Les acteurs doivent nous faire croire à leur réalité.
Jim Morrison, Recueil De Poèmes Wilderness.
Alors que Jim aurait dû avoir 70 ans en ce 8 Décembre 2013, il est nécessaire de revenir sur l’étrange rapport entre le poète maudit du rock psychédélique et… Hélène et les Garçons, jusqu’aux Mystères de l’Amour. En effet, les deux univers qui n’ont a priori rien à voir semblent pourtant liés ad vitam eternam. L’ombre mystique du chanteur-chamane plane depuis les débuts de la sitcom, coincé entre les posters des New Kids on the Block, des photos de dauphins d’Hélène et celles de Buddy Holly sans oublier l’inévitable James Dean.
On le sait, l’univers azouléen des sitcoms AB est le fruit d’un étonnant mélange entre culture nineties et sixties. JLA est quant à lui culturellement un pur produit des années Yéyé, de Salut les Copains et plus généralement de Mai 68.
« Quelques mois avant le début d’Hélène et les Garçons en 1991, sort le film The Doors d’Oliver Stone avec Val Kilmer dans le rôle de Jim »
Mais que fout alors dans ce décor jovial et coloré ce diable de Jim Morrison, cet alcoolique nihiliste qui a été tout au long de son éphémère carrière une sorte de anti-hippie, un héros grecque de sa propre tragédie, le dernier poète maudit ?
Première idée et déjà un premier constat, la figure de Jim est repérable dans trois décors. Nous allons voir que rien ou presque n’est laissé au hasard. Le plus connu et le plus symbolique est le poster « des Doors » qui trône dans le garage, le territoire des Garçons, au sein duquel ils répètent inlassablement leurs gammes de blues rock au lieu d’aller en cours de lettres. Pourquoi cette affiche ? Il ne faut pas oublier que quelques mois avant le début d’Hélène et les Garçons en 1991, sort le film The Doors d’Oliver Stone avec Val Kilmer dans le rôle de Jim.
Énorme succès populaire, les Doors reviennent alors à la mode avec des rééditions d’albums en cd en pagaille. Néanmoins, pas besoin de connaître par cœur les accords de guitare de L.A.Woman pour saisir qu’il n’y a aucune filiation musicale entre le groupe des Garçons et la bande de Los Angeles. Juste une influence commune, le blues, plus ou moins bien digérée pour nos héros des années 90.
« Les garçons d’Hélène sont confrontés aux mêmes problématiques que les Doors : starification soudaine, drogue et alcool, rivalités au sein du groupe… »
Outre le garage, Jim est présent dans les chambres universitaires des filles et des garçons. Cette fois-ci, ce sont des posters originaux qui sont affichés. Dans la chambre des garçons, il n’apparaît pas immédiatement mais on finit par le remarquer, placardé discrètement sur une armoire. On y voit le groupe dans sa totalité, comme pour faire sens avec la constitution du groupe des garçons qui sont quatre. Si aucun des garçons ne chantent, ils sont aussi confrontés aux mêmes problématiques que les Doors : difficultés d’être des stars, relation avec la drogue, alcoolisme, rivalités au sein du groupe…etc.
Christian est certainement le plus « morrisien » des quatre. Il est la figure torturée, celui qui se défonce aux acides et se pique à l’héro pour s’oublier. On peut même le voir à une reprise s’adresser au poster dans le garage, demandant conseil à la rock star (on ne sait à ce moment si Sébastien Roch est au courant que sur l’affiche c’est Val Kilmer et non Jim himself). Nicolas a souvent été ironiquement surnommé le « Kurt Cobain d’AB », pour sa longue chevelure blonde et son statut de guitariste.
Pourtant, trop propre sur lui, il n’aura jamais l’aura d’une rock star. Seul José, autre grand consommateur de groupies, a le comportement adéquat, mais son statut de claviériste l’empêche de jouer sérieusement les stars du rock. Dans la plus pure tradition du rock, les bassistes sont mous et sans grand charisme, alors qu’un Nicolas Bikialo, looké comme un fan de Pantera sous ritaline, donnera quelques espoirs d’esprit rock avant de disparaître.
