J’aime mieux qu’on me raconte la vie d’un clochard américain que celle d’un dieu grec mort.
Charles Bukowski, Journal d’un vieux dégueulasse.
C’est sous le prisme de la condition des SDF que l’on doit aborder Un Homme à Domicile, sitcom peu connue du grand public. Contrairement à une production comme les Filles d’à Côté, un Homme à Domicile n’a pas été beaucoup rediffusée ces dernières années, uniquement sur AB1 et à des heures (très) tardives.
Un Homme à Domicile est en effet l’un des plus grands flops de l’immense œuvre de Jean-Luc Azoulay. Et si d’autres sitcoms « bidesques », comme Elisa un Roman Photo ou Studio Télé, auraient sûrement mérité un autre destin, ce n’est pas le cas de la sitcom du clodo. Il n’y a quasiment rien à sauver dans cette production.
« La collaboration entre AB et le service public pour Un Homme à domicile a valeur de symbole »
Diffusée en 1995 sur France 2 et non sur la première chaîne, Un Homme à Domicile n’a en outre pas pu profiter du soutien logistique du Club Do et du « lobby AB », alors tout-puissant chez TF1. Un article du Monde du 23 juillet 1995 [1], pointait déjà les difficultés que la sitcom connaissait dès son démarrage : « France 2 a inauguré les sitcoms en France avec « Maguy ». Elle est ensuite restée fidèle à ce type de fiction, offrant régulièrement aux téléspectateurs des comédies de situation (« Les Gromelots et les Dupinsons » étant la dernière du genre) et des séries proches du genre (« Seconde B », « Hartley cœurs à vif »). La chaîne de service public, qui a l’intention d’accroître ses investissements dans ce type de production (qui permet de fidéliser un public pour un coût réduit) vient de faire appel à la plus importante des sociétés de production spécialisées dans le genre : AB Productions. Fournisseur attitré des programmes jeunesse de TF 1, celle-ci n’avait jusque-là jamais « livré » de comédie de situation à France 2. La collaboration a donc valeur de symbole. Mais « Un homme à domicile », programmé chaque jour (du lundi au vendredi) à 18 h 50, depuis le 3 juillet, dépasse rarement les 2,3 % d’audience (ce qui représente environ 11 % à 12 % des parts de marché). Un score en baisse par rapport à la série qui précède, « Sauvés par le gong », sur la même chaîne. Embêtant. »
Le journaliste remarque aussi que le choix du lancement de la sitcom en plein été n’est pas vraiment judicieux : « L’été constituera une période-test pour ce rendez-vous familial dont on ne peut pas dire qu’il bénéficie de toutes les chances. On peut, en effet, se demander si la période estivale, plus propice au « farniente » en terrasse ou sur les plages, est le meilleur moment pour fidéliser un public. »
« Cette sitcom se laisse regarder, vers trois heures du matin, avec une bouteille de vin rouge achetée au Lidl »
Mais ces différentes excuses ne suffisent pas à expliquer les raisons de l’échec de cette sitcom. En effet, c’est le synopsis même de la sitcom qui pose problème : « Élisabeth, médecin, est divorcée et élève seule ses trois enfants : Élise, Marie et Gédéon. Sa mère, Estelle, aimerait beaucoup qu’elle rencontre l’homme idéal. Justement, un soir d’hiver, Marie ramène à la maison Phil, un sans domicile fixe qui a sombré dans l’alcool après avoir perdu son emploi d’informaticien. Apprécié par tous, Phil trouve rapidement sa place au sein de la famille. » [2]
On le voit avec cette trame, le manque d’originalité est flagrant. Comment ne pas penser à la sitcom américaine Madame est servie, qui a connu un immense succès sur M6 pendant presque une décennie ? Le fameux Tony Danza débarquant dans une famille aisée mono-parentale, se faisant apprécier des enfants, de la grand-mère et s’occupant des tâches ménagères avec un douteux plaisir. Le public a donc bien connu ce genre de « conte social ».
