Après avoir analysé la sitcom Élisa Un Roman Photo, après avoir eu la chance d’interviewer quelques comédiens, les sitcomologues avaient à cœur de rencontrer les hommes de l’ombre. Ceux qui derrière l’écran ont réussi à créer cet « univers AB » que nous aimons tant. C’est chose faite avec Cecil Maury, qui est probablement le plus charismatique des scénaristes ayant travaillé pour AB.
Véritable couteau suisse (musicien, chanteur, réalisateur…etc), Cecil a beaucoup vu, beaucoup vécu. Il a tiré de toutes ces expériences la matière pour l’écriture de la sitcom culte Élisa au côté de son ami Daniel Moyne.
Pour les sitcomologues, il s’est livré à fond dans cet entretien, même si nous n’avons pas toujours été tendres avec sa production. Nous le remercions ici chaleureusement et lui souhaitons beaucoup de réussite dans ses projets actuels.
« A Miami j’étais aux premières loges pour voir débarquer ces filles, leurs rêves et leurs drames »
Les Sitcomologues : Quel a été votre parcours avant d’entrer chez AB ?
Cecil Maury : Là cette question mérite une longue réponse, je vous conseille de trouver tous les éléments nécessaires sur mon LinkedIn vous y trouverez une présentation façon C.V, si vous voyez ce que je veux dire… (ndlr : effectivement, le C.V. est parlant)
LS : Comment êtes-vous devenu scénariste ?
CM : D’abord parce que je suis fan de Michel Audiard et d’Alfred Hitchcock, et en suivant des cours d’écriture.
LS : Parlez-nous de votre collaboration avec Daniel Moyne, le créateur d’Élisa un Roman Photo…
CM : Daniel Moyne est un ami de longue date, je l’ai connu lorsque j’étais jeune chanteur et qu’il était journaliste de presse Jeune. Je vivais aux USA et on s’appelait chaque semaine. Au début, c’était juste pour savoir comment l’un et l’autre allait, pour parler de projets musicaux à réaliser. C’était la grande période des stars mannequins et toutes les jeunes filles passaient castings sur castings, dans l’espoir d’être choisies par le sacro-saint booker d’Agence. Personnellement, à Miami, j’étais aux premières loges pour voir débarquer ces filles et leurs rêves et leurs drames. Daniel avait l’idée de créer un personnage d’une fille de français moyen qui devenait un Top (il avait été un témoin privilégié de l’ascension de Sophie Marceau avec la Boum) Il en a parlé à Jean-Luc Azoulay, l’idée a séduit.
Alors, je me suis mis au travail. Comme là-bas, j’avais toutes les chaînes hispaniques, je voyais toutes les télénovelas, j’ai suggéré que plutôt que de faire des épisodes fermés, nous produisions des épisodes à suivre et l’idée de la remise au goût du jour du Roman Photo télévisuel est né (non sans peine pour les chaînes françaises.) Daniel écrivait les synopsis de chaque épisode, c’est-à-dire grosso modo vers quoi nous nous dirigions et moi je mettais en scène et en dialogue tout cela….Avec le gimmick : « J’suis Vert » d’un des personnages qui n’a pas été toujours compris.
« Dans les Tontons Flingueurs il y a » Yes Sir »…. Dans Élisa il y a « J’suis vert… » Pas les mêmes conditions de tournage, pas les mêmes comédiens et surtout pas le même dialoguiste…. n’est pas Audiard qui veut. Pourtant c’était du pain béni pour le déroulé de l’histoire… »
LS : Mais alors pouvez-nous donner une explication au « j’suis vert » d’Hervé Noël ?
CM : Gimmick… Dans les Tontons Flingueurs il y a » Yes Sir »…. Dans Élisa il y a « J’suis vert… » Pas les mêmes conditions de tournage, pas les mêmes comédiens et surtout pas le même dialoguiste…. n’est pas Audiard qui veut. Pourtant c’était du pain béni pour le déroulé de l’histoire…
LS : Jean-Luc Azoulay est crédité dans Élisa en tant que producteur. A-t-il toutefois participé à l’écriture de la série ?
CM : Non mais Jean-Luc corrigeait tout car il avait une vision de la diffusion et surtout, il était le tampon du diffuseur. Je le remercie encore de nous avoir laissé enterrer la cafet au profit du bar et le scotch au profit du jus de fruit….
« Tout le mécanisme des personnages me parait logique dans leur interaction, pour ce que je m’en souviens… »
LS : Dans notre article sur Élisa un Roman Photo, nous avons mis l’accent sur la complexité relative de la sitcom. Vous partagez cette analyse : trop d’intrigues et de personnages ?
CM : Non….C’était une série plus adulte, puisqu’elle parlait d’un monde d’adultes, mais auquel ces jeunes gens étaient confrontés. Pas de fac, pas de lycée, pas de cours de théâtre ou autre, mais le monde dramatique de la concurrence et du travail…..Si vous voyez la série maintenant dans sa continuité, même si cela a vieilli, tout le mécanisme des personnages me parait logique dans leur interaction, pour ce que je m’en souviens….
