Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.
Guy Debord, La Société du spectacle (1967).
L’année 2012 marque le grand « retour » de Mallaury Nataf dans la société du spectacle. Depuis le début des nineties, la star la plus subversive des années AB a accompagné l’évolution de la télévision, du phénomène sitcom à la télé-réalité, jusqu’aux fantasques révélations sur sa nouvelle vie de SDF commentée par toute la twittosphère. [1]
La carrière artistique de Mallaury est faite de haut et de bas, de « coups » médiatiques plus ou moins réussis. Son passage au Jacky Show en 1994 [2] reste gravé dans la mémoire collective comme celui de la chanteuse qui ne porte pas de culotte. Avec la probable complicité du magazine de Thierry Ardisson Entrevue, la photo de la pilosité intime de Mallaury Nataf est dévoilée à la France entière, ce qui oblige AB à se séparer d’elle. Calculée ou pas, l’histoire de la petite culotte est le premier tournant dans la carrière chaotique de celle qui a incarné pendant deux ans Lola dans la sitcom Le Miel et les Abeilles.
« Excusez-moi, mais je suis une sans-culotte malgré tout »
Encensée par une certaine presse branchée [3], Mallaury Nataf tente une carrière de comédienne et de chanteuse dans l’underground, sans grand succès. Avide de reconnaissance et de passages télévisés, Mallaury se lance dans l’aventure de la real-tv de TF1, la pathétique émission La Ferme aux Célébrités [4]. Interrogée sur le sens de cette participation, elle raconte cette expérience à Mireille Dumas : « Participer à cette émission est une forme de provocations (…) J’en ai peut-être d’autres. Juste avant d’entrer dans ce programme, les trois ou quatre dirigeants de la chaîne [TF1] sont venus dans ma loge. Ils m’ont dit : « Nous allons vous observer. » Et d’ailleurs, ils m’ont suffisamment bien observée pour me sortir au bout de cinq jours. Excusez-moi, mais je suis une sans-culotte malgré tout. »
Foncièrement rebelle, Mallaury tente à sa façon de pervertir le système de l’intérieur. Lors de la semaine de sa « nomination », elle se déguise en clown et joue l’autiste, sous les rires moqueurs du public de la chaîne qui vend du temps de cerveau disponible.
Condamnée à l’échec, la subversion de Mallaury est logiquement broyée par la machine médiatique. De plus en plus distante avec l’impitoyable monde de la télé, la comédienne se fait plus discrète. Elle collabore avec quelques autres artistes décalés de sa génération (à l’instar de Doc Gynéco dans un clip), mais finit par disparaître brutalement des radars.
« Le personnage que s’est construit Mallaury depuis ses débuts dans les productions AB se désagrège en une espèce de bête de foire médiatique »
On a l’occasion de la revoir en 2006, lors de la fameuse émission de Jean-Luc Delarue consacrée aux anciens d’AB [5]. On peut y voir une Mallaury imprévisible, agressive vis-à-vis de son passé chez AB et déjà agacée par des problèmes d’argents. Préfigurant son retour fracassant en ce début d’année 2012, le personnage que s’est construit Mallaury depuis ses débuts dans les productions AB se désagrège en une espèce de bête de foire médiatique. Elle se prétend prof de Yoga et raconte sa consommation excessive de drogue (et de baise) pendant les tournages de la sitcom. Elle se montre ostensiblement rancunière envers les gens du métier, qui lui ont collé une étiquette et l’ont empêché de faire la carrière qu’elle dit mériter.
Dès lors, quand Mallaury Nataf s’est présentée comme une SDF dans le Parisien, puis s’est épanchée dans les sous-médias de Closer à Morandini, quiconque ayant suivi un tant soit peu son parcours n’a pas vraiment été étonné par ces révélations fracassantes.
Le but de cet article ne sera pas de répondre à la question de savoir si Mallaury Nataf a monté un coup médiatique pour revenir sur le devant de la scène, ni de tomber dans le pathos d’une femme brisée et détruite.
Beaucoup d’encre virtuelle a coulé ces dernières années, l’ovni Nataf faisant l’objet de débats déchaînés sur un sujet social aussi sensible qu’est la précarité, mais aussi sur la psychiatrie ou encore l’antisémitisme…
Loin de ces passions et de « l’actualité » de Mallaury Nataf, il semble préférable de privilégier le retour aux sources : son autobiographie [7], sortie en 1994 (!) et ses vieilles interviews des années 1990 [7]. Mais qui es-tu, Mallaury Nataf ?
« J’ai voulu ouvrir mon livre avec des préservatifs parce que c’est d’actualité. C’est un livre destiné aux jeunes »
En 1994, Mallaury décide en effet de raconter sa vie dans un livre alors qu’elle vient de quitter AB et son personnage, Lola, qu’elle a incarnée pendant deux années dans le Miel et les Abeilles. Dans ce livre unique en son genre, Mallaury parle de son enfance, de ses premières expériences sexuelles ainsi que son aventure chez AB. Dans une vieille interview accordée au magazine Entrevue, elle raconte la genèse de ce projet : « Ce livre a coûté tellement cher que finalement, il ne va pas nous rapporter grand-chose ! Il est très beau, il y a 600 illustrations, il fait 160 pages, ça coûte les yeux de la tête. Je ne l’ai pas fait pour gagner de l’argent. Je l’ai fait pour me faire plaisir et répondre à toutes les questions que m’ont posé mes fans pendant deux ans, dans les 60 000 lettres que j’ai reçues. »
Clairement adressée aux jeunes filles « fans » de Mallaury, ce livre, que nous nous sommes procurés sur internet pour la modique somme de 90 centimes (!), est sans aucun doute aseptisé. Mallaury n’est jamais « trash », n’est violente envers personne et se contente d’une simple image d’une petite culotte dans le chapitre sur l’affaire du Jacky Show, sans aucune autre forme de commentaire. Le résultat est assez décevant pour tous les curieux et autres nombreux pervers « fans » de Nataf. Heureusement, quelques images de tampons et de capotes illustrent le livre, dans un but pédagogique bien entendu : « J’ai voulu ouvrir mon livre avec des préservatifs parce que c’est d’actualité. C’est un livre destiné aux jeunes parce que mon public est jeune. »
« La vie est trop courte, il faut en profiter, ce n’est pas l’argent qui est important, c’est le temps, car ce temps, personne ne le vous rendra ! »
Mallaury en 1994 ne cherche donc pas encore à briser son image « fleurie » travaillée chez AB Productions. Au contraire, elle joue la « grande sœur », prodiguant des conseils d’une profondeur rarement atteinte aux « filles » : « La vie est trop courte, il faut en profiter, ce n’est pas l’argent qui est important, c’est le temps, car ce temps, personne ne le vous rendra ! (…) Ayez le sourire, la meilleure et la seule façon d’aborder une journée, c’est de sourire. Je l’ai toujours constaté, si je sors de chez moi sans sourire, je passe une mauvaise journée (…) Sortir, faire la fête ! C’est bien, mais pour mieux l’apprécier, encore faut-il en être privé de temps en temps ! Sinon comment peut-on voir la différence ? »
