La Philo selon Philippe possède une singularité propre au sein de l’univers AB : en tant que objet philosophico-comique non identifié, la sitcom n’a pas pour simple but de narrer la vie de lycéens lambda. Elle est aussi une œuvre morale et didactique, permettant à travers la « philosophie » de Phil, la jeune vedette agrégée de « philo », de dispenser une rhétorique sur tout un tas de sujet divers et variés.
Ici, dans l’épisode n°63 « Le passager clandestin », c’est la question de la dichotomie entre solidarité et charité qui est abordée. Une scène va en particulier marquer les esprits, de part son inoubliable caractère psychédélique.
« Non mais je rêve là, qu’est-ce qu’il fait là ce clodo ? »
L’épisode démarre pourtant de manière classique par l’arrivée de Phil et Valentine à la salle des profs. Ils font une étonnante découverte : « Mais qu’est-ce que ça ? Tu trouves pas qu’il y a une drôle d’odeur ? », demande alors Valentine à son collègue à peine entré dans la pièce.
« Ça », c’est en réalité un certain Léon, un clochard alcoolique qui explique avoir simplement passé la nuit dans le lycée, profitant de la négligence du concierge pour s’infiltrer dans l’établissement. Les deux profs sont ostensiblement gênés par cette étrange découverte quand arrive à son tour Gérard Caldéro, le prof de maths connu pour être la figure politiquement incorrecte de l’équipe pédagogique. La tension monte d’un cran :
Caldéro : – Non mais je rêve là, qu’est-ce qu’il fait là ce clodo ?
Léon: – On s’connaît ?
Caldéro : – Ah non je crois pas non. J’aimerais bien savoir ce que vous faites ici ?
Léon: – J’dormais.
Caldéro : – Ben voyons. Non mais c’est n’importe quoi ce lycée si n’importe qui peut rentrer comme ça ?
Léon : – Ooooooouh, toi je te sens pas bien l’grand.
Caldéro : – Eh bien moi en revanche… j’peux pas en dire autant. Oui bon vous pouvez pas rester ici.
Léon: – Bah pourquoi ?
Phil : – Écoutez Léon, on est dans un lycée, y a beaucoup d’élèves et là on est dans la salle des profs.
Léon : – Non mais ça dérange qui si je reste ? Non mais franchement, vous avez vu la température, on peut pas mettre les… clodos dehors avec ce temps-là ?!
Phil : – C’est vrai qu’il fait très froid… mais vous avez pas d’autres endroits pour dormir ?
Léon : – Ah non, j’ai rien.
Caldéro : – Y a bien des hospices, ou des refuges, pour des gens comme vous…
Léon : – Aaaaaaaaaaah, il rigole lui. A cette saison ils sont tous pleins. Non j’ai juste le choix entre dormir ici ou crever sur le trottoir.
Phil : – Écoutez, on va essayer de trouver une solution. En attendant vous allez rester ici.
« M’sieur, ce n’est plus un cours de philo, c’est un cours de caté là »
On le voit, comme d’habitude Phil incarne en quelque sorte l’homme providentiel, celui qui lors de chaque situation problématique, tente de trouver une solution humaniste et bienveillante. Mais surtout, Phil profite de ce cas pratique pour donner matière à son cours de philosophie qui n’a pas été manifestement travaillé à l’avance. En effet la leçon de « philo » du matin traite comme par hasard de la solidarité. Phil propose de débattre sur le sujet en l’opposant à la charité. Les élèves ont alors l’occasion de donner leur avis sur la question. Dans la classe de la Terminale 2, deux clans, deux visions caricaturales s’opposent.
Pour Sophie, la groupie number one de Phil, la solidarité, « c’est un devoir, surtout à notre époque où les injustices et les inégalités sont de plus en plus grandes. » Pour Serge au contraire, pas question d’être en accord avec cette vision misérabiliste. Le blondinet préfère alors donner dans le relativisme épistémologique : « On critique sans arrêt notre époque mais elle est pas si terrible que ça. Regardez au Moyen Age s’il y en avait pas des inégalités ! Non je trouve que notre époque c’est vraiment la meilleure ! » La copine de Sophie, Flo, en rajoute une couche et semble être à deux doigts de prendre sa carte à la LCR : « Chômage, terrorisme, pauvreté, dictature de l’argent. Tu parles d’une époque. »
On peut voir que les propos des élèves de la Philo selon Philippe ne sont pas si éloignés de ceux que pourraient tenir des jeunes des années 2010. La causerie se poursuit et grâce à une intervention du trublion Pichard, les protagonistes lorgnent imprudemment du côté de la religion :
Pichard : – M’sieur, ce n’est plus un cours de philo, c’est un cours de caté là.