« Nous allons donner plus de densité aux personnages et apporter plus de soin à l’action précise Claude Chauvat, conseiller des programmes pour la fiction sur France 2 »
En outre, comme l’explique le Monde, c’est la structure même de la sitcom qui est problématique. Dès les premières diffusions de la sitcom, les programmateurs de France 2 se sont effectivement rendus compte de l’arnaque qu’ils ont acheté à AB Productions, avec toutefois le vague espoir que la série pourrait évoluer dans le bon sens : « Les scénaristes ont imaginé, pour chaque numéro, des histoires cocasses et des retournements de situation qui ont le mérite de faire rebondir l’action sans porter atteinte au schéma initial. On s’amuse des bons mots échangés par les personnages et des scènes qui les placent dans des postures ridicules. Ces quelques trouvailles suffisent à créer une dynamique à l’intérieur de chaque épisode, mais pas d’un épisode à l’autre. Et même si on se laisse piéger par quelques plaisanteries faciles, le plaisir est en partie gâché par les rires enregistrés… Ces faiblesses n’ont pas échappé aux responsables de la fiction de France 2. Globalement séduits par les trente premiers numéros fournis par AB Productions ils en ont notamment apprécié la qualité des dialogues et les comédiens , ils comptent corriger les défauts qui, selon eux, creusent « l’écart entre la réalisation fournie et la ligne éditoriale de la chaîne ». C’est pourquoi ils ont décidé de retravailler les scènes en cours de tournage. « Nous avons notamment constaté que cette production reposait surtout sur un comique de répliques, et non, comme savent le faire les Américains, sur de véritables situations. Nous allons donner plus de densité aux personnages et apporter plus de soin à l’action », précise Claude Chauvat, conseiller des programmes pour la fiction sur France 2. »
Manque d’originalité des scénaristes ou véritable plagiat, c’est selon, Un Homme à Domicile quoiqu’il en soit part mal. D’autant que compter sur les scénaristes pour changer leurs méthodes d’écriture de sitcom, c’est n’avoir rien compris au système industriel de fabrication de sitcoms fondé par AB Productions depuis le début de la décennie 90. Un Homme à Domicile recycle autant les comédiens passés par les séries antérieures, que les diverses intrigues et idées de scénars.
Le deuxième problème majeur pour la sitcom est son casting, que l’on jugera raté tel un vulgaire casting de Secret Story. Les comédiens sont quasiment tous nuls, la plupart sans véritable charisme ou mal exploités. Un Thierry Redler aurait été sans doute beaucoup plus approprié pour le rôle principal que le brave Pierre-Jean Chérer, mais au même moment se tournait une autre sitcom AB : L’Un Contre l’Autre. De même, une série comme le Miel et Abeilles, pourtant loin d’être parfaite, possédait au moins des comédiens aguerris et talentueux. Ici, la médiocrité règne.
« Le décor est recyclage du décor du Miel et les Abeilles, histoire de ne pas totalement dépayser les téléspectateurs qui ont du changer de chaîne pour regarder une production AB »
La sitcom Homme à Domicile passe donc relativement inaperçue à l’époque. Mais depuis quelques années, quelques amateurs de la Nuit des sitcoms ont eu une sorte révélation : cette sitcom se laisse regarder, vers trois heures du matin, avec une bouteille de vin rouge achetée au Lidl (en hommage à l’alcoolisme de Phil).
« A partir de Novembre, pour les clochards, il n’y a que deux solutions : la Côte d’Azur, ou la prison », disait Audiard. Mais pour Phil le SDF, le héros de la sitcom, une autre destinée l’attend. Retrouvé à côté du collège en plein hiver par la petite Marie, 12 ans, qui décide de le ramener dans sa maison. Il débarque ainsi dans une belle et luxueuse maison de la bonne bourgeoisie parisienne. La baraque appartient à la famille Girard (pour changer), que l’on peut qualifier de typiquement AB. C’est en effet un recyclage du décor du Miel et les Abeilles, histoire de ne pas totalement dépayser les téléspectateurs qui ont du changer de chaîne pour regarder une production AB.
D’autre part, il est à noter que Un Homme à Domicile est l’une des sitcoms les plus minimalistes d’AB : tout se déroule dans la maison : pas d’extérieur (hormis une scène où les personnages font du roller dehors), ni même de lieu stratégique comme un café. Seule originalité : le cabinet du docteur, où se succèdent quelques patients. La politique d’austérité selon AB…
« Pendant que vous vous faites ausculter dans son cabinet, ne vous étonnez pas si vous entendez de drôles bruits derrière la porte… »
Que dire de cette famille Girard ? D’abord, on ne connaît pas ses liens avec les Girard de Premiers Baisers ni du Miel et les Abeilles. On émettra seulement l’hypothèse que la maman, Lizzie, pourrait être l’ex-épouse d’un des frères de Roger Girard. Pourquoi pas l’inconnu Théodule, ou alors carrément Framboisier ?