Le fabuleux article de Technikart paru en 1999 rappelle bien ce qu’était la Mallaury Nataf du Miel et les Abeilles : « Pendant deux petites années, Mallaury fut la reine. Des ados et d’AB Productions, de TF1 et de Jeune et jolie. Avec sa concurrente de Classe mannequin, Vanessa Demouy, elle faisait la couverture de tous les mags télé, brisait les records d’audience et récoltait les sourires condescendants du public cultivé, vous, moi, Télérama, Le Monde… Pauvre fille, pensait-on, qui se fait manipuler par le système pour mieux être larguée par la suite. »
« C’est en évoluant dans cette grande famille de pieds noirs juifs, sans autorité masculine, mais dont les enfants étaient unis comme les cinq doigts de la main, que mon père a acquis une philosophie de la vie à toute épreuve »
Dans « A la Vie, à l’Amour », Mallaury narre son enfance de jeune fille française dans les années 80, baladée de villes en villes dans une famille non conformiste : « Mon vrai prénom est Marie-Laurence. Je suis née à Lille, le 19 mars 1972, dans une famille dont on peut dire qu’elle était un peu « fouillis ». Lille, c’était une étape parmi les nombreux déménagements de mes parents. Mes parents se sont rencontrés très jeunes. Maman avait 17 ans. Mon père n’était pas souvent avec nous. J’en étais triste car il était vraiment le père Noël pour moi. Son métier de commercial en publicité qu’il exerçait à travers toute la France, le retenait éloigné de la maison deux, trois, quatre mois d’affilée. Mais quand il rentrait, que de fous rires ! Il arrivait les bras chargés de cadeaux pour moi, de fleurs pour ma mère (…) C’est en évoluant dans cette grande famille de pieds noirs juifs, sans autorité masculine, mais dont les enfants étaient unis comme les cinq doigts de la main, que mon père a acquis une philosophie de la vie à toute épreuve. Pour lui, chaque jour qui passe est une nouvelle occasion de faire la fête. »
« La principale règle de vie était : rien n’est impossible. J’ai hérité de cet optimisme débordant »
Loin de ses dernières déclarations dans la presse, l’enfance de Nataf semble finalement assez joyeuse : « La principale règle de vie était : rien n’est impossible (…), j’ai hérité de cet optimisme débordant. » Le père semble en effet avoir marqué durablement le style de vie de Nataf.
Sa description nous rappelle d’ailleurs étrangement celle d’une autre figure paternelle dans la vie de Mallaury, ce cher Jean-Luc Azoulay : « Papa a exercé des métiers très différents. Il a d’abord été représentant de commerce : il vendait des trousseaux en faisant du porte-à-porte. Il n’avait pas son pareil pour convaincre les ménagères d’acheter des produits dont elles n’avaient pas l’usage. Ensuite imprimeur, publicitaire, restaurateur… Il y a eu des périodes où il gagnait un argent fou. Alors on vivait dans des maisons somptueuses, on allait dans les plus beaux hôtels, on mangeait du caviar et on roulait en Rolls Royce. Et puis parfois, on traversait des périodes de vaches maigre ; alors là, on roulait en 4L et on mangeait des pommes de terre. Car à la maison, l’argent n’a jamais été un but en soi, mais un moyen de vivre plus agréablement. Donc à quoi bon le garder ? » Très bonne question, à laquelle nous aurons l’occasion de reparler sur la vie post-AB de Mallaury…
« J’étais une bonne élève, très bavarde, mais je participais. Sur mes bulletins, il y avait toujours les mêmes remarques de la part des professeurs : Bonne élève, sérieuse, appliquée mais bavarde et originale »
De l’autre côté, avec la mère de Mallaury, les rapports semblent avoir été plus tendus. Difficile de ne pas sourire lorsque Mallaury l’évoque : « Mon père étant souvent absent et ma mère ayant le rôle du gendarme dans le couple, je n’ai pas eu de très bons rapports avec elle. Je n’ai jamais supporté l’autorité. Alors je me rebellais, je faisais souvent la tête. Mais avec le recul, je me rends compte combien elle avait raison (…) sans cela, je n’aurais peut-être pas la discipline qui est la mienne à 22 ans. »
Face aux autres enfants, Mallaury se présente comme une fille plus mature, cultivée et studieuse bien que déjà bavarde : « Je ne traînais qu’avec les grands de 18 ans. Comme j’étais assez posée, que j’avais un discours logique du fait de mes nombreuses lectures, les garçons et les filles venaient toujours me parler de leurs histoires de cœur. Je leur donnais des conseils et il faut croire qu’ils leur plaisaient puisqu’ils revenaient me voir. Cela a été les meilleures années de ma scolarité. J’étais une bonne élève, très bavarde, mais je participais. Sur mes bulletins, il y avait toujours les mêmes remarques de la part des professeurs : Bonne élève, sérieuse, appliquée mais bavarde et originale. »
« Je n’étais pas très belle, j’avais des lunettes, des gros sourcils et j’étais habillée n’importe comment : au goût de ma mère »
Pour illustrer les différentes étapes de sa vie, et pour ne pas déplaire à ses fans moches, Mallaury donne un espoir fou à toute une génération de jeunes filles complexées. Elle ajoute ainsi des photos d’elle boutonneuse, parée d’un appareil dentaire et habillée salement comme seuls pouvaient l’être les gosses des 80’s : « Je n’étais pas très belle, j’avais des lunettes, des gros sourcils et j’étais habillée n’importe comment : au goût de ma mère. »
Aujourd’hui on connaît la place de la religion dans la vie de Mallaury. Dès son enfance, elle semble déjà dans la confusion la plus totale : « Ma relation avec une religion en perte de vitesse a toujours été contradictoire. Née d’une mère catholique, ayant évolué dans le respect du christianisme, et d’un père juif non moins empreint des racines de son peuple, il m’a fallu prendre une décision (…), ma grand-mère maternelle me lisait le Nouveau Testament, non comme une « Bible » mais comme l’histoire incroyable d’hommes qui étaient partis prêcher la bonne parole. Là je me suis réconciliée avec le christianisme. Mais je me sentais toujours plus proche de la pensée juive, qui, me semble-t-il, met en application jour après jour, cette foi de façon probante. »
« Si j’avais vécu une enfance sans remous, je n’aurais probablement jamais fait le métier de comédienne »
