En philosophie le désarroi est inévitable et parfois salutaire.
Martin Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?
La Philo Selon Philippe débarque le 4 septembre 1995, année de l’apogée des sitcoms AB. Mais la grande originalité de cette sitcom par rapport à Premiers Baisers ou Hélène et les garçons réside dans la volonté de son créateur de présenter la vie quotidienne d’un lycée, plus précisément d’une classe de terminale. En effet, dans les deux sitcoms précédentes, le lycée comme la fac ne sont jamais au centre des intrigues et les profs sont inexistants [1]. On ne révise que rarement, seulement pour les quelques « exams » qui jalonnent le cursus de ces jeunes gens. Dans « Hélène », les garçons sont obsédés à l’idée de devenir des rock stars et préfèrent répéter plutôt que réviser, tandis que la bande de Justine traîne le plus clair de leur temps dans une cafète à siroter des jus d’orange et à jouer au flipper.
Probablement touché par les critiques qui l’accusent (à juste titre) de produire des séries en dehors des réalités sociales, et face à la concurrence de Seconde B, une série concurrente sur Antenne 2, Jean-Luc Azoulay doit réagir. C’est pourquoi le producteur-scénariste décide de répliquer avec une nouvelle sitcom, la Philo selon Philippe.
« Le scénario était plutôt sympa et moins débile (sic) que ceux de la plupart des séries du moment »
En outre, la philosophie est un thème à la mode au début dans les années 90. Comme le rappelle un article du Monde de septembre 1995 présentant la nouvelle série [2], les traités de philosophie sont des best-sellers, tandis que le Cercle des Poètes Disparus est un succès majeur au cinéma. Arnaud Riverain, un des comédiens du casting de la « Philo », résume bien alors la genèse de cette sitcom : « Pour ce qui est du scénario, l’ambition d’AB était de donner un caractère un peu plus sérieux et d’évoquer certains sujets plus en rapport avec « la réalité ». En cela, le projet était intéressant car on arrivait à la fin d’une époque où AB dominait ce type de séries. Il était temps de mettre plus de moyens pour que cela soit plus crédible, le public ayant évolué. » [3]
Le projet est intéressant : suivre la vie d’une classe de Terminale L d’un lycée parisien, qui sera à jamais transformée par l’arrivé d’un nouveau « prof » de philosophie, un certain Phil. Yannick Debain, l’acteur qui incarne le philosophe d’AB, avait été immédiatement séduit par le concept : « Je trouvais l’idée sympathique, de voir un jeune prof de philosophie s’occuper des problèmes des jeunes et servir un peu d’assistant social. » En effet, la sitcom s’articule autour du lien qui se construit entre un professeur fraîchement agrégé de philosophie et une classe d’adolescents en pleine ébullition.
Pendant pas moins de 98 épisodes, le téléspectateur est invité, pour la première fois dans une production AB, à suivre une année scolaire. Le genre d’expérience dont on ne peut sortir indemne.
Plus ou moins inspiré par des séries américaines diffusées à la même époque sur TF1, comme Sauvé par le gong ou Parker Lewis, cette sitcom AB est singulière car elle a pour héros tant les élèves que leurs professeurs, ainsi que le proviseur. Aurélie Anger, une autre comédienne de la sitcom, souligne l’originalité de la série : « Le scénario était plutôt sympa et moins débile (sic) que ceux de la plupart des séries du moment. Ce qu’il y avait de chouette : des comédiens avertis jouant les professeurs avec d’autres complètement inexpérimentés au début. »
Philippe Daubigné, le béotien
Yannick Debain incarne donc Philippe Daubigné, un jeune prof qui entame sa première année dans le joyeux monde de l’Éducation Nationale. Totalement inconnu du grand public, Yannick a gagné le rôle convoité : « J’ai passé un casting, c’était Aude Messean je crois qui m’avait reçu, il y avait un monde fou qui passait le casting, je me souviens derrière le bureau d’Aude d’un mur tapissé de photos de comédiens. Ils ont hésité un peu je crois, car je suis revenu plusieurs fois et puis ils m’ont choisi (merci Jean-Luc, merci Dorothée). »
« J’aime son attention aux autres et l’envie qu’il a de régler les problèmes ! »
Son personnage est aussitôt dépeint comme un idéaliste, tendance petit bobo. Il vit dans un petit studio cossu, censé représenter la façon de vivre d’un petit intellectuel parisien : des livres de philosophie en vrac sur des étagères bordéliques, des bibelots « arty », des affiches de pièces de théâtre et du Glenn Miller en fond sonore (il corrige ses copies en swinguant). « Phil » est présenté comme un homme gentil, généreux et plein de projets pour ses élèves. C’est d’ailleurs ce qu’apprécie tout particulièrement son interprète : « J’aime son attention aux autres et l’envie qu’il a de régler les problèmes ! »
Avec ses propres idées et méthodes, Philippe Daubigné compte bien imposer son style dans le très rigide système éducatif. Peut-être influencé par les travaux d’Ivan Illich [4], il refuse l’autoritarisme et prêche l’écoute, la discussion et l’auto-émancipation des élèves.