Dans le seul article de Télé Club Plus consacré à cette sitcom [2], cette tribu de Girard nous est présentée comme une famille gentiment fofolle : « Vous êtes déjà allés vous faire soigner chez le Docteur Girard ? Oh, elle est très bien. Élisabeth Girard est un bon médecin. Mais pendant que vous vous faites ausculter dans son cabinet, ne vous étonnez pas si vous entendez de drôles bruits derrière la porte et si tout à coup, vous voyez surgir une femme blonde à l’air pressé ou un grand type un peu gêné. C’est normal ! La femme blonde, c’est Estelle, la mère du docteur. Depuis qu’Élisabeth a divorcé, elle lui donne un coup de main pour s’occuper de la petite famille. Trois enfants : Élise, l’aînée, Marie, la chipie et Gédéon, le petit dernier qui n’a pas sa langue dans sa poche. Le grand brun qui s’excuse toujours en entrant, c’est Phil, un informaticien au chômage qui vivait dans la rue avant que Marie ne le ramène à la maison. Depuis, il s’occupe de tout ! La cuisine, les courses, le ménage et les petits problèmes quotidiens. »
La chef de maison, c’est donc la toubib Élisabeth, ou plutôt Lizzie. C’est une femme volontaire, résolument moderne et… divorcée. Chose rare dans l’univers réac d’AB. Célibataire endurcie, elle ne jure que par son travail et l’éducation de ses chiards. C’est la vraie MILF de la sitcom. Manoëlle Gaillard qui incarne Élisabeth, n’aurait pourtant jamais dû tourner dans une sitcom AB.
En effet, comme le révèle Télé Club Plus, « elle a démarré sa carrière dans les bureaux de la Sécurité sociale. Pendant six années, Manoëlle s’ennuie à mourir, jusqu’au jour où son amoureux, technicien de cinéma, la pousse à rejoindre le théâtre. » Quant à sa ressemblance supposée avec son personnage, Manoëlle confirme qu’elle aussi « est passionnée par son métier et par ses enfants. Élisabeth est une femme très positive, généreuse. Une de ces femmes qui s’épanouissent entre le travail et les bébés. »
Les mioches, parlons-en. En bonne famille démocrate-chrétienne, on en compte trois. Tout d’abord l’aînée, Élise, jouée par la délicieuse Marie Roversi. Connue pour son rôle de Joëlle, la cousine-coquine de Mallaury Nataf dans le Miel et les Abeilles, elle incarne ici une jeune étudiante en DEUG de lettres. Autant dire qu’elle n’en glande évidemment pas une. Et contrairement à l’image qu’on avait d’elle dans le Miel, Marie joue ici une fille sérieuse, beaucoup trop sérieuse. Petit pull à col-roulé, chignon, Marie est à notre grand désespoir à des années lumières de la nymphomane du Miel et les Abeilles.
La deuxième de la famille est la « chipie » Marie, jeune fillette de douze ans jouée par Cassandre Guéraud. Son rôle clé est d’avoir ramené Phil de la rue, parce qu’elle a « un grand cœur ».
Après ce coup d’éclat, on peut dire que son rôle reste très limité. Fan de Christophe Rippert dont il est fait mention à plusieurs reprises, elle passe son temps à râler. Mais c’est son âge qui pose problème : totalement inexpérimentée sur un tournage, comme la petite Wendy des Filles d’à Côté, c’est un véritable calvaire de l’écouter et de la voir jouer. A noter que l’épisode tant attendu sur l’arrivée de ses premières règles n’arrivera jamais.
Plus intéressant, le cas du petit dernier, Gédéon. Ce nom est affreux. Appeler son fils comme ça, même dans les années 1990, c’est limite de la maltraitance infantile. Cette chère tête blonde a néanmoins une bonne bouille sympathique. Morgan Vasner, le jeune comédien qui l’incarne, semble avoir gardé un bon souvenir de cette expérience.