En 1994 toutefois, Mallaury aborde la religion dans son aspect le moins polémique et le plus consensuel possible, loin de ses déclarations [8] d’aujourd’hui sur la véritable nature de la religion juive : « Je n’ai pas besoin d’aller dans une église ou une synagogue pour comprendre que la religion, cela devait être : écouter son prochain, l’aimer et par effet de miroir, il t’aimera à son tour. La misère a envahi nos écrans de télé, nous la regardons confortablement installés dans nos canapés et nous en profitons pour oublier de balayer devant notre porte ! »
Au final, Nataf garde un excellent souvenir de son enfance et remercie sagement ses parents. S’affirmant comme étant en avance sur ses congénères dès son enfance, Mallaury y voit les raisons de son parcours et de sa réussite. Par ce bouquin, elle justifie ainsi rétroactivement sa brillante carrière de comédienne. Mallaury n’est bien évidemment ni la première, ni la dernière à se mettre en scène de cette manière. N’oublions pas en effet avec Pierre Bourdieu que, « le récit autobiographique s’inspire toujours, au moins pour une part, du souci de donner sens, de rendre raison, de dégager une logique à la fois rétrospective et prospective, une consistance et une constance, en établissant des relations intelligibles, comme celle de l’effet à la cause efficiente, entre les états successifs, ainsi constitués en étapes d’un développement nécessaire. Cette inclination à se faire l’idéologue de sa propre vie en sélectionnant, en fonction d’une intention globale, certains événements significatifs et en établissant entre eux des connexions propres à les justifier d’avoir existé et à leur donner cohérence. » [9]
Mallaury nous offre donc ses propres clés explicatives d’une carrière quasi prédestinée : « Je m’aperçois que j’aurais pu mal tourner. Mais je ne garde que le positif de cette enfance qui m’a donné d’excellentes armes pour me défendre, maintenant que le temps de jouer est révolu et qu’il faut affronter la vie active. Ma prise de conscience, grâce ou à cause des premières années de ma vie, a été plus rapide que la plupart des jeunes que je vois évoluer autour de moi. Je suppose que si j’avais vécu une enfance sans remous, j’aurais eu une vie plus « normale » par la suite, je n’aurais probablement jamais fait le métier de comédienne (…) Et cela, je le dois à mes parents. »
« Un jour, j’ai eu un rendez-vous à AB production, je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait. Je pensais que c’était un énième casting de mannequin comme les autres, c’était mon dixième de la journée »
Après avoir empoché facilement son bac, Mallaury, « pour faire plaisir à ses parents », se lance sans convictions dans les études supérieures. Voulant probablement prouver qu’elle est moins bête que l’image qu’elle peut renvoyer à la télévision, Mallaury raconte non sans fierté son bref passage dans le monde étudiant : « J’avais été reçue dans toutes les écoles pour lesquelles j’avais passé un concours. J’optais pour le MBA Institute, école bilingue américain, français. La première année a été géniale, je gérais mon temps comme je l’entendais : faire la fête le soir et suivre les cours le jour. »
Mais un événement va changer à jamais la vie de Mallaury. Tandis qu’elle mène en parallèle une vie d’étudiante fêtarde et une discrète carrière de mannequin, elle succombe involontairement à la « machine AB » : « J’ai enchaîné casting sur casting, dix par jour, tout en continuant mes cours. Un jour, j’ai eu un rendez-vous à AB production, je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait. Je pensais que c’était un énième casting de mannequin comme les autres, c’était mon dixième de la journée. J’étais crevée. On me donne un texte à lire, je le lis, au revoir et merci. Je ne savais pas si j’avais « assuré » ou pas, quand trois jours après, on me téléphone pour me dire que je devais repasser les voir pour jouer une scène comique. J’y suis allée sans trop y croire. Je pense que je ne voulais surtout pas me monter la tête. Un soir on m’a appelée pour me dire que j’avais le rôle. Je n’ai pas sauté de joie, je n’ai rien fait, je me suis juste couchée. Je crois aussi que je n’avais pas compris tout ce que cela impliquait. Il ne me restait plus qu’à prévenir mon père et à arrêter les études. Nous avons pris rendez-vous avec le directeur de MBA qui a littéralement été horrifié de voir que je quittais sa prestigieuse école pour un métier aussi instable que celui de comédienne. Mon père, très diplomate, lui a répondu en rigolant : « Ne vous inquiétez pas, elle est folle ! »
« Je préférais découvrir le texte en arrivant le matin et garder l’amusement de l’inconnu. Les deux premiers mois, les comédiens m’ont fait des reproches et puis après, ils ont tous fonctionné pareil. Il faut toujours se méfier des grandes théories »
Les premiers jours de tournages semblent avoir été terribles pour la jeune comédienne, seule amatrice dans le cast, comme elle tient à le rappeler : « Les premiers mois ont été durs, cette cadence infernale finit par fatiguer le métabolisme tout entier puis ensuite, on prend le rythme et cela devient normal (….) Comme j’étais la seule non professionnelle sur le tournage, j’ai eu le droit de la part des vrais comédiens aux conseils et aux grandes théories sur la façon de travailler. Le premier conseil était d’apprendre son texte deux, ou trois jours avant le tournage pour bien le digérer. Je ne l’ai pas suivi. Je préférais découvrir le texte en arrivant le matin et garder l’amusement de l’inconnu (…) Les deux premiers mois, les comédiens m’ont fait des reproches et puis après, ils ont tous fonctionné pareil. Il faut toujours se méfier des grandes théories. »
« Le Miel ? Ben… y a pas d’histoires. En gros c’est une jeune fille qui a plein de garçons qui tournent autour comme ils tourneraient autour d’un pot de miel. Sauf qu’elle ne concrétise jamais. Donc je suis une frigide dans le feuilleton »
En plus d’avoir pourri le niveau global de ses collègues, Mallaury joue donc le personnage principal, celui de la bele Lola. Le Miel et les Abeilles est en réalité un faux spin-off de Premiers Baisers et d’Hélène et les Garçons, véritable sitcom loufoque censée parodier l’univers AB ! Vaste programme…
Mallaury Nataf a tout le mal du monde pour expliquer le Miel au grand public, comme on a pu l’entendre chez Thierry Ardisson : « Ben… y a pas d’histoires. En gros c’est une jeune fille qui a plein de garçons qui tournent autour comme ils tourneraient autour d’un pot de miel. Sauf qu’elle ne concrétise jamais. Donc je suis une frigide dans le feuilleton. »
