Laurent Perriot, technicien & réalisateur chez AB Productions

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J’avoue avoir eu un frisson quand Dorothée est remontée sur scène à l’Olympia…Voir tout ce public quasi en transe c’était très impressionnant.
Laurent Perriot

Un des nombreux hommes de l'ombre d'AB.
Un des nombreux hommes de l’ombre d’AB.

Les sitcomologues : Laurent Perriot, quel a été votre parcours avant d’entrer dans la maison du bonheur ?
Laurent Perriot : J’ai démarré en 1989 en tant qu’assistant vidéo sur des séries télévisées de 30mn pour TF1 qui s’appelaient « Intrigues » et « Mésaventures » et dont le directeur de collection était Abder Isker. La prestation technique était assurée par une société Monégasque CAUDIM. J’y ai beaucoup appris pendant 3 ans (sans doute plus que lors de ma seule année passée à l’ESRA). J’y ai rencontré de bons techniciens qui m’ont formé sur « le tas » et j’ai aussi eu la chance de collaborer avec de grands noms de la direction photographie tels que Maurice Fellous, Didier Tarot et d’autres. J’y ai fait mes premières armes en tant qu’ingénieur de la vision. A l’arrêt de ces séries, je me suis retrouvé sans boulot et j’ai postulé chez AB début 1992… c’est un certain Jean Marc Fonseca qui m’a engagé, vous voyez de qui je veux parler ? (rires)

« J’ai beaucoup appris avec Pat Le Guen »

Les sitcomologues : Dans votre bio, on peut lire que vous avez été ingénieur de la vision au Club Dorothée. Selon wikipédia, l’ingénieur de la vision doit être le « responsable de la qualité de l’image télévisuelle ; le technicien va sur le plateau avant le début de l’émission pour régler les caméras en fonction des paramètres techniques établis par le directeur de la photographie, et obtenir ainsi des contrastes équilibrés, des couleurs pas trop prononcées, etc. Il s’assure au passage que toutes les caméras sont « raccord » entre elles, afin d’éviter des images et des couleurs trop différentes d’un plan à l’autre. Il peut aussi placer des filtres sur les caméras pour atténuer la fatigue sur un visage ou pour gommer quelques rides. »
Alors, c’était pas trop difficile d’être le responsable de la qualité de l’image du Club Do ?

LP : La définition de wikipédia (comme beaucoup de choses sur Wikipédia d’ailleurs) est assez approximative… car en ce qui concerne les couleurs pas trop prononcées, c’est le contraire que nous recherchions à l’époque sur les productions AB…. En effet mon travail concernait l’étalonnage des caméras donc les raccords colorimétrie, le niveau du « diaph », les niveaux de noir, la tonalité de l’image et saturation de la couleur et aussi le niveau de détails… J’ai commencé sur les sitcoms AB (que j’ai tous fais d’ailleurs, en alternance avec d’autres collègues ingénieurs vision). Le mot d’ordre était : « tout le monde doit être beau » les peaux couleur pêche, l’image lumineuse. Ce résultat était obtenu par trois « entités » : le directeur de la photographie qui met en lumière les décors et les comédiens, l’ingénieur de la vision qui suit les observations et demandes du directeur de la photographie et les maquilleuses.

Fin 1993, après près de deux années passés sur les sitcoms, l’ingénieur vision du Club Dorothée (Michel Mouly) allant devenir directeur technique adjoint et bras droit de Jean Marc Fonseca, on m’a alors proposé de lui succéder (j’étais pourtant le plus jeune des ingénieurs vision salariés d’AB à l’époque, mais les plus anciens n’avaient ni l’envie ou le courage d’aller se frotter au Club Dorothée et à Pat Le Guen… pour info j’avais 26 ans en 1994), ce que j’ai très vite accepté. A l’époque rejoindre l’équipe du Club DO était vu, par certains, comme le Saint Graal….(rires). Ce qui me valut aussi un peu de jalousie dans les couloirs… Moi je n’ai jamais empêché qui que ce soit d’y aller, j’ai juste eu le courage de dire oui alors que d’autres non…

Sur le Club Dorothée je faisais quasiment le même travail que sur les sitcoms sauf que c’était du direct (donc pas de droit à l’erreur), qu’il y avait beaucoup plus de caméras à raccorder et que nous faisions des variétés donc un lumière différente et beaucoup moins stable que sur un sitcom. Cela à été une excellente école qui me servait sur les Bercy de Dorothée et m’a aidé plus tard notamment sur la « Star Académy ».
J’avais toujours pour soucis de mettre Dorothée et les autres animateurs et invités en valeurs à l’image. Je gérais également tous les trucages en direct, le logo animé Club Dorothée, les effets à l’image sur les variétés. J’ai beaucoup appris avec Pat Le Guen.