Phil : – Non je peux pas vous laissez dire ça Monsieur Pichard. Les devoirs moraux ne relèvent pas forcément de la religion. On peut très bien être laïc et avoir un sens moral très développé.
Brémont : – Surtout que côté charité la religion n’a de leçon à donner à personne.
Audrey : – Ouais c’est vrai. Les Restos du cœur ça n’a rien à voir avec la religion, et pourtant ça marche.
Serge : – Tout ce qui vient de la charité je déteste. C’est à l’État de prendre en charge ce genre de problèmes. Parce que le côté à votre bon cœur M’sieur dame bah ça créé des systèmes de dépendance et de gratitude.
Sophie : – Je suis pas du tout d’accord. Aucune allocation ne remplacera jamais un sourire. Je sais pas si t’es au courant mais la charité et la solidarité ce n’est pas qu’une question d’argent.
« Ça comme vous dites Monsieur le Proviseur c’est un être humain. Qui souffre »
En plein milieu de ce débat d’une telle intensité et d’une telle profondeur de réflexion, c’est Monsieur le Proviseur qui rentre littéralement en scène. Comme à son habitude, il interrompt le cours de Phil et n’hésite pas à invectiver le professeur devant les élèves. La cause ? Léon le clodo bien évidemment.
Gautrat vient en effet de surprendre l’infâme ivrogne dans les couloirs du lycée, à la recherche « d’une tite pièce » pour prendre un café. Naïvement persuadé que Phil est le patron des lieux, le clodo pensait alors pouvoir se balader tranquillement au sein de l’établissement. Quand il apprend que Phil a donné l’autorisation au SDF de traîner dans le lycée, Gautrat est à juste titre fou de rage. Il hurle au professeur de lui expliquer sur-le-champ qu’est-ce que c’est que « ça » en montrant le clodo. Phil fait comme à son habitude son grand numéro : « Ça comme vous dites Monsieur le Proviseur c’est un être humain. Qui souffre. »
Convoqué après le cours dans le bureau du chef, Phil ne se débine pas, même s’il concède qu’il aurait du prévenir son supérieur hiérarchique d’une telle décision. N’en reste pas moins que pour lui, l’urgence de la situation fait qu’il n’a pas eu d’autre choix que de laisser le clodo au chaud dans le lycée. Pour Gautrat, c’est la faute de trop : « Vous laissez un clochard dans l’établissement. Au risque de compromettre la santé morale et psychique de centaines d’élèves. »
« Un clochard puant, ivrogne et sans doute agressif. Mais allez-y, allez lui tendre la main si c’est si facile »
Les élèves se divisent à leur tour sur la question : clodo ou pas clodo. Pour les filles, il faut suivre Phil et son humanisme dégoulinant. Pour les garçons au contraire, cet alcoolique n’a rien à faire là. C’est Yves Brémont qui résume le mieux la pensée pragmatique balladurienne des anti-clodo : « C’est vous qui êtes excessives. Ou plutôt rêveuses. Le pauvre sans-abri à qui il faut tendre la main c’est bien joli. Mais vous avez vu à quoi elle ressemble la réalité ? Un clochard puant, ivrogne et sans doute agressif. Mais allez-y, allez lui tendre la main si c’est si facile. »
Toutefois, qu’on se rassure, l’histoire va bien se terminer. Parce que Bonheur City. Parce que les sitcoms AB font régner l’amour et l’amitié. Parce que la Philo selon Philippe est avant tout une œuvre humaniste et bisounours. Et c’est de la (mauvaise) conscience du proviseur Gautrat que va naître la remise en question du dogme anti-clodo.