Introduits par l’épisode spécial « La Famille Fou rire », Mallaury Nataf et ses « abeilles » connaissent immédiatement un vrai succès d’audience, surfant sur la vague AB. Lola Garnier est la vague cousine de Justine et Hélène, la version « sexe » de l’héroïne de sitcom AB de base, une étudiante en fac qui vit entourée de garçons fous d’elle. Elle est agrémentée de toute une galerie de personnage hors des « normes AB », tel Johnny le rockeur « dégoulinant », Giant Cocoo l’ex-pornostar que les nanophiles connaissent bien, ou encore Ary le sérial-tartineur des biscottes de Marie, la cousine de Lola…
« Je ne devais pas traiter Lola à la légère, tout ce qu’elle renvoyait n’était pas anodin. Il fallait qu’elle apporte quelque chose aux millions de gens qui la regardaient, qu’elle essaye de répondre à leurs attentes »
Dans son autobiographie, Mallaury développe toute une analyse sur son personnage, pour lequel elle semble avoir eu une intense réflexion : « Comme je travaillais les jours de diffusion de la série, je n’avais jamais eu l’occasion de me voir. Puis un jour, au bout de six mois, un tournage a été annulé. J’ai allumé la télé et je me suis vue. Cela a été un choc. J’ai compris que l’on me regardait, que des téléspectateurs voyaient la série. Le mot audimat, dont on nous parlait à AB, prenait une signification concrète à mes yeux. J’ai réalisé que j’étais responsable de ce que je renvoyais aux gens. Je ne devais pas traiter Lola à la légère, tout ce qu’elle renvoyait n’était pas anodin. Il fallait qu’elle apporte quelque chose aux millions de gens qui la regardaient, qu’elle essaye de répondre à leurs attentes. »
« On début on a essayé une frange, ensuite je n’avais pas les cheveux raides alors on les a lissés. Mais ça ne me plaisait toujours pas et il fallait que Lola me plaise. J’avais ce personnage entre les mains et je ne savais pas quoi en faire »
De cette « révélation », Mallaury en tire une leçon : Lola a une mission, devenir l’icône de toute une génération de filles. Mais dans le carcan AB, la marge de manœuvre de Mallaury reste limitée.
Il est en effet difficile d’apporter sa contribution au personnage de Lola, rôle formaté et englué dans les créations azouléennes : « Je devais apprivoiser Lola. Ce n’était pas chose facile. Il y avait des problèmes de costumes, de silhouette. On n’arrivait pas à trouver son look. Elle était un peu chiante à mettre en place cette Lola. Je pense que ce personnage à mis un an et demi à arriver à un résultat qui me satisfasse (…) On début on a essayé une frange, ensuite je n’avais pas les cheveux raides alors on les a lissés. Mais ça ne me plaisait toujours pas et il fallait que Lola me plaise. J’avais ce personnage entre les mains et je ne savais pas quoi en faire. »
Toutefois Mallaury persévère et finit par comprendre le métier de comédienne. Révolutionnaire dans l’âme, elle tente de renverser le système AB qui impose directement ou indirectement l’ambiguïté entre un personnage et son comédien.
« J’ai discuté avec JLA pour qu’il rende à l’écriture le personnage plus intéressant, plus proche des jeunes, plus sympathique »
Ce que n’ont jamais su faire Camille Raymond ou Hélène Rollès, Mallaury l’entreprend : « J’ai commencé à comprendre que c’était un personnage autre que moi. Et c’était une découverte importante parce qu’on ne t’apprend pas cela chez AB. On te choisit parce que tu es proche du personnage et on ne te demande surtout de ne pas faire le faire évoluer ou de le distancier de toi. J’étais une des seules à prendre conscience de cela. D’autres comédiens novices disaient le texte, sans réfléchir à leur rôle, ils se contentaient d’être eux-mêmes – ce qu’on leur demandait d’ailleurs – mais moi, je voulais affronter mon personnage, lui donner une vie qui lui soit propre. »
Au final, Mallaury dresse un bilan positif de sa Lola : « En deux ans, Lola a changé, d’une petite fille sage, un peu peste et « commandeuse », elle est devenue plus humaine, plus drôle, plus jolie, un peu plus femme et plus réelle. Elle a évolué et moi aussi. Au début, quand tu ne sais pas jouer la comédie, ce qui était mon cas, tu utilises des procédés qui rendent le personnage antipathique. Tout était surjoué, je ne maîtrisais pas ma voix qui partait dans les aigus, on sentait que je n’étais pas à l’aise. J’ai discuté avec JLA pour qu’il rende à l’écriture le personnage plus intéressant, plus proche des jeunes, plus sympathique. »
« J’ai compris plus tard l’importance du Miel et les Abeilles aux yeux de JLA »
Mallaury Nataf et JLA semblent avoir une grande complicité. A partir de là, peut-on considérer Mallaury comme la fille spirituelle de Jean-Luc Azoulay ? Si on suit le raisonnement de la comédienne, il y a peu de doutes sur la réponse : « JLA est le créateur de AB. Il n’a pas de vie de famille, pas d’enfants et il s’est donc inventé son univers, jour après jour. Il s’est entouré d’actrices, toutes plus jolies les unes que les autres, qui viennent le solliciter, qui ont besoin de lui comme on a besoin de son père. Jean-Luc a construit tous ses petits personnages qui dépendent de lui et qui sont ses enfants. Je le considère comme mon père professionnel et j’ai pris le parti d’être une fille pour lui. Il porte une attention réelle aux gens qui travaillent avec lui. Dès notre rencontre, je lui ai tout raconté de ma vie, de mes histoires sentimentales et il m’a toujours donné des réponses intelligentes. C’étaient des problèmes de gamines mais il les écoutait comme si c’était une affaire d’État. Et puis, il suivait le déroulement, il me rappelait pour me demander : « Alors, comment ça se passe avec machin, comment il a réagi ? ». En même temps, cela apportait de l’eau à son moulin, il utilisait nos vies réelles dans la construction de ses scénarios. »
Souvent entendu chez les anciens comédiens d’AB, ce portrait de JLA est le signe d’une profonde reconnaissance envers le producteur mais aussi l’homme : « Jean-Luc est un psychologue incroyable. Quand il voit simplement un comédien à travers ses écrans de contrôle, sans jamais l’avoir rencontré, il peut dresser un portrait sommaire de son caractère et de sa personnalité. Quand il m’a engagée, je ne connaissais pas mon potentiel, ce que j’étais capable de faire, mais lui, je suis sûre qu’il le savait déjà. J’ai compris plus tard l’importance du Miel et les Abeilles à ses yeux. Lola, c’était une petite nana de dix-huit ans ayant du caractère, un peu bon chic, bon genre, vive, peut-être la fille qu’il n’a jamais eue. C’est vrai, le Miel est le seul feuilleton où il n’y a qu’un seul personnage principal. C’est comme s’il avait donné les pleins pouvoirs à Lola.
