleurs sur notre diplôme, notre pseudonyme est mentionné. On trouve ça génial ! » C’est normal, elles sont jumelles.

« Christine, c’est l’intellectuelle »

Si on peut émettre un doute concernant l’apport des Jumelles à une meilleure connaissance de l’histoire, force est de constater que Christine est la meneuse. C’est d’ailleurs pour cette raison que Stéphanie pouvait parler de sa sœur avec autant de respect : « Christine, c’est l’intellectuelle ! Ses amis sont très différents des miens. Ce sont tous des gens qui étaient avec nous au Cours Simon. Je commence seulement à les apprécier ! Christine se sent beaucoup plus comédienne que moi. Elle est vraiment faite pour le théâtre et se voit parfaitement jouer de grands rôles classiques. Au cours Simon, elle était déjà la spécialiste de Musset, Racine… Et son copain, c’est un comédien qui rêve de devenir metteur en scène. Elle n’aime que les personnages tragiques et les pièces dramatiques, alors que dans la vie je crois qu’elle est beaucoup plus drôle que moi ! Christine a toujours eu le goût de la scène. »

Ouais, y'a en une qui est intello.
Ouais, il y en a une sur deux qui serait intello. D’après l’autre.

Les Jumelles ont donc un CV léger, mais sont pleines d’ambitions lorsqu’elles débarquent en France. Avant de tomber dans les griffes d’AB production, elles travaillent dans un cabaret parisien. Elles y font un double travail. Elles chantent et servent les bières : « Pendant deux ans, toujours ensemble, on s’est prises pour Madonna, Marilyn Monroe… sur la scène d’un cabaret parisien. C’était une expérience plutôt amusante mais aussi assez fatigante parce qu’on était en même temps serveuses. Chanter, c’était génial mais servir pas top ! On en avait assez alors on est parties. » [3]

Découvertes par AB lors d’un banal casting, les Jumelles n’ont pourtant failli jamais connaître la joie de travailler dans la Maison du Bonheur, pour deux raisons. D’abord, c’est une simple question d’âge qui pose problème : « Au début, quand on est arrivé au casting, on savait qu’ils cherchaient des jumelles. Mais la femme au téléphone nous a dit qu’on était trop âgé. Alors on leur a dit qu’on faisait jeune et on est allé la voir. » [4]

Ensuite, les Jumelles ont un autre problème, bien plus grave. Une affaire de contrat. En effet, les deux chanteuses-serveuses avaient déjà été remarquées par un producteur, Bertrand Lepage, comme nous avons pu l’apprendre en 2014 par le site Génération Club Do. Dans cet entretien avec le journaliste du site officiel d’AB, on apprend que le producteur de Jackie Quartz souhaitait en effet produire un album des Jumelles, et refusait catégoriquement que ses nouvelles protégées puissent aller jouer les pisseuses dans la série Premiers Baisers. Mais si les Ever ont bien un rêve, c’est celui de jouer la comédie (et d’être célèbres, comme le reconnaît Stéphanie au micro du journaliste). Elles refusent donc les propositions financières de Bertrand Lepage, et adhèrent avec joie au projet AB. Fuck off !

« Monsieur Jean-Luc Azoulay nous a demandé si nous étions américaines. Il a trouvé ça dommage »

Passées toutes ces difficultés techniques, les Jumelles Ever peuvent enfin respirer, elles intègrent bel et bien le casting de Premiers Baisers. Néanmoins, si les sœurs Ever ont la chance de paraître jeune et ainsi être plus ou moins crédible dans des rôles d’adolescentes de quatorze ans, elles n’ont pas le bon passeport : « Je me rappelle le premier jour, quand on a fait le casting, Monsieur Jean-Luc Azoulay nous a demandé si nous étions américaines. Il a trouvé ça dommage et nous a dit qu’il allait nous rendre australiennes. Parce qu’il y avait déjà Rochelle dans la série Hélène et les Garçons, ça faisait trop américain, il fallait changer. » Ainsi, pour les besoins de la série, leurs personnages changent tout simplement de nationalité, dans la continuité des aventures de la famille Girard. Une histoire inaugurée par l’arrivée du pays des kangourous de Justine (la nièce de Framboisier). La nouvelle origine des Jumelles colle donc parfaitement au scénario.