Les sitcomologues : Votre patron était Jean-Marc Fonseca, qui nous a fait l’honneur d’un long entretien. C’était comment de travailler avec le capitaine du vaisseau AB ?

LP : Jean Marc est un sacré personnage pour lequel j’ai toujours eu beaucoup d’affection et de respect, je ne lui cire pas les pompes puisque je ne bosse plus pour lui désormais… (rires) Un vrai mercenaire de l’audiovisuel Jean-Marc, il avait aussi le talent de mettre en place des systèmes et de former des équipes. Lui aussi m’a beaucoup appris… J’ai une anecdote : Jean-Marc est originaire de la région niçoise, et j’ai grandi dans cet même région, il connaissait aussi mes anciens « patrons » du CAUDIM… Je pense que cela à joué un rôle favorable dans mon entrée chez AB…

Les sitcomologues : Vous avez aussi remplacé le mythique Pat Le Guen à la réalisation du Club Do. Quelques anecdotes à nous raconter sur ces expériences à priori assez stressantes ?

Dorothée, l'objet fétiche de tous les réalisateurs d'AB.
Dorothée, l’objet fétiche de tous les réalisateurs d’AB.

LP : Pat Le Guen avait la réputation (parfois justifiée) de ne pas être quelqu’un de toujours très facile. Pourtant je n’ai jamais eu le moindre problème avec lui et nos relations professionnelles ont été toujours très bonnes… Bien sûr c’était lui le grand patron du Club Dorothée et il savait ce qu’il voulait lors de ses réalisations. Une fois encore il y avait beaucoup à apprendre avec un réalisateur comme lui (qui avait été pendant des années l’assistant de Jean Christophe Averty, un grand nom de la télé). A son contact et à force de travailler avec lui, le goût de réaliser m’est venu… Je connaissais tellement la mécanique du Club Dorothée, qu’il m’a proposé, appuyé par Dorothée, de le remplacer lorsqu’il devait s’absenter pour réaliser Les Vacances de l’Amour à Saint Martin. Oui réaliser le Club DO était quelque chose de très stressant, une grande responsabilité… Les nuits qui précédaient mes réalisations étaient mauvaises et j’avais souvent mal à l’estomac pendant l’antenne… mais c’était aussi très grisant. Dorothée et l’équipe ne manquait pas de me taquiner mais toujours avec humour et tendresse. J’ai toujours gardé contact avec Pat… et nous avons retravaillé avec plaisir ensemble sur l’Olympia de Dorothée et Bercy le 18 décembre dernier. Je ne veux pas avoir l’air consensuel mais j’aime beaucoup Pat… On ne passe pas quasiment 10 ans à travailler avec des personnes sans que l’affectif s’en mêle. Je ne garde vraiment que de bons souvenirs de cette époque même si cela représentait beaucoup de travail.

Les sitcomologues : Avant cette interview, vous nous avez confié avoir travaillé sur des sitcoms AB. Pouvez-vous nous raconter l’ambiance sur les tournages entre les techniciens et les comédiens ?

LP : On se marrait beaucoup surtout sur Salut les Musclés ou Premiers Baisers, vous savez, il y avait beaucoup d’occasions de rire … les « savonnages » (quand un comédien ne dit pas correctement le texte), même si l’ambiance était au boulot, il y avait toujours quelqu’un pour sortir une vanne… Nous vivions tous un peu ensemble vu le nombre d’heures où nous étions ensemble par semaine… Nous nous connaissions tous très bien, techniciens, comédiens. Il y avait beaucoup de complicité. Bien sûr par affinité, tout le monde ne s’entendait pas forcément avec tout le monde. Fabien Remblier était un de mes potes à l’époque (nous sommes toujours en contact), on a aussi pas mal fait « la foire » avec Christophe Rippert, Anthony, Julie Caignault, à l’époque. Il faut savoir qu’il y avait souvent des « fêtes » chez AB ou des pots de fin de tournage.