LS : Certes mais par exemple, le personnage d’Élisa n’est pas vraiment développé : pas de relations amoureuses, pas de prises de têtes. Elle est encore plus chiante qu’Hélène. Manque de charisme de la comédienne ou choix des scénaristes ?
CM : Le casting concernant Élisa a été un vrai casse-tête….. L’idée de Daniel qui était très bonne, consistait à montrer qu’une française moyenne pouvait devenir sublime en se transformant au contact d’un métier sublimant la beauté de la femme. Il fallait en outre que ce soit une excellente comédienne, puisque l’histoire reposait sur ses épaules… JLA a statué sur le choix de la comédienne. Agatha se bonifiait au fil des épisodes, et Daniel et moi nous adaptions le scénario en allégeant son rôle, comme pour une période de « chauffe » dramatique… Agatha prenait sa place et son importance peu à peu… Nous avons peut-être été présomptueux, il a fallu finir la série avant terme…
LS : Et comment jugez-vous le niveau des autres comédiens ? Vous avez eu votre mot aux castings?
CM : Je ne me permets pas de juger le niveau des comédiens. Et compte tenu du rythme imposé des tournages, beaucoup n’ont pas eu la part facile….. En revanche, je prenais beaucoup de plaisir à écrire pour des comédiens tel qu’Omnes, Sylvie Weber, Delphine Malachard, Alexis Dupuy et Alice Evans….. C’était fluide…..! Daniel Moyne et moi-même étions présents à toutes les séances de casting que nous proposait Aude Messean. Nous faisions même des heures supplémentaires dans toutes les boites à la mode de Paris. Pour l’anecdote, j’ai même eu vent qu’un malin se faisait passer pour moi pour draguer des filles aux Bains…! Bref, oui nous étions aux castings, mais Jean-Luc Azoulay (et c’est normal) statuait.
LS : Élisa traite de la mode. C’est un milieu que vous connaissiez bien ? Vous vous êtes inspirés d’autres sources ?
CM : Oui, life is life, c’est un milieu que je connais sur le bout des doigts….! No comments…..
« La musique d’Élisa était le concept suivant….On filmait des jolies filles et la musique était aussi importante que l’image… »
LS : Vous êtes aussi crédité aux musiques d’Élisa, qui donnent une atmosphère toute particulière à la sitcom. Vous avez eu carte blanche ? Mais c’est qui Jax ?
CM : Vous me parlez musique..! Je vous préviens, cela va être long et chiant pour certains..! Quand Daniel Moyne m’a demandé de rentrer à Paris, sa Bible et les trois premiers épisodes d’Élisa ayant été retenus par Jean-Luc Azoulay, je vivais avec une mannequine américaine à Jacksonville en Floride. JAX pour les Américains.
A mon arrivée en France, lors d’une soirée je rencontre Oliver Olivarius programmateur et DJ Stiff. Soirée arrosée et coup de foudre amical, je les embauche tout de suite pour l’aventure… Notre nom de Guerre: JAX. La Musique d’Élisa était le concept suivant…On filmait des jolies filles et la musique était aussi importante que l’image…Un long Clip…Jean-Luc Azoulay m’a suivi dans ce concept et je l’en remercie…D’autres n’ont pas compris et trouvaient qu’il n’y avait pas assez de textes du style: » Tu vas rejoindre Élisa ? » « Oui... » » Tu as rendez-vous ?.. » « Non, je vais lui faire la surprise » « Ho la la… Elle va être contente... » Non, nous, Laurent montait dans sa caisse « Salut…A plus… »
Et musique à donf, traveling dans Paris…On nous coupait au bout de dix secondes ; il ne se passe rien..!
Jean-Luc Azoulay n’a pas eu le rôle facile avec les diffuseurs. Oui, j’ai eu carte blanche, j’ai perdu ma carte verte, et j’ai composé au jour le jour toute la BO d’Élisa. Quant à l’Américaine…Elle s’est vite consolée de mon absence.
« Je tenais aussi à une histoire d’amour homo… Si vous regardez bien, trouvez avant nous, du moins en France, deux mecs qui s’embrassent et qui parlent d’amour dans une série française, qui plus est dans une série dédiée au jeune public »
LS : En tant que musicien, vous vous réclamez de quelles influences ?
CM : Mes seules influences sont Bach, Mozart, Bowie,Stravinsky,Wagner, Beach Boys, ACDC, Sex Pistols pour la Musique, DYLAN, BOWIE, IVES, pour les Lyrics et Dutronc, Bowie, Jagger, K. Richards pour le Rock’n’roll.
LS : Pour en revenir aux autres comédiens, il y a quelques cas à part. Commençons par Omnès, qui est… spécial. Nous avons pu interviewer le comédien qui dit s’être beaucoup amusé avec ce personnage. Vous aussi apparemment ?
