Il y a toujours du bon dans la folie humaine.
Auguste Villiers de l’Isle-Adam.
2014 marque l’aboutissement d’un projet fou, celui du Jean-Luc Azoulay producteur de musique. Oui, le même qui a lancé dans les années 1990 le raz-de-marrée AB Productions dans les platines de toute une génération, une génération qui n’avait rien demandé au départ. Hélène, Christophe, Anthony, les Ugly Twins et tant d’autres…
On croyait ça fini, le cauchemar terminé. L’Empire AB s’est désagrégé, de nouvelles forces sont apparues. Les Lofteurs ont sorti un mythique single. Il y a eu la Star Ac’ et ses immondes albums. Puis la généralisation du téléchargement a fini d’achever un système et une industrie du disque en crise.
« JLA est bien déterminé à faire de sa nouvelle muse la nouvelle star de la série, dans un souci de renouvellement de ses cadres vieillissants »
La merde existe toujours, bien entendu, mais le modèle économique et marketing a changé. Et que décide d’entreprendre Jean-Luc Azoulay dès 2013 ? Un disque Messieurs Dames, un disque d’une de ses comédiennes. Comme à la grande époque. Alors que l’on aurait pu penser que le choix se porterait sur la petite Coralie Caulier, chanteuse de formation, celle-ci est rapidement évincée des Mystères de l’Amour au profit d’une certaine Elsa Esnoult. Présentée comme une sorte de néo Isa de Premiers Baisers (portée sur le triolisme et le SM), elle incarne Fanny, une chanteuse de garage rock à ses heures perdues. Le personnage va alors prendre peu à peu une place centrale dans la série.
Le couple qu’elle forme avec le Cri-cri d’amour va en effet nous renvoyer aux grandes heures d’Hélène et Nicolas : celles des séances d’enregistrement en studio, des conflits avec des producteurs véreux et surtout, de l’autopromotion jusqu’à l’écœurement pour le téléspectateur.
Le parallèle est achevé quand est introduit dans les Mystères de l’Amour le fils de Thomas Fava. Ce dernier doit produire l’album de Fanny, et accessoirement la baiser. Car la dynastie Fava est bien connue dans l’histoire d’Hélène : Fava reste à jamais le nom du célèbre producteur qui tenta un beau jour de faire violer Hélène, en la droguant par un succulent space cake. Ici Cri-cri remplace Nico dans le rôle du musicien trahi, dans cet univers impitoyable qu’est l’industrie du disque.
JLA est bien déterminé à faire de sa nouvelle muse la nouvelle star de la série, dans un souci de renouvellement de ses cadres vieillissants. La propagande pour Elsa, tant dans les Mystères que sur les comptes Facebook et Twitter du patron, atteignent ici des sommets. Car oui, JLA est clairement amoureux « artistiquement », et parait croire dur comme fer en sa nouvelle protégée.
« L’anachronisme du projet Elsa Esnoult transparaît d’autant plus à travers la question de la stratégie commerciale et marketing »
Pourtant, une grande partie des fans semble être sur la réserve vis-à-vis du talent supposé de la néo-chanteuse, déjà entrevu dans la série Dreams. Les compositions Jean-François Porry/Gérard Salesses dans les 10’s ont déjà montré leurs limites, tant avec Hélène que pour Dorothée. L’anachronisme du projet Elsa Esnoult transparaît d’autant plus à travers la question de la stratégie commerciale et marketing que l’on peut adosser à un tel projet. La série des Mystères de l’Amour peut certes s’appuyer sur un public fidèle, mais qui demeure très éloigné des statistiques de l’âge d’or, comme les audiences folles d’Hélène et les Garçons.
En outre, l’industrie du disque n’a plus rien à voir avec le bling bling des nineties. Fini le fric facile et la cocaïne. Plus personne n’achète de disques et les stats actuelles de ventes de Pour toi ne sont pas a priori en mesure d’inverser la tendance… Projet fou, projet insensé voire suicidaire, c’est peut-être là aussi toute la beauté de JLA.
Parce que la moquerie est plus aisée que la critique et l’analyse, nous nous sommes mis en tête d’écouter cet album avec tout le sérieux possible. Et de le juger en notre âme et conscience.
Toujours là pour toi
La chanson qui ouvre l’album présente dès le départ une double caractéristique : un son tout droit sorti des profondeurs des 90’s et un chant ouvertement Céline Dionien. On se croirait revenu à l’époque de « Pour que tu m’aimes encore. » Heureusement, le refrain sonne plus moderne, que l’on pourrait comparer vaguement à du Amel Bent.