Mais derrière ce joli minois, se cache un gamin espiègle de huit ans, qui passe le plus clair de son temps à brailler, réclamer des frites et beugler devant sa putain de Super Nintendo. Console mythique, qui rehausse toutefois l’intérêt de la série. Malheureusement, Gédéon ne semble pas décidé à jouer à Secret of Mana, mais plutôt à des jeux fictifs (les « Dragons de l’espace »), qui rappellent davantage l’univers des bornes d’arcade que de la console à 16 bits. A noter aussi que Gédéon est un fan de Dragon Zin Boule, dont on peut supposer sans risque qu’il s’agit d’une référence foireuse à un célèbre manga diffusé sur une chaîne concurrente…
« Le look d’Estelle est directement inspiré du mien. Je suis assez peu diplomate. Mais en revanche, beaucoup moins inconsciente qu’Estelle… et pas encore grand-mère »
La famille Girard ne serait pas au complet sans la grand-mère, Estelle. Incarnée par la terrifiante granny Virginie Pradal, que l’on connaît surtout dans son rôle de l’ignoble marâtre des Filles d’à Côté. Dans Un Homme à Domicile, elle interprète une grand-mère excentrique, croqueuse d’hommes mais fondamentalement gentille.
En instance de divorce suite à son cinquième mariage (!), elle aide sa fille à gérer la maison et tente désespérément de la caser. Enfin, elle vient surtout à la maison pour jouer à la Super Nintendo de Gédéon.
De l’aveu même de Virginie Pradal, il n’y a pas beaucoup de différences entre elle et son personnage : « Depuis le début de ma carrière, je n’ai jamais pu me départir de mon image de bavarde au tempérament de feu (…). Le look d’Estelle est directement inspiré du mien (…), je suis assez peu diplomate. Mais en revanche, beaucoup moins inconsciente qu’Estelle… et pas encore grand-mère. »
Le jeu comique de Virginie est très d’ailleurs totalement inspiré du théâtre, comme Télé Club Plus le raconte : « Elle voulait devenir danseuse, mais elle a fait du piano. Ses parents ne tenaient pas à la voir sur scène. C’est pourtant vers les planches que se dirige Virginie Pradal à 18 ans. Ce qui l’attirait, c’était les beaux textes. Elle se voyait en reine éplorée, mais dès ses premiers cours au cours Simon, sa nature comique s’affirme. »
« Après le succès de La Fleur de province, on m’a mis une étiquette de chanteuse nunuche qui me colle encore à la peau »
Enfin reste le cas Carmen, la secrétaire médicale. Elle n’est pas membre de la famille mais travaille tous les jours chez les Girard. Si elle n’arrive toujours pas à tutoyer Élisabeth, elle est presque de la famille. La comédienne qui l’incarne n’est pas n’importe qui : Charlotte Julian. Si ce nom ne vous dit rien, c’est que vous ne connaissez pas vraiment les années 70.
Inoubliable interprète du hit « Fleur de Province », Charlotte a eu un parcours assez chaotique. Starisée à outrance, elle n’a jamais réussi à évoluer artistiquement. Mais JLA lui se moque éperdument des étiquettes. Le producteur lui donne sa chance en 1995 avec ce rôle secondaire, et lui permet même de chanter ses tubes au Club Do ! A cette époque, Charlotte vit son aventure AB comme une vraie revanche sur la vie : « Malheureusement, après le succès de la Fleur de province, on m’a mis une étiquette de chanteuse nunuche qui me colle encore à la peau. » Toutefois, le choix de Charlotte est plutôt malheureux. « Grâce » à AB, elle aura désormais deux étiquettes collées à son nom. Pas de bol.
Les bases de la sitcom sont donc posées. C’est Phil (Pierre-Jean Chérer), le SDF, qui va venir perturber tout ce petit monde. Brillant self-made man dans le monde de l’informatique, Phil a pété les plombs le jour où sa femme l’a quitté. Miné par le chômage, son couple s’était peu à peu désagrégé. Phil est alors tombé dans l’alcool, a perdu son appartement et s’est retrouvé dans le milieu de la pègre et des clodos parisiens. Il est devenu celui qu’on appelle désormais le « cyber-clodo ». Heureusement pour lui, Marie le ramène à la maison.
Un cyber-clodo chez les bourgeois
Au départ c’est la consternation dans la famille Girard : que faire de ce clodo ? Comme il a faim, on décide de lui cuisiner « quinze quenelles », puis on lui offre une douche et des rasoirs. Phil redevient « humain ». Il séduit immédiatement toute la petite famille : Marie et Élise craquent d’abord sur lui. Gédéon est en admiration (surtout lorsqu’il lui répare sa Super Nintendo). Même la grand-mère veut se le faire, c’est dire.