Isa face aux deux photocopies.
Isa face aux deux photocopies.

On peut même se demander ce que représentait l’Australie dans l’esprit de JLA ? Probablement un pays exotique, que les téléspectateurs français de l’époque ne connaissait pas vraiment. Il faudra attendre la série Hartley Cœurs à Vif et les essais nucléaires de Chirac, pour dévoiler la culture de cet immense pays au grand public. Ce qui peut confirmer cette hypothèse de l’Australie comme contrée lointaine et propice à tout type de fantasmes, c’est la folie que les Jumelles vont dégager au fil des épisodes.

Les Ever ont ainsi l’apparence de deux sortes d’extra-terrestres, ne cessant de faire des références à leur pays d’origine, prétexte à toutes leurs excentricités. Les Jumelles se jettent alors sur tous les garçons, « parce que c’est comme ça qu’on fait en Australie », préparent des pseudo plats traditionnels qui font vomir leurs amis, ou encore fabriquent d’immondes gris-gris, que « tout le monde possède en Australie »…etc.
C’est normal, elles sont Australiennes.

« Michel Drucker a dit que Rose serait un tube »

Les Jumelles Ever ne résument pas à leurs personnages de Suzy et Suzon. Ce sont aussi des chanteuses, et elles sont bien décidées à profiter de leur nouvelle notoriété pour se lancer dans le grand bain, comme le rappelle Fabien Remblier : « Les Jumelles, comme les autres, chantaient. En fait, elles avaient même commencé à chanter avant de nous rejoindre et leur producteur flairant le bon coup, en profita pour faire sortir leur single sur l’un des labels d’AB. « Rose » fut le premier titre de l’album à sortir en single. Pour une fois on entendait quelque chose de nouveau chez AB. »

Grâce à la magie d'AB, les Jumelles ont pu réaliser leur plus grand rêve : celui de chanter.
Grâce à la magie d’AB, les Jumelles ont pu réaliser leur plus grand rêve : celui de chanter.

Cette nouveauté, c’est aussi et surtout que ce ne sont ni JLA, ni Gérard Salesses, qui sont aux commandes. Le single « Rose » est en effet écrit par une personnalité discrète mais influente de la chanson française, le mystérieux Jay Alanski. [5] Ce producteur d’origine belge, est notamment celui qui a osé lancer Lio et son légendaire tube 80’s « Banana Split ». D’ailleurs la chanson Rose aurait largement pu être destinée à l’idole portugaise.

La fameuse pochette qui fait encore honte aux Ever.
La fameuse pochette qui fait encore honte aux Ever.

Pour les Jumelles, « Rose » est l’aboutissement d’un autre rêve de jeune fille : sortir un album. Mais pourquoi un tel titre ? Selon Stéphanie Ever, « le rose est une couleur que nous aimons beaucoup. C’est une couleur flatteuse et qui représente l’espoir. Sur la pochette, tout est rose, avec un dragon, des anges en or qui jettent des pétales de rose. Il est très coloré et romantique, et nous sommes habillées par Chantal Thomas. ‘Rose’ est le titre phare de l’album. Tous les copains qui ont vu le clip ont adoré cette ambiance rose. Ce fut beaucoup de travail, mais très excitant à faire (…), d’ailleurs Michel Drucker a dit que ‘Rose’ serait un tube. » [6] C’est normal, c’est Michel Drucker.

Cette "danse" des Jumelles aura donc inspiré un clip 20 ans plus tard. Qui l'eut cru ?
Des danseuses de choc.

Pourtant, la genèse de l’album se révèle une fois de plus compliquée. Dans un premier temps, AB Productions refuse catégoriquement que l’album puisse paraître. N’étant pas frappé du sceau AB, le sortir irait totalement à l’encontre de l’idée communément admise que les comédiens doivent être des artistes 100% AB Productions. Finalement, après tractations, le disque voit le jour, mais sa gestion reste sous le « contrôle » d’AB. En outre, le succès commercial n’est pas au rendez-vous. Le single des Jumelles passe relativement inaperçu, comme le rappelle l’auteur des Années Sitcom : « Leur promo se limita à quelques passages télé, l’essentiel ayant lieu dans le Club Do et au Jacky Show. »

Toi Machin, retourner dans ton pays.
Toi Bidule, retourner dans ton pays.