Dans cette ouverture, Elsa (qui a composé elle-même cette chanson) nous parle d’amour, thème central comme le titre de l’album semblait le présager. Le texte ne présente pas de grand intérêt, c’est plutôt bateau. Faire rimer amour avec jours c’est mignon, mais ça reste limité. Le titre reste néanmoins dans le thème : « toi ». Elsa souhaite nous raconter ce qu’est vivre l’amour avec l’autre, l’altérité, bref toujours l’amour… l’amour-toujours comme disait si bien Monsieur Girard.
Sky is blue
Le seul titre en anglais, c’est à souligner. Malheureusement, on est obligé de dire que l’anglais ça se travaille. On ne sait à quelle moyenne tournait Elsa au Collège, mais l’accent frenchie pour un auditeur français, ça passe rarement. Ou alors il faut s’appeler Manu Chao et en jouer, à la limite. Le sky is blou, et surtout, il pleure, comme le chantait si bien Elmore James. Encore une fois, le thème est l’amour, the love, saupoudré de considérations météorologiques : le summer, le spring, le winter…etc. Winter is coming pour Elsa, assurément.
Ma star à moi (feat Sébastien Roch)
Premier titre de l’album, bien connu des amateurs de Mystères de l’Amour. Chanson en effet matraquée dans la série, dont a pu entrevoir la création par une mise en abyme digne des grandes années sitcoms. Le Cri-cri d’amour et Fanny écrivent cette chanson en 3 minutes, comme ont dû le faire « dans la vraie vie » l’inénarrable duo Porry et Salesses, probablement lors d’une soirée bien arrosée.
Encore une fois dans la thématique du « pour toi », nous avons ici une déclaration d’amour sous la forme d’un manifeste pour le « naturel », plus précisément l’amour que l’on éprouve vis-à-vis de l’autre, vu « tel qu’il est ». C’est beau et ça veut sonner moderne. Car oui, contrairement à ce qu’on pense, JLA est un homme qui vit avec son temps, et veut le montrer. Il cite alors à la pelle des artistes de notre époque : Justin Bieber, Chris Brown, Lady Gaga, Katy Perry, Shakira, Rihanna… N’oublions pas que dans la série, Fanny/Elsa semble se chercher un style, entre Lady Gaga et Amy Winehouse. Et pour la morale de l’histoire, l’important est avant tout de savoir rester soi-même, quitte à entretenir joyeusement la confusion entre ce qu’on est et ce que JLA vous fait faire à l’écran.
Enfin, n’oublions pas la grande force de ce titre : le featuring avec le légendaire Sébastien Roch, autre grand artiste « AB ». Après son duo « gainsbourien » avec Coralie Caulier, ce dernier récidive pour Elsa. Voix suave et sombre, susurrant ses lyrics à la manière de son idole, Séb Roch est définitivement le rockeur torturé qu’on avait découvert au Bar de Jess. Et comme il est aussi un Dj, « Ma star à moi » est au final une chanson dance-floor.
Le résultat est clairement improbable, d’autant plus qu’un inévitable clip est tourné. Roch est de la partie. Elsa met alors en scène les paroles de la chanson en enchaînant, en forme d’hommage plus ou moins heureux, chorégraphies et déguisements des « vraies » stars.
Pour qui tu m’prends
On aurait pu penser que le titre précédent était le climax de l’album, une sorte de sommet indépassable. Mais le téléspectateur lambda des Mystères de l’Amour lui savait qu’il y avait en stock un son encore plus hardcore que le précédent. Et parce que JLA est le type le plus rock’n’roll qui soit, il décide d’en faire le titre phare lors de la sortie de la galette.
Le clip a été largement commenté par la communauté AB du net. Dézingué par une grande partie du public, le morceau emblématique d’Elsa a laissé le public dubitatif. Beaucoup ne comprennent pas comment il est possible d’enregistrer une telle chanson, et comment il est possible d’oser une telle vidéo, même sous le couvert du second degré. Parce que l’idée de JLA est folle : réaliser sur une bande-son électro-rock une chanson digne des grandes heures de Dorothée. Un titre enfantin (« des carottes pour se faire carotter ») sur le thème classique de la tromperie. JLA avait-il envie de faire de sa Elsa la nouvelle France Gall de l’an de grâce 2014 ?