« Je crois que Jean-Luc est un grand enfant, avec des rêves d’enfant qu’il a réussi à concrétiser. Il a au-dessous de lui, puisque son bureau est en hauteur, un énorme jeu de Légo qu’il fait avancer à sa guise »
J’ai compris plus tard qu’il m’honorait d’une confiance énorme et je ne crois pas qu’il avait l’habitude de miser sur une seule personne car braquer le projecteur sur une comédienne lui donne beaucoup plus de pouvoir, on ne peut pas la remplacer aussi facilement que s’il y en a plusieurs. D’ailleurs dans les autres séries, ils sont en bande. Au début, il m’appelait Lola, même dans la vie. J’ai eu beaucoup de mal à lui faire admettre que je m’appelais Mallaury ! Un de ses jeux, c’est de se faire passer pour plus bête qu’il n’est, comme ça les gens le sous-estiment et lui devient alors plus facile de les orienter dans la voie qu’il avait prévue pour eux. Il est souvent provoquant, il adore choquer et quand ça fait mouche, il est ravi. En fait je crois que Jean-Luc est un grand enfant, avec des rêves d’enfant qu’il a réussi à concrétiser. Il a au-dessous de lui, puisque son bureau est en hauteur, un énorme jeu de Légo qu’il fait avancer à sa guise. Comme un marchand de rêve, il décide à qui il va donner la possibilité de participer à cette aventure incroyable qu’est le métier du show-business. Je lui serais toujours reconnaissante d’avoir été le premier à avoir cru en moi. »
« Dorothée m’a fait remarquer que je n’avais pas assez de poitrine… »
Avec l’autre grande figure de la maison AB, Dorothée, les relations n’ont pas été immédiatement faciles entre la jeune comédienne et la reine de « Bonheur City » : « Ah Dorothée, elle a bercé mon enfance. Le nombre de baby-sitters que j’ai fait renvoyer parce qu’elles m’interdisaient de regarder RécréA2. Quand je suis entrée à AB, j’étais donc assez curieuse de connaître Dorothée. Le premier contact a malheureusement été un peu décevant. C’était lors du premier dîner de production de la série. Dorothée y était présente. Pendant toute la soirée, elle m’a fait des remarques désagréables, du style que je n’avais pas assez de poitrine… Comme je n’aime pas la méchanceté gratuite, ça m’a énervée. »
Toutefois, Mallaury a revu sa position sur Dorothée et montre toute l’admiration qu’elle a pour l’animatrice phare d’AB : « J’ai compris plus tard, en la voyant évoluer, que cela ne devait pas être facile pour elle. Jusqu’à présent, avant l’énorme succès des séries et donc de leurs protagonistes, Dorothée était le seul pôle d’attraction à AB, autant professionnellement que dans la vie de JLA. Ils s’étaient rencontrés quinze ans auparavant et avaient construit ensemble le concept AB durant toutes ces années. Cette association reposait sur la totale disponibilité de Dorothée. JLA lui avait explicitement demandé de choisir entre sa carrière et sa vie privée. Cela représentait donc un énorme sacrifice, justifié certainement par l’amour qu’elle a pour ce métier. Et là, avec les séries AB, elle devait se rendre compte qu’elle aurait pu se préserver et accepter moins de choses de la part de JLA. En effet, les filles qui arrivaient derrière n’ont pas accepté qu’il s’ingère dans leur vie privée, en dehors des tournages.
« Depuis son apparition, Dorothée a toujours été critiquée. Mais de toute façon, ce n’est pas spécifique à elle, on dirait que le succès dérange en France »
De plus, nous, les jeunes arrivantes, avons bénéficié instantanément d’une énorme presse, d’une organisation efficace qu’elle avait mis quinze ans à nous préparer en amont. Car sans Dorothée, « Hélène » n’aurait certainement pas existé. Tout cela avait de quoi la déstabiliser. Donc après ce dîner, j’étais très réservée à son égard. Et puis il y a eu ce 31 décembre 1993 avec Do, le Réveillon Rock’N’roll show. Là je l’ai vue travailler pendant deux jours de 8 h 00 à 2 h 00 du matin. Et j’ai découvert une grande dame. Une grande professionnelle, d’ailleurs on ne peut pas durer aussi longtemps dans ce métier sans avoir de réelles qualités. Pendant ces deux jours, elle a toujours été souriante, s’occupant de tout le monde avec la même gentillesse, s’adressant aux techniciens avec courtoisie, ne s’énervant jamais, alors qu’il y avait parfois de quoi. Elle veillait à ce que l’on ne manque de rien. S’il y avait un gros problème, elle le réglait discrètement. A 2 h 00 du matin, elle était toujours aussi fraîche alors que nous, nous étions affalées sur les canapés. Elle passait près de nous et nous disait avec le sourire : « Tenez-vous droit » Quelle leçon ! Depuis son apparition, Dorothée a toujours été critiquée. Mais de toute façon, ce n’est pas spécifique à elle, on dirait que le succès dérange en France. Moi, je l’ai vu agir de l’intérieur, et laissez-moi vous dire que ce n’est pas facile. Car on a beau aimer les enfants, pour les supporter presque tous les jours autant d’années, eh bien, CHAPEAU ! Imaginez avec trois cent enfants, chez vous, tous les jours, déjà que deux ce n’est pas évident. Il y a vraiment de quoi devenir dingue. »
« Quand j’étais petite, je ne chantais jamais, ni sous la douche, ni dans ma chambre et encore moins en public. Pourtant, cela m’attirait, peut-être encore plus que le cinéma »
D’un autre côté, Mallaury se lance comme toutes les « stars AB » dans une carrière parallèle de chanteuse. Dans son autobiographie, elle tente de justifier ce choix : « Quand j’étais petite, je ne chantais jamais, ni sous la douche, ni dans ma chambre et encore moins en public. Pourtant, cela m’attirait, peut-être encore plus que le cinéma. Au bout de trois mois à AB, Jean-Luc m’a proposé de chanter. Évidemment, cela m’a fait bondir, car cet univers m’était complètement étranger. Mais j’ai préféré me laisser un an pour apprendre (…) Au bout d’une année, j’étais un peu plus sûre de moi et j’ai parlé avec Jean-Luc de ce qui allait devenir mon premier mini-CD : Les filles, c’est très compliqué. »
Ce n’est toutefois pas cette chanson qui reste gravée dans les mémoires, mais bien celle de la face B du single : « Fleur Sauvage ». Une insipide chanson pop-rock, ambiguë, qui colle parfaitement à l’image de ce que Lola renvoie à la télévision.