Face à l’échec de l’album, et probablement lassé par les gags des Jumelles dans Premiers Baisers, JLA prend une grave décision. Pénalisées par leur français approximatif, peut-être aussi parce qu’elles faisaient peur aux enfants, le producteur décide en effet de virer les Jumelles de la série, en les renvoyant dans leur pays. Rebecca Dreyfus fait aussi les frais de ce grand bouleversement du casting de Premiers Baisers, remplacée illico par la revenante Camille Raymond. L’ère Virginie peut alors débuter.

« On est très contentes car notre rôle a évolué. On a changé de look, on ne porte plus nos robes à pois ou à fleurs ! »

Pourtant, la carrière AB des Jumelles ne va pas s’arrêter là. Désormais, elle se fera sous l’emprise totale de JLA. Le producteur entend bien reprendre le dossier « twins » en main et leur offrir le succès qu’elles méritent dans la chanson.

Parallèlement, le duo infernal fait son come-back surprise dans la sitcom. Les Ever se sont métamorphosées : « On est très contentes car notre rôle a évolué. On a changé de look, on ne porte plus nos robes à pois ou à fleurs ! On a aussi des copains et ça c’est plutôt bien ! Moi je sors avec Anthony et Suzon avec Fabien, mais ce n’est pas pour toujours ! On fait des tests pour savoir qui embrasse le mieux. Dans la série, on a enfin un appartement à nous et on gagne de l’argent en chantant. On fait des cadeaux à nos amoureux. La vraie vie quoi ! » Il est exact que les Jumelles sont un peu moins gamines que lors de leurs premières apparitions. Déjà, elles ne sont plus habillées de la même façon. Leur aspect freak diminue légèrement. Mais ce n’est pas pour autant que les personnages de Suzy et Suzon gagnent en consistance, ni en profondeur. Bien au contraire.

Le "lol jumelles" : échanger son partenaire lors des séances bisous...
Le spécial « lol » des jumelles : échanger son partenaire lors des habituelles séances bisous…

Contrairement à ce qu’elles affirment, elles n’ont jamais eu leur propre appartement, mais squattent comme d’habitude chez les Girard. Si elles ont enfin effectivement des boyfriends, les relations qu’elles développent avec les garçons se limitent à de simples bisous, bouches serrées contre bouches serrées. Anthony et Fabien, désignés volontaires pour se farcir les Jumelles, sont loin de mettre la langue.

En outre, les gags « twinesques » continuent comme avant. Peut-être un cran au-dessus, puisque les Jumelles s’éclatent, telles deux garces perverses, s’amusant à échanger leurs copains respectifs lors de défis scabreux. Enfin, on ne s’étendra pas sur leur atroce période hippie, ni sur leur ridicule numéro de chant et de danse en compagnie d’Ary, sous la « direction artistique » d’Annette. Car les Jumelles, à l’instar des autres « chanteurs » maisons, auront droit à une intense promotion de leurs activités musicales lors de nombreux épisodes de Premiers Baisers.

« Les mélodies nous plaisent autant que les paroles. C’est dans un style totalement 70’s, une musique qui nous correspond parfaitement »

Sur le front musical, les Jumelles son toujours aussi actives. Le nouvel album sorti en 1994 [en réalité, un Maxi de 3 titres], frappé cette fois du sceau AB Productions, a pour but de mettre « un peu de bonheur dans nos têtes. »

Non seulement elles sortent des disques, mais on nous impose les chansons des Jumelles dans les sitcoms. Criminel.
Non seulement elles sortent des disques, mais on nous impose les chansons des Jumelles dans les sitcoms. Criminel.