L’anachronisme de l’entreprise Elsa Esnoult atteint ici son paroxysme. Il faudra sûrement attendre une bonne dizaine d’années afin de savoir si JLA avait raison, s’il était pertinent de sortir ça, à ce moment-là, à l’heure de la domination des Maitre Gims et cie. Et qui sait, il aura peut-être raison. Et si pourquoi pas les hipsters de 2034 se passeront sous le manteau le clip, et voueront un culte à Elsa ?
Je veux tout
Difficilement remis des émotions qu’ont procuré les deux titres précédents, Elsa enchaîne avec un tube, enfin ce qui est censé être le tube de son personnage dans une autre série, celle d’NRJ12 : Dreams. Parce que 2014 pour Elsa c’est un CDI-JLA à plein temps. Ceci au risque de perturber l’équilibre précaire de l’album, articulé autour de la fusion entre le personnage Fanny et son interprète Elsa.
La chanson traite néanmoins d’un thème qu’on retrouve constamment chez Fanny : le rêve, le dream. Car ce que veut avant tout Elsa, c’est accéder à la « gloire », se réaliser, se « mettre à nu en plein jour ». Et cette ambition, JLA l’offre sur un plateau à la belle Elsa, jetée à corps perdu dans l’univers du Maître. Quitte à ce que le retour en arrière soit impossible. Car la néo-chanteuse-comédienne a beau nier l’impact d’une hypothétique « étiquette JLA », le dream pourrait vite virer au nightmare.
Cette naïveté est certes touchante, au risque que le conte de fées s’achève chez l’éternelle Sophie Davant sur France 2, dans « Toute une histoire », un bel après-midi ensoleillé de l’été 2024.
L’amour destructeur
La chanson qui a détrôné Hélène en s’imposant comme la chanson du générique de fin des Mystères de l’Amour. On suppute alors que JLA aime beaucoup cette chanson, d’autant plus qu’elle est écrite par Elsa herself. L’idée est simple : l’amour peut apporter du bonheur, mais aussi du malheur. Il fallait le dire, une bonne fois pour toute. Assurément pop-rock, Elsa se donne vocalement parlant, notamment sur un final grandiloquent.
Eve, lève toi
Seule et unique cover de l’album, toujours extraite de la bande son de la série Dreams. Le titre s’intègre toutefois parfaitement au sein de l’album. Ressuscitant Julie Pi »tri, le beat 80’s résonne chaleureusement dans nos cages à miel. Un titre qui mériterait une deuxième vie dans les boites gays de France et de Navarre. C’est glam, cheap, assurément kitch, bref du Elsa dans le texte.
Fidélité
Premier titre dévoilé en Janvier 2014, « Fidélité » est la chanson la plus fidèle aussi au son Porry/Salesses. Celui-là même qui aurait pu sortir en 1993, à sec. Et sans vaseline, JLA entreprend de faire de son Elsa une chanteuse à voix, le tout dans un premier degré, assez déstabilisant au premier abord. Le thème de la chanson se veut lui aussi suranné : la fidélité. Un concept ringard selon l’auteur dans sa propre série, et surtout malmené depuis des années par ses personnages (Laly…).
Accompagné de Sébastien Roch au piano (dans le clip), on peut voir Elsa, maquillée à l’extrême, jurer fidélité à son homme, dans une posture ostentatoire que même une Lara Fabian n’oserait pas revendiquer.
Musicalement, la kitscherie présente un caractère assez extrémiste, et le clin d’œil à la vieille époque n’est pas oublié grâce à des synthés directement surgit du Collège des Cœurs Brisés et un piano directement copié sur un vieux titre de Manuela Lopez (« Il n’y a pas que le soleil »). Il est probable que Elsa elle-même ne devait pas être au courant du fameux procédé du copié-collé salessien, usé à l’extrême, quoi qu’il en soit, pour nous ça reste très divertissant.
Ici ou là-bas
Encore un titre issu de Dreams ! On ne se fait clairement pas chier chez Jean-François Porry ! Heureusement, la chanson est assez entraînante et se permet quelques allusions sexuelles sympathiques.
Et il faut dire que ça manquait clairement jusque-là. On y parle de « corps-à-corps », de la « nuit noire où on se glisse » … Et surtout Elsa s’adresse à son homme : « Tu entres et tu ressors… de ma vie comme un courant d’air, oh oh ooooh ». Elsa la coquine.