CM : Omnès est un très bon comédien et un garçon intelligent et très attachant. La Cage aux Folles, ça marche toujours chez les hétéros… C’est un exutoire…Je m’en suis servi avec mes petits moyens pour faire light et rigolo, mais je tenais aussi à une histoire d’amour homo… Si vous regardez bien, trouvez avant nous, du moins en France, deux mecs qui s’embrassent et qui parlent d’amour dans une série française, qui plus est dans une série dédiée au jeune public… Merci Jean-Luc de m’avoir suivi là-dessus. Le personnage d’Omnès, c’est Monsieur Loyal… Le clown blanc, la voix Off… Tout se dit en feux d’artifices…
Si la série avait eu beaucoup plus de succès et n’avait pas été arrêtée par la chaîne, c’est son personnage attachant fragile/fort qui aurait aidé à la compréhension de l’histoire… Et pour répondre à votre question, OUI je me suis bien fendu la gueule avec le personnage d’Omnès et avec le comédien d’une intelligence et une subtilité rare. J’espère qu’il va bien et qu’il travaille avec succès autre que dans le rôle que nous lui avions attribué…
« Je voudrais attirer votre attention sur les scores d’audimat qui n’ont jamais été minables, malgré les différents horaires, les différents formats… »
LS : Nous avons pu noter quelques personnages secondaires étranges dans la sitcom. Tout d’abord celui de Lemon, incarné par Corentin Koskas. Pourquoi l’avoir abandonné, il y avait du potentiel ? Et le guest Julien Courbet, comment est-il arrivé dans la sitcom ?
CM : …Corentin…Excellent comédien au grand instinct… Il nous fallait un nouveau personnage car on sentait le rythme passé de 90 à 55…On l’a choisi et c’était une réussite…Il est venu trop tard…La chaîne en a décidé autrement, sinon je vous promets…Quel Bordel…
Julien, d’abord c’est un copain, on travaillait ensemble chez Louvin et voulait rejouer la comédie…En outre, c’était notre volonté de faire intervenir des guests connus dans cet univers de fiction qui traitait de la vie réelle. Julien a joué le jeu et plutôt bien…Là encore la chaîne a avorté la suite…Pourtant, il y avait d’autres guests et pas des moindres… A ce stade de votre interview, Élisa est peut-être un échec comme vous le décrivez dans votre Blog,et comme je suis en pole position j’en suis certainement responsable, néanmoins, je voudrais attirer votre attention sur les scores d’audimat qui n’ont jamais été minables, malgré les différents horaires, les différents formats etc…
Oui, nous avons dit des Gros mots, oui, nous avons montré des filles dénudées, oui, nous fumions des cigarettes, oui les personnages buvaient de l’alcool, pas vous, heureusement, oui il y avait des noirs , oui il y avait des beurs, oui, les garçons s’embrassaient sur la bouche, oui, il y avait de la musique partout…Oui, nous filmions en extérieur, même à l’étranger… à Deauville, à Paris. Un personnage aurait pu dire quoi que ce soit sur n’importe quoi…Cette série sans être tout à fait Rock’n Roll était vivante/incontrôlable…Mais, Jean-Luc Azoulay en vieux briscard et grand producteur avait la main douce, mais ferme pour contrôler tout cela. J’en profite pour le remercier pour sa confiance et le courage de sa production.
« Élisa n’était pas programmé pour avoir une fin »
LS : Enfin notre grande déception est l’absence de fin de la sitcom. Est-ce que vous pourriez en exclusivité pour le site de la sitcomologie nous dire quelle était votre idée de fin ? Clara revient-elle ou Laurent finit-il avec Élisa ?
CM : Élisa n’était pas programmé pour avoir une Fin…Personne ni Daniel, ni moi ne saurions dire là où nous allions…De fait nous écrivions avec juste 48H d’avance…Le dernier épisode diffusé est en fait le résultat des bruits de couloir que nous percevions…Il était question de cesser la diffusion…
LS : Il y a une vie après AB, mais vous avez gardé des liens avec des anciens collègues ?
CM : Oui il y a une vie après AB et je l’espère pour tous. Ça a été très intense pour moi pendant plus d’un an, écriture/Composition/Tournage/ Montage tout cela quotidiennement, mais très enrichissant. L’esprit d’équipe ressemblait à ce que je connaissais des longues tournées de concerts. C’était une grande communauté joyeuse avec ses drames et tout le monde travaillait…Élisa était une petite PME qui frôlait la centaine de personnes rémunérées… Trop cher, la sitcom a été remplacé par les chaînes, par des caméras fixes dans des bulles…Quant aux dialogues et au rythme, même si les sitcoms pouvaient être critiquables, parfois…Avec la télé-réalité, nous avons touché le fond. La fin d’Élisa a donné lieu à une fête d’adieu triste…Nous savions qu’une page était tournée. Pour ma part je suis resté très ami avec Daniel Moyne, bien évidemment, Jean-Luc Azoulay, Julien Courbet et Delphine Malachard. Je revois bien sûr épisodiquement sur les tournages de TV les techniciens et je m’aperçois qu’Élisa a laissé un grand souvenir pour tous.
Aujourd’hui, Cecil Maury est le mari/producteur d’Olivia Adriaco. Son single Mercedes Benz vient d’ailleurs de sortir. C’est une chouette cover de Janis Joplin, avec la patte Maury bien sur : puissance, électrification, murs de guitare. Du bon son.