Les Jumelles racontent la genèse de cette nouvelle fournée, en commençant par la pochette : « On espère qu’il va mettre un peu de soleil dans l’hiver. Je crois que ce disque est à l’image de sa pochette, printanier. Nous sommes très contentes de cette photo, même si la séance a été un peu longue. On a d’abord acheté des kilos de marguerites avec Bertrand, notre agent. On préfère les tulipes, mais ce n’était pas la saison ! Arrivées au studio-photo, nous avons dû couper chacune des tiges, ensuite nous nous sommes allongées par terre. Le plus dur a été de ne pas bouger ! Je ne sais pas si j’aimerais recommencer (…), l’histoire du disque est aussi l’histoire d’une rencontre très sympa : Emmanuel. C’est un ami de Valérie Mélignon, Marie dans le Miel et les Abeilles. Nous nous sommes vus au spectacle d’Hélène, l’hiver dernier au Zénith. Le courant est tout de suite passé entre nous et voilà. C’est super. Les mélodies nous plaisent autant que les paroles. C’est dans un style totalement 70’s, une musique qui nous correspond parfaitement. »

« Nous nous sommes aperçues que lorsque nous écrivions en français, cela donnait un texte plat, à la limite du bêta ! »

Toutefois, le succès commercial n’est encore une fois pas au rendez-vous. Pourtant en 1995, avec un deuxième single AB, « Mets un peu de musique » (et le come-back d’un vieux titre comme « Seuls les Bonbons Mentent », single présent dans la légendaire compilation Génération AB), les sœurs Ever avaient un potentiel certain. Peut-on en conclure que les Jumelles Ever sont destinées à être des artistes incomprises, même vis-à-vis du « public AB » ? En tout cas, elles avaient déjà une grande lucidité sur leur propre cas : « Nous nous sommes aperçues que lorsque nous écrivions en français, cela donnait un texte plat, à la limite du bêta ! Encore une fois, on remercie de tout cœur Emmanuel, qui a su traduire exactement ce que nous voulions. C’est le rêve ! »

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Un début d’explication peut-être. Mais le grand problème des Jumelles est aussi à chercher du côté des chorégraphies, honteusement bâclées dans l’ensemble des clips. Pourtant, les Jumelles avaient transpiré pour nous offrir un tel résultat : « Nos chansons bougent aussi et on ne peut pas rester aussi raides que des piquets derrière notre micro ! Alors on danse. On a beaucoup travaillé et à la fin des cours, nous n’étions plus que des courbatures ambulantes ! »

« Les Norvégiens ne comprenaient rien car nous chantions trop vite (sic). On est sorties de scène au bord des larmes »

Lors de la tournée en compagnie des autres « chanteurs AB », les Jumelles connaissent les moments les plus pénibles de leurs carrières de chanteuses. Faire la première partie d’Anthony Dupray, qui est lui-même la première partie de Christophe Rippert, lui-même ouvrant celle d’Hélène Rollès, est déjà une mission a priori ardue.

"Alors, cette tournée en Norvège ?"
« Alors, cette petite tournée en Norvège, sympa ? »

Mais se faire lyncher par le public, qui plus est norvégien, restera à jamais gravé dans la mémoire des Jumelles : « Pour nous, les trois concerts de Bergen ont été très différents de ce que nous avions vécu à Berçy et pendant la tournée. Le public ne nous connaissait absolument pas et il nous a reçu, le premier soir, avec une certaine réserve. En plus nous pensions que c’était une très bonne idée de chanter « Da doo ron ron », puisque c’est le générique d’une émission très connue en Norvège. Eh bien nous nous étions trompées. Un vrai flop ! Ils ne comprenaient rien car nous chantions trop vite (sic). On est sorties de scène au bord des larmes. Heureusement, le lendemain c’était mieux et le troisième soir aussi ! Nous avons chanté plus lentement en mettant une pointe d’accent français dans notre anglais. Et tout le monde a chanté avec nous. Dès le lendemain, les gens nous demandaient des autographes dans les rues de Bergen. Cette expérience nous a appris beaucoup de choses sur les réactions du public et sur nous-mêmes. » [7]

« Jean-Luc devait considérer qu’elles étaient asexuées, tout comme il les considérait comme une seule entité »