En accord avec le célèbre penseur autrichien, qui affirmait que « les diplômes représentent un obstacle à la liberté de l’éducation », Daubigné est davantage intéressé par les expériences de la vie quotidienne qui prêtent à la pratique de la philosophie, ainsi qu’à la capacité des élèves à développer leur propre intelligence. Kant lui-même, ne disait-il pas qu’on « ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu’apprendre à philosopher ? »
Cette posture outrancière engendre très vite de nombreuses difficultés, tant face aux élèves que vis-à-vis de la hiérarchie. Daubigné, qui pense à l’instar de l’anarchiste individualiste Max Stirner « qu’il nous faut dorénavant une éducation personnelle, et non pas une attitude morale inculquée » [5], rentre en conflit avec l’ensemble des acteurs de l’établissement.
« C’est un faible »
Dans un premier temps, ce sont les élèves qui ne comprennent pas son raisonnement, assimilé à un laissez-faire. « C’est un faible », lâchent-ils, attendant de sa part les habituelles punitions.
De l’autre côté, ses collègues professeurs lui enjoignent aussi de faire preuve de plus d’autorité, argumentant qu’avec le temps, il finira par perdre patience. Ainsi Caldéro, le professeur de mathématiques, ne comprend pas Phil, malgré toute l’affection qu’il lui porte : « Tu es trop gentil, ça te perdra. Avec moi ça ne se passerait pas comme ça. Il n’y a que la discipline qui les tient. » Maillet, le prof d’histoire-géo, reste plus compréhensif : « En même temps, j’étais comme lui à son âge, plein d’idéalisme. » Quant à la hiérarchie, elle est consternée par les agissements de Phil. Lorsque Monsieur Gautrat, le Proviseur, apprend que la chaise de Daubigné a été sciée par des élèves, sans qu’aucune peine ne soit rendue, il décide de prendre en charge personnellement la gestion de la classe.
C’est là le premier conflit, fondateur, de la sitcom. Les deux hommes représentent deux visions opposées de l’enseignement. Pour le chef d’établissement, c’est le bon vieux procédé qui doit être appliqué, c’est-à-dire la méthode autoritaire : « Il faut de la discipline, de la di-sci-pline, c’est la seule méthode qui marche avec ces jeunes. » Mais Daubigné est un idéaliste. Il veut changer l’Éducation Nationale de l’intérieur, à l’aide de ses méthodes iconoclastes.
On peut généraliser ce conflit entre Phil et Monsieur Gautrat à deux tendances nationales, qui en 1995 s’affrontaient depuis déjà des décennies. C’est l’opposition traditionnelle qui, depuis Mai 68, fait rage entre les « pédagogistes » et les traditionalistes. Les premiers, avec, Piaget, affirment avec conviction « qu’éduquer, c’est produire un comportement » [6] C’est effectivement le projet repris par un grand nombre d’enseignement de gauche : « L’élève doit être au centre du système éducatif. L’école doit permettre à l’élève d’acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité. » Pour Michel De Certeau [7], c’est la « prise de la parole » qui est le grand acquis de 68 pour la société, ainsi que pour l’ensemble du système éducatif. Les années 70 marquent alors le temps d’une grande lutte contre le « dressage » et le « flicage » des jeunes, et les tentatives, plus ou moins heureuse, d’en finir avec le cours magistral.
A l’inverse, chez les partisans de l’école de la République, il ne faut pas confondre enseignement et formation. Le philosophe de droite Luc Ferry (et ministre de l’éducation en 2002) affirme ainsi que, « depuis sa création jusqu’à la rupture introduite par les contestations des années 1960, l’école républicaine a fonctionné sur une certaine « vision morale du monde ». Elle reposait sur l’idée qu’il existait des valeurs communes, des normes collectives, incarnées notamment par les programmes, qui dépassaient les individus et que chacun devait s’efforcer de réaliser dans sa vie comme à l’école. Voilà du reste pourquoi l’enfant s’appelait un « élève », c’est-à-dire quelqu’un qui était invité à se hisser jusqu’à la réalisation d’idéaux supérieurs. En d’autres termes, le but de l’éducation était clairement de faire en sorte qu’au terme du processus chacun d’entre nous devienne « autre » que ce qu’il était au départ. » [8]
« J’aurais voulu qu’il ait plus de défauts, comme moi »
La Philo selon Philippe, présente, de façon caricaturale, mais présente quand même les clivages existants au sein du monde enseignant. Pour le Proviseur, Daubigné n’est rien d’autre qu’un simple provocateur, « un anarchiste, révolutionnaire de surcroît », selon ses propres termes. Daubigné, quant à lui, nie tout engagement politique, mais affirme simplement « croire en ses élèves ». C’est un humaniste, « un béotien », s’amuse Yannick Debain.