« Mallaury avoua ne jamais porter de sous-vêtements. Elle n’était pas la seule chez AB »
La « fleur sauvage » fait alors sensation dans une prestation live au Club Dorothée. Fabien Remblier raconte bien l’état de panique que Mallaury a semé chez AB : « Nataf, qui avait enregistré un titre d’une banalité affligeante fit, bien malgré elle, parler d’elle partout. Vêtue d’une mini mini-jupe, la France entière découvrit sa pilosité intime, surprise par une caméra en contre plongée… Image quasi subliminale que quelques passionnés décortiquèrent, télécommande à la main (on ne sait pas à quoi était occupée la seconde)… et s’empressèrent de diffuser en presse. Vent de panique chez AB, fou rire de Mallaury pour qui les demandes d’interviews se multiplièrent. Mallaury avoua ne jamais porter de sous-vêtements. Elle n’était pas la seule chez AB. Nombre de comédiennes étaient obligées d’en faire autant afin d’éviter les problèmes de marque de culotte inesthétiques à l’écran. A l’époque Mallaury se moquait de cette histoire de culotte. Elle assumait parfaitement cette image et su l’utiliser. Aujourd’hui, elle a rejoint le groupe des anciens d’AB qui galèrent. Je la découvris sous un autre jour lors d’un festival, alors qu’elle était enceinte de son fils. Je l’ai revue deux ou trois fois, puis le métier et la vie nous ont éloigné. » [10]
« J’ai coupé ma ligne de téléphone, quitté mon appartement. Je me suis fatiguée toute seule de me voir partout, alors j’imagine que pour le quidam moyen cela devait être encore pire »
Mallaury, elle, s’en moque ouvertement. Elle a déjà décidé d’arrêter le Miel et assume à 100% de ne pas porter de sous-vêtements : « J’y étais allée sans sous-vêtements tout simplement parce que je n’en porte pas et je pense que je ne suis d’ailleurs pas la seule. L’image qu’on a gardée de tout cela, c’est cette idée de « sans-culotte », quelque chose que je revendique complètement. Si on est là où on en est aujourd’hui en France, c’est bien grâce aux sans-culottes, non ? »
Dans l’interview à Technikart, Nataf raconte les conditions mouvementées de son départ d’AB : « J’avais de l’argent, un statut social et puis, un matin, je suis partie sur un coup de tête. J’ai coupé ma ligne de téléphone, quitté mon appartement. Je me suis fatiguée toute seule de me voir partout, alors j’imagine que pour le quidam moyen cela devait être encore pire. En plus, les propositions que l’on m’a faites à ce moment-là ne m’ont pas intéressée. Il n’était toujours question que de fric et de rentabilité. Je me disais qu’il y avait quelque chose de meilleur à faire dans l’existence. »
Dans l’autobiographie, Nataf n’aborde pas vraiment le sujet. Elle se contente de remercier les personnes avec qui elle a travaillé et saluer AB production : « C’est quand même la seule production française qui donne une chance à des inconnus. Tout le monde a les mêmes possibilités de faire partie d’AB. On te juge sur ton potentiel et non pas sur des recommandations, des relations ou des présentations arbitraires. Bon c’est discutable dans le sens où le produit final est proposé à une chaîne de télévision, à une heure de grande écoute et devant un public nombreux. Mais AB donne la possibilité de pouvoir y accéder à des jeunes qui ont envie de faire ce métier, c’est vraiment un cadeau magnifique dont j’ai été une des bénéficiaires. »
« A l’époque AB, on fumait constamment. Il n’y a pas un épisode du Miel et les Abeilles où je ne sois pas cassée »
Après avoir chaotiquement quitté AB et écrit ce livre en forme de remerciement envers JLA, Mallaury semble en paix avec son aventure dans le Miel et les Abeilles. Peu consciente de l’étiquette sitcom bien présente dans le milieu, elle déclare naïvement devant Ardisson n’avoir pas peur de « se griller ». Elle affirme alors : « Je ne suis absolument pas marquée par le Miel. Les gens du milieu ne savent pas que j’ai fait le Miel. »
Pourtant, Nataf va vite déchanter. L’après-AB se révèle difficile. Même si pour les branchouilles de Technikart, il faut admirer l’interprète de Lola. De vrais sitco-hipsters avant l’heure : « Mallaury n’était pas qu’une poupée gonflante. En 1994, elle balance la télé et son fric facile (100 000 FF par mois). Se met à faire de drôles de trucs, lit tout Lester Bangs, critique rock frappadingue, tourne avec des réalisateurs inconnus qui font dans le gore et enregistre le premier disque indé de chants de Noël… Un drôle de parcours, à rebrousse-poil. Là où les artistes passent habituellement de l’underground au grand public – c’est l’histoire de la pop culture –, Mallaury prend le chemin inverse. Du grand public à l’underground. Volontairement. Une plongée en apnée qui mérite le respect et ne pouvait qu’intéresser le laboratoire d’études médiologiques de Technikart. »
« Dans la rue, c’était pire. Les gens me prenaient encore pour une star alors que je n’avais plus de travail, plus d’argent. J’avais tout claqué. C’était assez invivable. Je me couchais le soir avec une casquette, manteau fermé. J’avais envie qu’on ne me reconnaisse plus. J’avais des crises d’hystérie »
Après avoir « balancé » à Entrevue sur les « dessous d’AB », Mallaury persiste avec les bobos parisiens de Technikart. Complètement mis de côté dans l’autobiographie, les coulisses du Miel et les Abeilles sous cocaïne font sensation : « Après cinquante-deux épisodes du Miel et les Abeilles, on m’a proposé un contrat mais j’ai refusé car je ne voulais pas être enchaînée. J’étais la seule artiste sans contrat chez AB. Au total, j’ai tourné dans deux cents épisodes. Je touchais à ce moment-là 6 000 FF par jour. (…) A l’époque AB, on fumait constamment. Il n’y a pas un épisode du Miel et les Abeilles où je ne sois pas cassée. C’est pour cela que l’on ne voit jamais bien mon regard. J’ai pris de la drogue pendant des années. Surtout des ecstas. Je vivais la nuit, j’étais persuadée qu’on pouvait vivre sans dormir. Avec les acteurs, les techniciens, on était tout le temps fourrés aux Folies Pigalle. »
Mais si Mallaury a la côte dans l’underground parisien, elle reste peu appréciée dans le milieu de la télévision et du cinéma (seul Pialat a confié être fan du Miel). Elle tente alors un come-back dans la série Sous le Soleil. L’expérience est un échec : « Lors de la dernière production que j’ai faite, Sous le soleil sur TF1, j’ai tout pété sur le plateau. Je ne supportais pas la manière dont on traitait l’équipe. Je ne suis ni folle ni caractérielle mais je le deviens lorsque je vois un tel système égoïste où l’on se moque de l’individu. »
Désormais en guerre contre le « système », Mallaury devient une indignée de la société du spectacle dont elle a pourtant tirée longuement bénéfice. Le doute s’installe alors chez celle qui voulait tant revenir aux sources dans l’underground : « Après avoir arrêté la télé, j’avais parfois des bouffées d’angoisse. Une part de moi me disait : « T’es barjot, tu n’aurais jamais dû lâcher. » Dans la rue, c’était pire. Les gens me prenaient encore pour une star alors que je n’avais plus de travail, plus d’argent. J’avais tout claqué. C’était assez invivable. Je me couchais le soir avec une casquette, manteau fermé. J’avais envie qu’on ne me reconnaisse plus. J’avais des crises d’hystérie. La simplicité est venue après les épreuves. »
« Désormais, j’ai plus envie de collaborer avec les gens de l’underground car ils sont plus audacieux, poussent la réflexion plus loin »
Incontrôlable, Mallaury affirme donc en 1999 n’avoir plus d’argent. Hors du système, elle semble heureuse malgré ce difficile choix de carrière.