Après quelques atermoiements, Phil décide de rester, officiellement « pour les enfants. » C’est là l’occasion d’un vrai débat sur la condition de SDF : est-ce un choix ou une fatalité ? Phil dit à Gédéon que « c’est la vie qui veut ça. » Mais pour la libérale Élisabeth, c’est « un choix de vie. » Phil doit se bouger le cul et puis c’est tout. Finalement, il décide d’accepter la proposition de rester quelques temps afin de se réinsérer socialement.
« Comme Tony Danza en son temps, il devient l’homme à tout faire : vaisselle, ménage, course, bricolage… »
Par contre, Phil étant un homme fier, il exige qu’on lui laisse s’occuper de la maison. Histoire de ne pas donner l’impression de profiter de la générosité de la famille Girard. Comme Tony Danza en son temps, il devient l’homme à tout faire : vaisselle, ménage, course, bricolage…etc. Bref, un vrai larbin. Phil est-il l’homme idéal ? En tout cas, il se fait constamment draguer par toutes les femmes qui défilent dans la série. Télé Club Plus le présente comme l’homme parfait, avec toutefois une petite faille : « Même quand Estelle, Élise ou Carmen lui font les yeux doux, il reste d’un calme olympien. Le seul moment où il sort de ses gonds, c’est quand Patrice, son petit frère, met un pied dans la maison. Là, plus rien ne va, c’est la tempête. Il faut s’armer de patience et attendre qu’enfin la vie reprenne son cours. »
Car oui, Phil a quelques défauts. C’est un homme orgueilleux et rancunier. Avec son frère, (incarné par son vrai frère dans la vie, Denis), les relations sont orageuses. Il va jusqu’à traiter son frère de « crétin », et ce devant les enfants, ce qui a le don de choquer la maman. Mais grâce à Gédéon, Phil finit par se réconcilier avec son frère. Ainsi, il « se réconcilie avec lui-même », selon ses propres termes. C’est beau.
« Le cyber-clodo vit dans le grenier, tel un fugitif caché par la famille, et reçoit quotidiennement les enfants de la maison dans son antre »
Vis-à-vis de la famille, Phil se conduit en véritable gentlemen, consacrant une grande partie de son activité à s’occuper des habitants de la maison, quand il n’est pas à occuper à travailler à son pseudo logiciel. Le cyber-clodo vit dans le grenier, tel un fugitif caché par la famille, et reçoit quotidiennement les enfants de la maison dans son antre. Si sa complicité avec les deux mioches est nette, sa relation avec Élise est peut-être pas si claire qu’on ne le dit trop souvent.
Dans une scène où la tension sexuelle est forte, quasi masturbatoire, on peut observer Élise seule, se masser les pieds et prendre apparemment un plaisir non dissimulé. Gédéon et Phil débarquent alors à l’improviste. Élise affolée cache ses pieds sous un coussin, rouge de honte. Cet abruti de Gédéon se demande pourquoi sa grande sœur planque ses pieds, mais Phil a compris, et joue les faux naïfs : « Il faut respecter les pudeurs des jeunes filles« .
« Au bout de quelques épisodes, on s’aperçoit que la bourgeoise ne sait plus très bien si son clodo doit être la bonniche attitré de la maison ou un potentiel amant »
Néanmoins, c’est la relation entre Lizzie et Phil qui soulève le plus de questions. Immédiatement, la tension sexuelle règne entre les deux personnages, qu’on soupçonne rapidement de ne plus avoir eu de relations sexuelles depuis fort longtemps. Au bout de quelques épisodes, on s’aperçoit que la bourgeoise ne sait plus très bien si son clodo doit être la bonniche attitré de la maison ou un potentiel amant.
Elle se révèle être malade de jalousie devant toutes les femmes qui s’intéressent à Phil, et notamment son ex-femme, celle qui l’a tant fait souffrir, et qui veut en réalité retrouver son Phil. Mais Lizzie est incapable d’avouer ses sentiments. Trop coincée, trop « maman », se refusant à accepter le fait qu’elle est encore une femme, une vraie, avec un vagin. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Estelle, sa folle de mère, lui reproche constamment de ne pas faire le premier pas. Ou quand la mère conseille à sa fille de (se) prendre un bon coup de bite. Du glauque à domicile.