Avec la fin programmée de Premiers Baisers, on peut légitimement se demander ce qu’allait faire JLA de ses Jumelles. Un retour au pays ? Un processus de normalisation de leurs personnages ? Rien de tout ça, comme l’explique non sans humour noir Fabien Remblier : « Tout comme Annette, les Jumelles subirent à peu près tout ce qui est possible de faire subir sur une série pour ados. Tout sauf une chose. Lors du passage aux Années Fac, alors que tous les personnages avaient dépassé le stade des bisous et que nous ne comptions plus les scènes de réveil à deux dans un lit qui suggéraient ce qui avait pu se passer avant, les Jumelles furent les seules à ne pas avoir de petit ami. Jean-Luc devait considérer qu’elles étaient asexuées, tout comme il les considérait comme une seule entité. »

Les Jumelles avec Marc et Jean. On se limitera aux bisous... ouf !
Les Jumelles avec Marc et Jean. On se limitera aux bisous… ouf !

Les propos de Fabien peuvent sembler durs, mais sont des faits. Certes, les Jumelles ont pu parfois avoir des petits amis, comme Marc et Jean, mais elles sont la plupart du temps célibataires, ou mal accompagnées (Ary et Serge). Par contre, ce sont les seules à vraiment travailler, en tant que serveuses de l’Alfredo’s Café.

Ainsi, comme souvent avec JLA, la fiction rejoint la réalité et les Jumelles revivent, avec le passage aux Années Fac, leur vie d’avant les tournages AB. Le tout avec des tenues trop courtes et très laides. Et pour enfoncer le clou, JLA prend un malin plaisir à mettre en scène les galères de nos chères Jumelles, exploitées par un vilain patron. Monsieur Alfredo, pas vraiment le genre de boss à offrir un CDI à ses employées, finit même par les virer lâchement. Après avoir traversé une bonne dépression, il faudra un boycott organisé par la bande de Justine et une invasion de loubards, pour que les deux Australiennes puissent enfin reprendre leur service à la cafète.

« JLA et ses sbires vont poursuivre cet acharnement scénaristique dans une troisième sitcom, les Années Bleues »

En outre, les serveuses-chanteuses sont manipulées par des producteurs véreux et voient leur pseudo carrière musicale avorter (un grand classique des scénarios AB). Ainsi, du début à la fin de la série, les Jumelles ne connaissent jamais la réussite, que ce soit dans la musique ou en amour. Elles ne vivent aucune relation sérieuse. La lose des Jumelles ira, à la fin des Années Fac, jusqu’à l’abandon apparemment définitif de toute possibilité de leur offrir des boyfriends. Une certaine idée de la maltraitance scénaristique.

Dur dur les râteaux.
Dur dur les râteaux.

JLA et ses sbires vont poursuivre cet « acharnement » scénaristique dans une troisième sitcom, les Années Bleues. On peut voir ainsi, dans un unique épisode, les Jumelles jouer les serveuses dans le Cyber Café (la nouvelle cafète). A croire qu’elles ne pouvaient pas faire autre chose. Peut-être parce que tout simplement, elles sont jumelles.

« Des adolescents pouvaient être très agressifs, nous sortaient des gros mots, nous disaient : vous êtes des débiles »

Que peuvent alors retenir les Jumelles d’une telle expérience chez AB ? Invitées par Jean-Luc Delarue dans l’émission « Ça se Discute », elles semblent à des années lumières des années AB. Revoyant les photos de Premiers Baisers, une des jumelles affirme, non sans mauvaise foi : « Ça fait dix ans que j’ai pas vu ça (sic), pas même pensé à ça (…), ça fait bizarre, c’est une autre vie, c’était il y a très loin. »

Même les Jumelles ont eu le droit à leur petite séquence "nostalgie" chez le père Delarue.
Même les Jumelles ont eu le droit à leur petite séquence « nostalgie » chez le père Delarue.