« La technique de tournage c’était un peu la taylorisation du sitcom… mais ça marchait »

Les sitcomologues : Dans le livre de Fabien Remblier, Les Années Sitcom, on peut lire quelques passages sur les conditions techniques des tournages. Il confirme ce que tout le monde pensait, à savoir le caractère industriel de la production des sitcoms AB : « Le réalisateur effectuait pour chaque séquence une mise en place rapide et le moteur était lancé dans la foulée. Pas le temps d’approfondir les raisons de tel ou tel déplacement, encore moins de s’attarder sur la psychologie des personnages, les maîtres mots étaient : rapidité et lumière. Il me paraissait difficile de ne pas y être tant le nombre de projecteurs poussés à fond était important donnant cette lumière si caractéristique des séries AB : un éclairage de vitrine de supermarché. » En tant que technicien, comment viviez-vous ce mode de production ? Et surtout, pourquoi une telle lumière ?

LP : Très bien, cela ne me posait pas de problème, j’avais déjà connu ce type de façon de travailler sur mes séries pour TF1 à mes débuts… Un épisode tourné en une journée. La lumière était faite en sorte que tout le monde soit beau, les décors mis en valeur. Ce choix n’était pas la volonté des ingénieurs vision, ni des directeurs photos mais un souhait de Jean-Luc me semble-t-il. La technique de tournage c’était un peu la « taylorisation » du sitcom… mais ça marchait. Un épisode était tourné en une journée. Une mécanique bien huilée. En général, il y avait une mise en place, les réglages lumière, pendant que les comédiens faisait des italiennes (répéter le texte sans les intentions) suivi d’une ou deux répétitions avec les caméras, puis une ou deux prises et quelques plans raccords si besoin…. Et on enchaînait ainsi de suite pour chaque séquence de l’épisode. Cela ne m’a pas spécialement gêné en tant que technicien. Cela l’était sans doute d’avantage pour les comédiens.

« Je me souviens en revanche que les tournages du Collège des cœurs brisés n’en finissaient pas, sans que je puisse inculper qui que ce soit en particulier »

Le tournage chaotique de la sitcom la plus dingue d'AB.
Le tournage chaotique de la sitcom la plus dingue d’AB.

Les sitcomologues : Justement, est-ce qu’il y a des comédiens de sitcoms AB qui vous ont marqué par leur talent, ou au contraire par leur nullité, devant la caméra ?

LP : Je n’ai pas de souvenirs précis qui me reviennent mais je me marrais bien avec Gérard Vivès qui avait un vrai talent comique. Je me souviens en revanche que les tournages du Collège des Cœurs Brisés n’en finissaient pas, sans que je puisse inculper qui que ce soit en particulier.

Les sitcomologues : Au niveau professionnel et personnel, que pensez-vous de Jean-Luc Azoulay ?

LP : Jean-Luc est un producteur fou et génial à la fois et qui obtient toujours ce qu’il veut. Et aussi un fou de gadgets et de technologie… Je me souviens qu’il y avait une « guerre » entre Pat et lui… Qui aurait le téléphone dernier cri, le nouveau MAC le premier ? Jean-Luc c’était le « big boss » qui voyait tout depuis son bureau et son mur d’image. Il lui arrivait fréquemment de nous téléphoner en régie pour nous dire si telle ou telle chose n’allait pas notamment au niveau de l’image. Jean-Luc était exigeant dans le sens où il y avait une charte à bien respecter. Jean-Luc venait aussi parfois sur les plateaux des « sitcoms ». Il était en revanche plus présent sur celui du Club Dorothée. Jean-Luc a souvent été décrié par la critique, la corporation télévisuelle et musicographique, mais il a su créer un style populaire qui a débouché sur un succès commercial et d’audience. Je respecte le succès même si tout n’était pas forcément « ma tasse de thé ». D’un point de vue personnel, Jean-Luc et moi avons toujours eu des relations cordiales mais nous ne nous fréquentions pas en dehors du travail. A l’époque tout le monde se moquait d’AB et regardait de haut (en fait surtout ceux qui n’y étaient pas), aujourd’hui avec le recul il y a un côté culte et une forme de reconnaissance.

Les sitcomologues : Comment les techniciens étaient-ils traités par AB Productions ? Le fait d’avoir travaillé chez AB a-t-il eu des répercussions négatives sur la suite de votre carrière ?