Phil le rouge
De même, le clodo en pince pour Lizzie. Il complexe sur sa condition sociale et pense que la Doctoresse ne le considère que comme un vulgaire « domestique », ce qui n’est pas totalement faux. Il est vrai que Phil manque de confiance en lui, comme tout chômeur de longue durée. Ce complexe d’infériorité est très visible lors du dîner arrosé au vin rouge avec le nouvel homme de son ex-femme, un richissime et arrogant trader. Son discours contre le capitalisme et sa défense des victimes du système fera date dans l’histoire des sitcoms AB : « Les SDF doivent survivre, ils n’ont pas de temps EUX (…) un jour le dollar, le sacré saint dollar, disparaîtra. »
Anarchiste le Phil ? En tout cas il est prêt à défendre les opprimés, ceux de la pègre qu’il a pu côtoyer pendant ces longs mois de décadence à vivoter sous les ponts. Pour mettre un peu de piment dans la série, les scénaristes s’amusent alors à introduire un peu d’action. On assiste alors, les yeux ébahis, à une violente prise d’otage au sein même de la maison des Girard (à l’instar de ce qui se passe dans les Années Fac ou les Filles d’à Côté). Phil encore une fois est le héros du jour, même si on découvre que le preneur d’otage n’est rien d’autre qu’un ancien camarade de Phil…
Chez les Girard, le cyber-clodo vit dans un quartier bourgeois, où règnent les médisances des vieux riches aigris. Mal vu par les locaux, il est accusé à de nombreuses reprises de vols, car il est « ancien SDF, après-tout ». On l’accuse ainsi d’un vol de vase ou encore d’une bouteille de vin d’une valeur de 20 000F ! Parce que oui, Phil en plus d’être clodo, est évidemment un ancien alcoolique. Donc forcément suspect. Mais Phil réussit toujours à briser les préjugés, les idées reçues.
« La sitcom forme une sorte de grande synthèse de toutes les belles valeurs judéo-chrétiennes : tolérance, amour de son prochain et don de soi »
Il innocente parfois ses anciens compagnons, accusés eux aussi à tort et leur obtient même des « allocations pour se réinsérer. » Ou alors, il parvient à convaincre ses anciennes fréquentations que voler c’est mal, même quand on vole des bourges. Ainsi, la sitcom forme une sorte de grande synthèse de toutes les belles valeurs judéo-chrétiennes : tolérance, amour de son prochain et don de soi. On encourage à respecter la différence, notamment vis-à-vis des étrangers.
En outre, on y critique ouvertement la société de consommation. L’aliénation que nous subissons par la nouvelle technologie est aussi dénoncée. Par exemple, l’arrivée du téléphone portable est vivement combattue par le cyber-clodo, pourtant pas le dernier à jouer sur son ordinateur. Un gauchiste à domicile.
« S’il y a une chose que je n’ai pas en commun avec mon personnage, c’est le génie de l’électronique. A part ça, c’est vrai nous sommes tous deux beaux, élancés et sportifs… »
Malheureusement, nous n’avons pu retrouver Pierre-Jean Chérer. Dans l’inévitable Télé Club Plus, le comédien parlait de son rôle, non sans humour : « S’il y a une chose que je n’ai pas en commun avec mon personnage, c’est le génie de l’électronique. A part ça, c’est vrai nous sommes tous deux beaux, élancés et sportifs… » Lui qui disait vouloir être clown semble avoir réussi son rêve d’enfant. Son personnage fait d’ailleurs le clown à longueur de temps. On le voit ainsi parler à son aspirateur, au frigo et même… aux légumes.
Et le pire, c’est qu’au fur et à mesure, on finit par s’y habituer. Par contre, on regrettera l’aspect trop familial de la sitcom. On aurait bien aimé voir Phil craquer au moins une fois devant les incessantes avances de la grand-mère, par exemple. Rien non plus de concret avec Élise, pourtant âgée de plus de 18 ans (une relation avec Marie ou Gédéon, on comprendrait que les programmateurs de France 2 n’aient pas été compréhensifs). C’est même l’inverse : Phil n’hésite à prodiguer des conseils en amour à la jeune femme, qui ne rencontre que des pauvres types.