Travailler dans l’underground, loin de l’hypocrisie et de la vénalité d’institutions comme celle de TF1, voilà ce qui a plu à Nataf : « Certains pourraient les appeler des losers. Mais pas moi. Ils sont hors du système. Je préfère travailler gratuitement avec des gens intéressants que d’être pleine aux as pour bosser avec des nazes. Aller à un casting et se vendre comme un vulgaire morceau de viande, cela ne m’est plus guère possible. Après AB j’ai fait beaucoup de théâtre et j’ai tourné dans plusieurs longs-métrages comme Forza Roma, un film d’auteur italien. J’ai également fait quelques courts avec des jeunes réalisateurs assez barrés. Ils possèdent en commun un univers fantasmagorique qui me va bien. Désormais, j’ai plus envie de collaborer avec les gens de l’underground car ils sont plus audacieux, poussent la réflexion plus loin. L’important est de faire tout cela dans un esprit communautaire. »
« Les gens du milieu me prenaient déjà pour quelqu’un de barré »
Quant à la question de la drogue, Nataf semble à cette époque avoir fait le tour de la question et se tourne vers d’autres solutions, plus mystiques, pour ouvrir les portes de la perception : « Pendant longtemps, j’ai pris des drogues dans le sens prôné par Timothy Leary dans les années 60 afin d’ouvrir mon champ de perception. Plus tard j’ai découvert la méditation, quelque chose de bien plus puissant pour ouvrir sa conscience que le LSD. J’ai fait quatre retraites de méditation. Mais je vais arrêter là, car on est toujours tenté d’être dépendant. Et je ne veux pas plus être dépendante de cela que des drogues. Il convient de n’avoir jamais quelque certitude qui soit. »
Enfin quand Mallaury revient pour la énième fois sur son expérience chez AB, elle déclare alors en 1999 : « Lorsque j’ai commencé comme actrice, les gens du milieu me prenaient déjà pour quelqu’un de barré. Quand je me suis présentée chez AB, la casting director ne voulait pas me prendre car elle me trouvait trop étrange. C’est Jean-Luc Azoulay, qui est quelqu’un de totalement fou, qui m’a imposée. Les gens d’AB forment un système totalement à part du circuit classique. C’est pour cela que je ne me suis jamais sentie dans le produit purement commercial. En fait, j’ai toujours été en marge, sans l’être tout à fait. »
« Mallaury a considéré Jean-Luc Azoulay comme son père, et elle l’a symboliquement tué un soir chez Morandini »
Avec Sous le Soleil, c’est la dernière fois que l’on voit la Mallaury Nataf du Miel et les Abeilles. Au tournant des années 2000 et de ses émissions de télé-réalité, Nataf, comme ses ex-collègues d’AB, sont hors du coup. C’est l’heure de Loana et des exhibitionnistes de tout poil. Dans Secret Story, on voit tous les jours des filles sans culottes à la télévision. Son passage dans la Ferme aux Célébrités ne fera qu’accréditer la décadence de son personnage médiatique, finalement trop marqué par les années 90, et surtout, trop dingue.
Le retour de Mallaury Nataf dans les médias en 2012 par ce scoop du Parisien est finalement très peu surprenant. Oui, Nataf n’a jamais su garder son argent. Oui, Nataf n’a jamais pu vivre longtemps hors des caméras.
Oui, Nataf a considéré Jean-Luc Azoulay comme son père, et elle l’a symboliquement tué un soir chez Morandini, en l’attaquant cruellement sur sa judéité.
Oui Nataf est intelligente, folle et mythomane. Elle l’a prouvé dans cette société du spectacle dont elle a été un cobaye permanent et consentant. Malheureusement, la situation dramatique que l’ancienne comédienne de sitcoms ne semble pas du tout s’améliorer.
Toujours SDF en 2016, Mallaury s’est coupée du monde réel, et parait désespérément seule. On peut malheureusement craindre le pire pour les années à venir…
« Mon interprétation n’était pas très juste, je ne comprenais pas très bien ce que je faisais mais ce n’était pas par crainte ou appréhension de la caméra. Elle était devenue un objet familier dans mon champ visuel, comme la télévision peut l’être chez soi »
Dans son autobiographie, si peu intéressante à première vue, une citation nous paraît représentative du rapport que Mallaury Nataf a entretenu toute sa vie avec l’image : « Quand tu as une caméra braquée sur toi toute la journée, quatre jours par semaine, elle te devient très familière. Comme je n’ai jamais peur de rien, je me suis sentie tout de suite très à l’aise avec elle. Mon interprétation n’était pas très juste, je ne comprenais pas très bien ce que je faisais mais ce n’était pas par crainte ou appréhension de la caméra. Elle était devenue un objet familier dans mon champ visuel, comme la télévision peut l’être chez soi. »
Mallaury Nataf, de par ses déclarations explosives, semble avoir tiré un trait définitif sur l’univers AB. Ses propos envers JLA interdisent toute hypothèse sur un éventuel retour dans l’univers AB. Pourtant un retour dans les Mystères de l’Amour aurait été intéressant, dans la mesure où elle aurait certainement mis un bordel salvateur.