LP : Je pense que nous étions bien traité chez AB… surtout si l’on compare avec la situation actuelle des tournages et émissions TV. Pourtant à l’époque nous ne nous en rendions pas toujours compte… finalement avec le recul. Ce métier est désormais devenu le paradis d’hommes d’affaire et de financiers qui dictent leur loi. A l’époque d’AB, il était encore géré par de vrais producteurs. J’ai souvent l’impression qu’AB c’était un peu « notre pain blanc » au regard de maintenant. Il y avait des moyens, du personnel… Aujourd’hui tout va dans le sens de l’économie, de la rentabilité, il n’est pas rare de devoir être « multitâches » sur un tournage. Il n’y a eu aucunes répercussions négatives sur la suite de ma carrière et je peux même vous dire que tous les anciens d’AB, que je peux croiser, on tous du boulot. C’était une très bonne école qui fait référence aujourd’hui. A l’époque tout le monde se moquait d’AB et regardait de haut (en fait surtout ceux qui n’y étaient pas), aujourd’hui avec le recul il y a un côté culte et une forme de reconnaissance.

AB c'est "une grande famille". Comme le prouve cette photo du mariage de Laurent Perriot en 1996 avec sa jolie épouse Paula : sont présents Pat Le Guen, le Docteur Klein, Dorothée et... Fabien Remblier, beau gosse.
AB c’est « une grande famille ». Comme le prouve cette photo du mariage de Laurent Perriot en 1996 avec sa jolie épouse Paula : sont présents Pat Le Guen, le Docteur Klein, Dorothée et… Fabien Remblier, beau gosse.

Les sitcomologues : Après le Club Do, vous avez travaillé sur la Star Academy. Deux époques pour deux types d’émission similaire. Les mécanismes des deux programmes étaient-ils les mêmes ?

LP : Non, la Star Academy et le Club Do n’ont pas grand chose à voir tant sur le concept que sur la mécanique… le seul point commun étaient les plateaux avec les variétés, que Nikos est vrai pro tout comme Dorothée. Et aussi leur popularité auprès du public et leur mauvaise image auprès d’un certain microcosme parisien. Alors là, il est vrai de dire que les deux émissions ont des points communs. Mais il n’y avait pas d’enjeu ou de concours, le Club Do n’était pas un télé-crochet.

Les sitcomologues : Avez-vous gardé des liens avec des anciens d’AB ?

LP : Oui je travaille avec de nombreux techniciens aujourd’hui que j’ai connu chez AB… Je suis toujours en contact avec Pat, DO, Michel Klein, Martial alias Monsieur Cadeaux, Rémy Sarrazin, Fabien…

« J’avoue avoir eu un frisson quand Dorothée est remontée sur scène à l’Olympia…Voir tout ce public quasi en transe c’était très impressionnant. Dorothée c’est leur Madeleine de Proust »

Les sitcomologues : Que pensez-vous du « revival 2010 » AB : nouvelle série, concert à Bercy, voire succès médiatique d’un site comme celui de la sitcomologie ?

Le revival Dorothée de 2010 aura marqué les esprits.
Le revival Dorothée de 2010 aura marqué les esprits.

LP : Amusant et émouvant. D’autant plus que j’y ai été associé. J’ai fait la vison sur la captation de l’Olympia et la vision du direct de Bercy 2010. Jean Luc et Pat Le Guen ont souhaité reformer l’ancienne « garde » du Club DO. Nous nous sommes tous retrouvés comme si nous nous étions quittés hier, mais quelques rides en plus… Techniciens, artistes… nous étions une grande famille. Vous savez, les réflexes reviennent vite et c’était aussi une façon de mettre Do en confiance. J’avoue avoir eu un frisson quand Dorothée est remontée sur scène à l’Olympia…Voir tout ce public quasi en transe c’était très impressionnant. Dorothée c’est leur Madeleine de Proust. Pareil pour Bercy même si l’effet de surprise de l’Olympia était passé et que le concept était un peu différent, Bercy avait plus des allures de Club DO. Je ne sais pas ce que ce « revival 2010 » donnera, si ce n’est que comme à la grande époque il fait couler beaucoup d’encre. J’ouvre une parenthèse sur la polémique qui a fait rage notamment chez Morandini concernant le remplissage de Bercy. Depuis Mai, il était prévu que la salle soit configurée à 8000 places, soit un « demi Bercy ». Ce n’est pas une décision de dernière minute. Bercy a été un succès n’en déplaise à certains journalistes. Dorothée le mérite, c’est une vraie pro qui a toujours tout donné pour son métier. C’est une grande dame. Concernant la nouvelle série, j’en sais très peu et je ne m’y suis pas intéressé pour être honnête avec vous. Le succès de votre blog est justifié notamment grâce au côté un peu analyse décalée de cette époque et de ce que nous faisons… Je lui trouve beaucoup d’humour et j’aime votre côté décalé. Je suis en tout cas très heureux et reconnaissant d’avoir fait partie de cette aventure.

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