« La dernière scène nous montre une partie de cartes chez les Girard, le jeu des Sept familles plus précisément »
La fin de la sitcom nous laisse malheureusement sur notre faim. En effet, comme souvent avec les sitcoms AB à faible audimat, il n’y en a tout simplement pas. La dernière scène nous montre une partie de cartes chez les Girard, le jeu des Sept familles plus précisément. Mais ce jeu qui semble anodin pourrait être en fait interprété comme une fin ouverte. Notre hypothèse serait que cette partie laisserait présager l’idée d’une nouvelle famille avec Phil. On pourrait d’ailleurs imaginer voir la MILF dire : « Je demande le clodo… » Et Phil de se lever et embrasser fougueusement Lizzie, sous les applaudissements des membres de la famille.
Et l’après AB ? Thème classique quand on reparle des sitcoms AB. Un Homme à Domicile n’a pas vraiment vu l’éclosion de bons comédiens. Les frères Cherer ont été transférés aux Nouvelles Filles d’à Côté. Échec total, puisqu’il y existe un rare consensus chez les fans d’AB pour considérer que les remplaçants de Thierry Redler sont pitoyables. [5]
Toutefois les frères Cherer ont réussi à mener une honorable carrière de comédiens au théâtre, tout comme Manoëlle Gaillard et Virginie Pradal. La native de Perpignan, Charlotte Julian, continue les tournées « nostalgiques », dans lesquelles elle chante ses éternels tubes 70’s.
Les deux affreux gamins, après un passage peu remarqué dans la sitcom ratée Extra Zigda (pour Gédéon), ont tout simplement continué leurs études et ont aujourd’hui de vrais métiers. Enfin, c’est le cas Marie Roversi qui est le plus intéressant. Après avoir tourné dans quelques films, elle s’est reconvertie dans le monde de la mode et a épousé l’héritier d’une des plus grandes sociétés de publicité en France, Raphaël De Andreis. Bien vu l’artiste.
Notes :
1- Démarrage difficile d’« Un homme à domicile » Article paru dans l’édition du Monde 23.07.95
2- http://animeguides.free.fr/series/hommedomicile/listing.htm
2- Les articles sont consultables sur ce forum : http://universab.tonempire.net/forum.htm
3- Alinedine sur le forum de la sitcomologie : « Appeler un gamin Gédéon dans les années 90 c’est limite de la maltraitance… »
4- Toutes les interviews ont été réalisées par le sitcomologue Karim par le biais de facebook. Qu’il en soit remercié ici.
5- Voir « les frères Castor de chez AB »
Discussion3 commentaires
« Que dire de cette famille Girard ? D’abord, on ne connaît pas ses liens avec les Girard de Premiers Baisers ni du Miel et les Abeilles. On émettra seulement l’hypothèse que la maman, Manoëlle (NDLR : vous vouliez dire Elisabeth), pourrait être l’ex-épouse d’un des frères de Roger Girard. Pourquoi pas l’inconnu Théodule, ou alors carrément Framboisier ? » Théorie peu probable, car Théodule est déjà le père de Deborah, de « Premiers Baisers ». Et je penche plutôt pour l’hypothèse selon laquelle Framboisier serait le père de Virginie (Miss Cassoulet).
Non Virginie ne peut pas être la fille d’un des frères de Roger Girard car dans un des épisodes Marie dit : » Celle – ci c’est de mon côté » ou un truc dans le genre mais qui nous fait comprendre que Marie aurait un frère ou une sœur et qu’elle serait donc sa nièce et la nièce par alliance de Roger.
Réponse à Milune : oui et non. Dans « Premiers Baisers », Virginie est effectivement présentée dans un premier temps comme la fille d’un des frères de Marie, mais le scénario se contredit ensuite à plusieurs reprises. Ainsi, lorsque la mère de Roger débarque dans la série, celle-ci est présentée comme la grand-mère de Justine mais aussi comme celle de Virginie (ce qui signifie que Vivi est la cousine de Justine du côté de son père, Roger, et non du côté de sa mère, Marie). Plus tard, Virginie est de nouveau présentée comme une nièce par alliance de Roger (dans l’épisode 264, lorsque François demande à Roger la main de Virginie, ce dernier répond : « Je ne suis que son oncle […] Il faut d’abord que j’en parle à mon beau-frère, et puis à la principale intéressée, Virginie », ce qui sous-entend que Virginie est bien la fille d’un de ses beaux-frères, et non la fille d’un de ses frères). Et plus tard, il est expliqué que Virginie a pour nom de famille Girard (comme Roger)… Allez comprendre.