Avec toi
Une chanson intéressante à plusieurs titres. D’abord elle s’inscrit parfaitement dans la thématique du « toi », véritable fil rouge de l’album. Et surtout, c’est peut-être la chanson la plus cute de l’album. Oui, il ne faut pas toujours avoir l’esprit mauvais et parfois se lâcher, révéler au grand jour la partie pucelle de douze ans qui sommeille en chacun de nous.
Alors on se laisse entraîner par ce refrain angélique. Elsa a ici une voix douce et agréable. Une petite référence sympathique au « premier baiser » est aussi plaisante. Parce que c’est bien aussi d’être fleur bleue dans la vie.
Toute seule
Dernière chanson de l’album, on sent que l’inspiration au niveau musical s’effrite. En effet, le titre sonne comme une chute de studio de la chanson « Fidélité », avec le même piano entêtant. Du Gégé Salesses comme on aime.
Quant au texte, il est radicalement différent du reste. Elsa s’intéresse à la situation du monde. Véritable brûlot contre les politiques d’austérité mises en place par les technocrates de Bruxelles, Elsa chante pour les damnés de la Terre. Prenant un maximum de risques, elle n’hésite pas à dénoncer le système financier mondialisé, un monde dans lequel le profit des actionnaires vaut plus que les conditions de vie des travailleurs. Telle une Arlette Laguiller des temps modernes, Elsa Esnoult se veut porte-parole d’un prolétariat qui ne croit plus à l’Europe, aux hommes politiques, tout en promettant qu’un autre monde est possible.
- Chant : 2/5
Le chant d’Elsa en studio est malheureusement assez moyen. Parfois, nous avons l’occasion de l’entendre en condition « live » dans la série, prestations rarement inoubliables. Techniquement pas dégueulasse, le chant manque clairement de personnalité et de variation.
Musique : 2/5
Forcément, les conditions d’enregistrement sont plus faciles en 2014 que dans les années 90, même si les moyens restent pauvres, hélas. Des efforts louables sont fournis, avec une relative variété : de la pop, du piano, de l’electro-rock. Mais le tout sonne trop cheap pour que l’on donne honnêtement la moyenne.
Paroles : 2/5
Autre point faible de l’album, les lyrics sont d’une pauvreté et d’une platitude digne de tout ce qu’on peut entendre dans le genre actuel. On a aimé les efforts pour nous faire rire dans quelques titres, et une certaine thématique respectée, mais l’ensemble sonne cruellement creux.
Esprit AB : 3/5
En 2014, l’âme Porry/Salesses est encore parmi nous, et ça, c’est grâce à Elsa. Impliquée à 100% dans le projet fou de son producteur, Elsa se donne, vit l’aventure dans un premier degré qui impose le respect. Certains titres n’auraient pas fait tâche lors de la grande époque, et ça, c’était presque inespéré. De plus, une pochette bien ignoble est la cerise sur le gâteau. A ce niveau, plus c’est cheap plus c’est bon.
Total : 9/20
Elsa n’atteint pas la moyenne, comme en anglais quand elle était en quatrième techno. C’est dommage mais notre bienveillance a ses limites. Pour un premier album, dans des conditions assez hardcore (être produit par Porry/Salesses en 2014 quand même !), Elsa se démerde plutôt pas trop mal. Le résultat aurait pu être largement pire. A voir si un deuxième album parviendra à révéler la vraie nature d’Elsa. Et fuck les critiques, l’important pour Elsa sera de fidéliser des fans, des vrais. Le public, c’est le plus important. Et chez AB ou JLA, on le sait plus que quiconque.
Discussion2 commentaires
Vu d’ensemble, cet album me fait penser à celui d’Alizée « Blonde » sorti la même année. Volontairement conçu comme pop et frais, c’est en réalité l’album de la plantade définitive pour la chanteuse star des années 2000, qui a abandonné la musique depuis ! Cet album d’Elsa Esnoult semble partir de la même intention : C’est pop, frais, mais en réalité mièvre et complètement décalé. Son deuxième album est peut-être meilleur.
Juste une précision, Coralie Caulier n’a pas été évincée, elle fut contrainte de quitter la série à cause d’une maladie. Je pense qu’Elsa Esnoult devait au départ n’avoir qu’un rôle secondaire mais elle fut finalement choisie pour remplacer Coralie Caulier en tant que « muse », rôle qui au départ devait être destiné à cette dernière.