Mais les Jumelles admettent en avoir gardé un bon souvenir, surtout vis-à-vis des fans, très jeunes à l’époque : « Les enfants nous adoraient, surtout les petites filles. Elles nous amenaient des fleurs, venaient avec leurs copains. » Par contre, elles n’oublient pas le comportement de certains : « Des adolescents pouvaient être très agressifs, nous sortaient des gros mots, nous disaient : « Vous êtes des débiles. » Mais ça nous dérangeait pas, c’était une série, on savait que c’était juste des personnages. C’était vraiment pas nous. On avait 22 ans lors du premier épisode. »

Comme à son habitude, Jean-Luc Delarue insiste sur cette délicate question de « l’image AB ». Les Jumelles jouent alors la carte de l’honnêteté : « On était au courant que si on faisait des séries AB, il y allait avoir des problèmes au niveau de notre image. Juste le fait d’être jumelles. On savait que jouer séparément, ça n’allait pas être pour tout de suite. Mais on avait envie, ça nous a fait vraiment plaisir. »

« La liberté pour moi, c’est vivre sans Stéphanie »

Plus récemment, en 2014, Stéphanie a accepté de revenir sur son passé AB, pour le site Génération Club Do. Si elle refait le même coup du « je n’ai pas revu ces images depuis l’époque », on ne doute pas de sa sincérité quand elle revoit avec émotion les photos et les clips. En outre, Stéphanie apprend qu’il existe un petit revival des Jumelles Ever à la télévision grâce à l’inévitable Cyril Hanouna. L’animateur vedette de la chaîne D8 assume en effet être fan des chansons des Jumelles…

Aujourd’hui, les Jumelles ont pris des chemins différents. Déjà à l’époque, Christine faisait remarquer que le destin des deux sœurs finirait par se dissocier : « La liberté pour moi, c’est vivre sans Stéphanie. » Difficile d’être jumelles et de travailler ensemble, surtout dans un tel milieu. Désormais, Stéphanie vit à Levallois avec ses deux enfants et son mari, où ils tiennent ensemble un gîte. [8]

Christine, quant à elle, est agent artistique à New-York, s’occupe de comédiens pour des pubs et des voix-off. Elle est aussi maman d’un enfant. Parce qu’elles sont jumelles.


 

1- REMBLIER Fabien, Les Années sitcom, Mediacom, Paris, 2006
2- http://everandever.free.fr/
3- http://lesstarsab.free.fr/index.htm?/pbaisers/ever.htm
4- www.youtube.com/watch?v=UCQwxg5bSAs –
Les jumelles Suzy & Suzon : Dorothée Magazine n°173 / 5 Janvier 1993
5- http://www.evene.fr/celebre/biographie/jay-alansky-29960.php
6- http://heleneetlesgarcons.actifforum.com/les-acteurs-des-autres-series-ab-f19/articles-de-presse-divers-series-ab-t1055.htm?highlight=presse
7- Ils font chanter la Norvège : Téléclub Plus n°34 / Juin 1995
8- http://www.quesontilsdevenus.net/fiche,203.html

DiscussionUn commentaire

  1. Pour revenir sur la carrière de chanteuses des jumelles, il faut préciser que leur producteur, Betrand Le Page, était certes celui de Jakie Quartz, mais aussi celui de Mylène Farmer dans les années 80. Pour l’album des jumelles il fait appel à Dan Lacksman et Marc Moulin du groupe belge déjanté Telex (qui explore la musique électronique dans les années 70 et 80), mais également à d’autres « noms » du métier aux univers très éloignés des sons AB. En résulte un disque OVNI qui s’écoute encore bien aujourd’hui.
    Contrairement à ce que dit Fabien Remblier, Le Page n’a pas signé sur un label AB pour « Rose » (ça viendra un peu plus tard, en 94 avec le single ‘Tous un peu soleil ») qui est distribué par WEA et n’a donc pas l’image AB ce qui permet aux jumelles de faire de la promo sur d’autres chaînes. On les voit à « Sacrée soirée » mais aussi dans « Le monde est à vous » sur France 2 ou « 40° à l’ombre » sur France 3, entre autres, avec une chorégraphie signée Christophe Danchaud, danseur et chorégraphe de Mylène Farmer.
    Le single « Rose », s’il n’a pas été un tube, a eu tout de même son petit moment de gloire et s’est même classé deux semaines au Top 50, ce qui fut assez rarement le cas des singles des comédiens-chanteurs AB qui pullulaient à l’époque (seuls Hélène, Christophe Rippert, Sébastien Roch et Manuela seront classés).

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