Dans une scène fabuleuse et complètement improbable (même au sein de l’univers AB), le proviseur s’imagine à son tour clochard. Dans un rêve psychédélique, il se voit faisant la manche dans la rue, harcelé par des personnages hauts en couleur tous incarnés par les protagonistes de la série. Caldéro d’abord, en loubard sixties à moto. Vient ensuite Monsieur Maillet, le prof d’histoire en arrogant capitaliste sapé comme un bourgeois du XIXième siècle. Puis débarque la meute d’élèves, déguisés en violents anarcho-punks. Enfin, last but not least, c’est au tour de Phil d’apparaître, jouant le bon samaritain dégoulinant de bons sentiments, tendant la main vers lui. C’en est trop pour Monsieur Gautrat qui se réveille en sursaut, terrifié par ce qu’il a vu. Le pire cauchemar possible, car voir ce connard de Phil et sa charité de curé de campagne fait effectivement froid dans le dos. Ainsi, tandis que Phil héberge le temps d’une soirée le clodo, lui offrant nourriture, douche et habits, Monsieur Gautrat débarque avec de nouvelles intentions. Usant de ses « contacts », il permet à Léon d’obtenir une place dans un foyer, ainsi qu’un boulot afin que le SDF puisse se dignement se réinsérer dans la société.
Comme toujours, l’épisode se conclut par un happy end, une belle histoire qui prouve que n’importe qui peut un jour tomber dans l’alcool et la précarité, et que la solidarité et la charité peuvent aisément se marier pour aider nos semblables. Surtout, elle permet de se rendre à quel point aucun être humain ne mérite de subir la gentillesse et la charité chrétienne de personnes comme Phil.
Les Clodos dans les sitcoms AB
L’épisode de la Philo sur le sujet des SDF est loin d’être un cas isolé dans les sitcoms AB. Régulièrement, des personnages de « clodos » viennent rencontrer les héros des sitcoms. La sitcom Un Homme à Domicile en est bien évidemment le symbole le plus fort, puisque la sitcom traite de la réinsertion d’un SDF au sein d’une famille de la bourgeoisie parisienne.
Tous les clodos d’AB ont les mêmes caractéristiques : ce sont des hommes âgés, alcooliques, ils puent, sont moches et souvent mal élevés. On les rencontre dans la rue bien sûr, mais aussi en cellule quand les héros de sitcoms finissent au commissariat après une bonne bagarre. Précisons au passage que jamais on ne verra de jeunes vivant dans la précarisation, ni même de punks à chiens.
Voilà un petit florilège non exhaustif de SDF aperçus dans les sitcoms AB :
Il est à noter qu’un comédien revient souvent dans le rôle type du clodo d’AB : un certain Jean-Michel Dagory. C’est lui qui incarne Léon dans le fameux épisode de la Philo. Il est aussi Dédé le clodo sympa qui devient le complice de Filip dans Pour Être Libre. Tombé dans l’alcool et la dèche après avoir perdu son boulot et sa femme, Dédé mène une vie de clodo puant classique jusqu’à sa rencontre avec le 2be3 qui lui permettra de se laver et de retrouver l’amour de sa vie !
En parallèle, le comédien joue de nouveau un clodo dans la sitcom Extra Zigda (un clown dépressif et archi violent) ou encore en 1997 dans les Vacances de l’Amour, où il incarne une sorte de vieux fou sur une île déserte.
Dans la « vraie vie », rien n’indique en tout cas que Dagory puisse avoir été dans le passé lui-même un SDF, même s’il concède dans un portrait à Libé en 2000 toujours galérer professionnellement : « Je suis un mec qui passe son temps à chercher et qui ne trouve pas. Mais au moins j’ai le courage de beaucoup chercher ! » On découvre alors qu’il est un artiste à multiples casquettes. Un comédien, un voyageur mais surtout un écrivain. Il peut ainsi se targuer d’être le seul à avoir écrit un polar dans une station de métro en 1997 (« dans une bulle de verre à la station Auber pour un festival du genre labellisé par la RATP« ).
Discussion4 commentaires
bonjour,
je tombe par vrai hasard sur le gentil article que vous me consacrez. je suis dagory « le clodo puant »!!! En fait ce sont des rôles extraordinaires à jouer parce que toujours humains. Bcp d’âutres rôles sont ternes même s’ils sont plus longs et semblent plus valorisants au public…
Pour la vérité je ne joue plus mais je suis le papa d’une merveilleuse petite fille de 9 mois et ma vie est belle.
Et… je suis diplomé HEC et j’ai été directeur de clientèle en agence de pub… « la mue ça se fait à l’envers mon petit! » (Léo ferré).
Merci à Dagory d’avoir terminé cet article en beauté. Et félicitations être papa est le meilleure rôle qu’on puisse avoir dans la sitcom de la vie
Salut cest pour raconter que un jour cest le poulet qui ma plumé
dans le celebre film hitchbock
A tres biento un grand merci
A tout les eleves de classes cours preparatoires et études meme mini terme. lalcool partout.
pour les brocantes et tout.
cest des juste ptits marchés_