Nataf restera quoi qu’il en soit une figure majeure des années sitcoms. Pour nous, les sitcoms AB sont en quelque sorte les précurseurs de la télé-réalité et Mallaury en est la figure de proue. JLA a montré encore une fois qu’il était en avance sur son temps, en sur-médiatisant ses comédiens. Ici, Mallaury Nataf, une amatrice, propulsée au rang de star. Mais aussi un personnage atypique, une « folle » furieuse qui a su jouer avec les caméras comme ont su le faire quelques années plus tard M6 avec les apprentis-comédiens de Loft Story.
De par ses « performances », comme celle au Jacky Show, ses interviews chocs dans les journaux sulfureux, ses « buzz » chez Ardisson, son franc parler légendaire, Mallaury Nataf est à placer au panthéon des icônes médiatiques de notre temps.
NOTES
1- Réactions sur la Twittsophère. En tête des trending topics pendant deux jours d’affilés, Nataf a « choqué le réseau social ».
2- L’affaire de la culotte vue par Mallaury Nataf : « Moi quand je l’ai vu avec mon copain je lui ai dit : « Hey t’as vu y a mon cul en quatre par trois, c’est un choc ! »
3- Technikart n° 38, « La sans-culotte », par Jean-Luc Mélenchon, 01 Décembre 1999.
4- Dossier Mallaury à la ferme sur le site de la génération AB.
5- Jean-Luc Delarue a fait un spécial « Ça se discute » où Mallaury Nataf était invitée aux côtés de Fabien Remblier, Magalie Madison, Philippe Vasseur et d’anciennes stars ruinées d’AB.
6- NATAF, Mallaury, A la vie, à l’amour, Manitoba, 1995.
7- ENTREVUE, n°31, Février 1995.
8- Mallaury Nataf chez Morandini : « Alors, il y a deux catégories de juifs. Il y a celle que j’essaye de devenir, qui est vraiment un effort pratiquement surhumain. C’est très compliqué. Et puis il y a la catégorie de juifs comme Jean-Luc Azoulay, comme Madoff ou Dominique Strauss-Khan, comme mon propre père d’ailleurs. Jean-Luc Azoulay est quelqu’un de mauvaise foi, et en plus c’est un menteur, puisqu’il y a deux ans j’étais dans son bureau et je lui disais « S’il te plait Jean-Luc, tu me dois beaucoup d’argent parce que 14 ans de diffusion sur le câble, sur trois chaines, sans un euro de rétribution », puisque la DAMI, le CSA, et la justice a plié devant Claude Berda, puisque c’est Claude Berda qui défend les intérêts de Jean-Luc Azoulay. Je lui demande 5000 euros en lui disant « tu me dois tellement d’argent et puis là j’ai vraiment besoin de cet argent pour engager un avocat » et Jean-Luc Azoulay, qui habite un mille mètre carré à Neuilly, m’a répondu de manière tellement surréaliste : « j’ai pas d’espèces, j’ai pas de fonds propres, tu vois, tout est sur ma société ». Quand je suis sortie de son bureau je me suis dit qu’il me l’avait fait un peu sévère, j’ai tenté de le joindre derrière pendant trois semaines, tous ses portables étaient éteints… Je me suis « bon ben voilà, cet homme est un escroc ». Je n’aurais jamais dû douter, c’est ce qu’il n’a jamais cessé d’être.
De toutes façons on va se retrouver avec Jean-Luc Azoulay, avec Claude Berda, il va y avoir une suite, qui j’espère, mettra en lumière le comportement de ces deux individus. »
9- BOURDIEU, Pierre, L’illusion biographique. Raisons pratiques, Sur la théorie de l’action. Chapitre 3 : Pour une science des œuvres. Paris, Éd. du Seuil, 1994.
10-REMBLIER, Fabien, Les Années sitcom, Mediacom, 2006.
Annexe. La lettre fictive à son personnage, extraite de l’autobiographie de Mallaury Nataf :
Adieu Lola.
Boulogne, septembre 1994.
Lola, juste un petit mot pour te remercier de ces deux années passées en ta compagnie. On s’est bien marrées. Tu te rappelles toutes les fois, où tu étais obligée de te vernir les ongles des pieds avec Joëlle alors que tu détestes les montrer. Cela reste entre nous, mais c’est vrai qu’ils sont pas beaux. Et les fous-rires avec Joëlle, cette complicité de laquelle est née une amitié. Ah ! Et aussi toutes ces abeilles à qui tu faisais peur, ils n’ont jamais su comment te prendre, les pauvres ! Faut dire que t’étais pas commode !
Heureusement, tu as fait des progrès, c’est pour cela que nous sommes devenues amies. Je peux te le dire, maintenant, je ne t’aimais pas beaucoup quand je t’ai rencontrée. Et tu te rappelles, Giant Cocoo comme tu l’asticotais avec la statue nue qui était dans le salon, tu t’arrangeais toujours pour tourner tes fesses dans sa direction, il se mettait à rire pendant des heures et ça mettait tout le monde en rogne. C’était votre secret, personne ne comprenait pourquoi, subitement il disjonctait !
Et les fois où tu étais tellement occupée à travailler, que tu n’avais pas le temps d’aller faire pipi, alors tu te mettais discrètement dans un coin du décor. Mais je te promets que personne ne le saura jamais.
C’est comme pour ton fiancé, je le sais bien que c’est Hervé, ça, j’aurais bien aimé que tu me le dises quand même, enfin c’est pas grave, de toute façon, je vous ai vus vous embrasser quand personne ne vous zyeutait. Maligne, la petite hein ! Ils ont tous marché, tous cru qu’ils avaient leur chance. Surtout Johnny ! Enfin, t’inquiètes pas pour lui, je m’en occupe. Bon ben c’est bien joli tout ça, mais… j’ai un petit service à te demander, là où tu vas, tu n’as plus besoin de ta petite robe à pois, celle qui me va si bien, je pensais peut-être… enfin bref… tu vois quoi ! Je vais te laisser parce que j’ai du boulot sur la planche, hey, ça va pas être facile de te remplacer comme ça…