« En regardant Jim Morrison, j’ai eu une réaction étrange. Tout le monde autour de moi semblait cloué, mais moi, j’observais le moindre de ses mouvements dans un état d’hyperconscience froide »
Mais Jim est aussi présent dans la chambre des filles. Beaucoup plus visible, il offre l’autre aspect de l’imagerie des Doors, celle du groupe pour faire mouiller les jeunes filles. Comme Elvis avant lui, Jim Morrison a été l’objet des premiers fantasmes visuels pour de nombreuses adolescentes. Il suffit de lire la confession de Patti Smith : « En regardant Jim Morrison, j’ai eu une réaction étrange. Tout le monde autour de moi semblait cloué, mais moi, j’observais le moindre de ses mouvements dans un état d’hyperconscience froide. Je me souviens de cette impression bien plus nettement que du concert. J’ai senti en voyant Jim Morrison, que j’étais capable d’en faire autant. Je ne saurais dire ce qui m’a fait penser ça. Rien dans mon expérience, ne me permettait de me dire que ce serait jamais possible, pourtant j’ai nourri cette prétention. J’ai ressenti à son égard à la fois de l’attrait et un certain mépris. Je sentais sa gêne profonde aussi bien que sa suprême assurance. »
Est-ce que Hélène a eu les mêmes émois en voyant Jim ? On ne le saura probablement jamais. Ce qui est sûr, c’est qu’au milieu de ses posters de dauphins, la soi-disant sainte Hélène affiche le célèbre poster d’un Jim lubrique, torse nu, en position christique.
Autre référence sur Jim, le recueil de poèmes qu’Adeline offre à Vincent dans les Filles d’à Côté. Le versant poète de Jim, pas forcément le plus connu en France, est ici convoqué pour inspirer le fougueux adolescent amoureux transi de la jeune femme.
« Dans les suites d’Hélène, le poster est toujours là, posé fièrement sur le mur, tel un reliquat du passé glorieux, comme une sorte de totem sacré »
Au-delà de la simple anecdote, le lien entre les Doors et les aventures d’Hélène et les Garçons va se prolonger jusqu’à nos jours. En effet, alors que dans la suite, le Miracle de l’Amour, les garçons changent de garage, le poster est toujours là sur le mur, tel un reliquat du passé glorieux, une sorte de totem de la starification côtoyée pendant deux années par les Garçons, ou plus simplement le rappel de l’objectif hégélien martelé par le groupe : devenir des rock stars !
Cependant, le style musical s’éloigne alors fortement des débuts, les tâtonnements bluesy sont abandonnés au profit de sonorités vaguement pop et jazz. Les départs de Nico et Sébastien conjugués à leur remplacement par les cyberpunks Jimmy et Cynthia sonnent le glas de l’esprit rock’n’roll dans le Miracle.
Tout ce beau petit monde part alors à Love Island, abandonnant rêve de fortune, de groupies et de starification. Jim disparaît brutalement du quotidien de nos héros plongés dans les joies de la vie insulaire d’une plaque-tournante de la cocaïne.
Il réapparaît néanmoins quelques années plus tard dans une autre sitcom, Le Groupe. Première et dernière sitcom des années 2000, la production JLA tente alors non sans difficultés de réincarner à l’écran les héros d’Hélène avec de nouveaux comédiens… avec les mêmes intrigues ! Et quand ces héros veulent à leur tour devenir des stars de la chanson, revient comme par magie l’effigie de Jim, ou plutôt son avatar au cinéma, ce bon vieux Val. Ainsi, le mythique poster de Jim devient officieusement le fétiche de JLA et plus largement un objet culte dans l’imaginaire de toute une génération qui a grandi avec Hélène sans vraiment connaître la signification de ce poster.
« J’aimais beaucoup cette affiche et nous avions eu l’autorisation de l’éditeur pour l’utiliser dans le décor »
Quoi qu’il en soit, c’est bien le décorateur en chef des sitcoms AB Productions, Yves Pires, qui en est à l’origine : « J’aimais beaucoup cette affiche et nous avions eu l’autorisation de l’éditeur pour l’utiliser dans le décor ainsi que quelques autres (donc pas de problème de droits à l’image) je les avais choisis dans son catalogue. »
Alors que les héros d’Hélène et les Garçons reviennent en 2010 pour les Mystères de l’Amour, Jim fait son grand retour. Dans la saison 2, alors que Nico, José et Cricri goûtent à nouveau aux joies du rock’n’roll dans le garage d’un groupe de musique autochtone de la région de Dampierre, on ne peut que sourire à la vue de ce poster, placé soigneusement afin que personne ne puisse ne pas le voir.
Si le rêve d’une vie de rock stars des garçons semble définitivement enterré depuis les années Love Island (même Christian abandonne dans la saison 5), l’esprit de Jim veille encore et il est certain que la divinité poliade qu’est le Roi lézard a placé sous sa protection le groupe des Garçons pendant toutes ces années.