Que penser de ce Phil alors ? Dans le contexte de la première diffusion de la sitcom, il semble davantage aisé de lui trouver des qualités. Ainsi, en 1995, une journaliste du Monde, Ariane Chemin, dresse un portrait du jeune prof, étonnamment élogieux : « Jamais, dans une série d’AB Productions, on n’avait vu un personnage comme Philippe, jeune premier qui fait sa rentrée dans l’univers enseignant, plein d’idées sur la vie, la discipline, l’éducation, l’amour, et curieusement fermé aux traditionnels babillages sur les filles et désordres amoureux afférents. »
Pourtant, aujourd’hui, Philippe Daubigné dérange la majorité des spectateurs. Sans parler du jeu de l’acteur, à la limite du supportable, c’est sa personnalité qui pose problème. De l’avis général, on le trouve trop « niais » et affreusement « donneur de leçons ». Même Yannick Debain concède avec humour : « J’aurais voulu qu’il ait plus de défauts, comme moi. » Mais ce qui unie tous les détracteurs de Daubigné, ou « Daubigniais », c’est son enseignement. Car Phil est avant tout le prof niais par excellence qui bouleverse la vie de ses élèves. Mieux ! Qui leur apprend la vie. On notera surtout qu’il ne suit pas le programme de terminale, ses cours se résumant à des questionnements (toujours en rapport avec les problèmes des élèves), du type « Faut-il céder au chantage ? », « La jalousie est-elle un sentiment noble ? » En plus d’assurer à ses élèves un maximum de 2/20 au bac, Phil donne des leçons à tout le monde, en sachant qu’il a de gros problèmes de couple et qu’il ferait mieux de se taire.
C’est en effet le plus choquant dans une série censée être proche du réel : l’enseignement bricolé de Phil est à la fois mauvais, risible, presque flippant. Aucun cours n’est préparé, tout est improvisé le jour même, suivant le problème personnel d’un(e) élève ou de sa propre vie.
Phil, Muriel et le gin tonic
Sa vie, parlons-en. Dès le premier épisode, la vie sentimentale de Phil apparaît désastreuse. Son ex-petite amie revient chez lui, complètement dépressive et alcoolique au gin tonic. Jalouse du succès professionnel de Phil, elle le harcèle régulièrement et le manipule tel son jouet. Elle boit pour le faire culpabiliser et n’hésite pas à ramener d’autres hommes chez lui, toujours bourrée. Phil l’aime malgré tout et montre qu’il est prêt à accepter toutes les humiliations pour la protéger et la garder à ses côtés. Son comportement est difficile à comprendre, mais la philosophie de Phil a aussi ses parts de mystère. Ses amis tentent pourtant de lui faire comprendre la gravité de la situation, à l’instar de Gérard Caldéro, pourtant pas le dernier quand il s’agit de prendre une cuite : « Je suis désolé de te dire ça mais Muriel est totalement irrécupérable ! Alcoolique à moins de trente ans ! » [9]
Malgré tout, Phil persiste avec sa Muriel. En outre, il n’hésite pas à administrer des conseils aux jeunes élèves, qui prennent l’habitude de venir le voir directement chez lui, à la recherche de solutions « philosophiques » à leurs problèmes quotidiens. Coutumier dans les séries anglo-saxonnes (à l’image de l’incontournable Hartley Cœurs à Vifs), voir en France des lycéens raconter leurs vies dans l’appartement de leur prof est aussi improbable que gênant.
« Grâce à la Philo, je peux librement m’exprimer sur des sujets, tel que le harcèlement sexuel, le viol, la drogue… merci Phil ! »
Un internaute écrit à ce propos après un visionnage nocturne de la série : « Il est 3h30 du matin, et je viens d’assister à un double épisode de la Philo selon Philippe. Que du bonheur. Grâce à ça, je peux librement m’exprimer sur des sujets, tel que le harcèlement sexuel, le viol, la drogue….. merci Philippe. »
Avec Phil dans le lycée, c’est véritablement la foire. Les élèves se permettent des conneries dignes des pires collèges. Daubigné soutient n’importe quel élève face à la hiérarchie et parfois contre ses propres collègues. Des élèves, comme les affreux Zikowsky et Roussel pour ne pas les nommer, qui ont humilié un professeur et qui sont renvoyés (logiquement) du lycée, sont ainsi sauvés par Daubigné (élèves qui ne manifestent aucune reconnaissance qui plus est).
Mais Phil a aussi ses réussites. Il peut réussir à faire comprendre à un élève que « c’est pas bien de taguer les murs », qu’il « faut être gentil avec la prof de dessin » ou leur apprend des idées subversives, comme celle qui veut que « sa propre liberté ne doit pas empiéter sur celles des autres. » On est à ce propos plus proche de Rousseau que de Bakounine chez ce soi-disant « anarchiste ». Son esprit libertaire ne fait d’ailleurs pas long feu, car Daubigné se déclare « pour les caméras de surveillance dans le lycée, pour le bien et la sécurité de tous. » Son raisonnement est simple : étant dans l’incapacité de surveiller son alcoolique de femme, Phil pense que tous les moyens sont bons pour protéger les gens, quitte à sacrifier un peu de liberté. Le temps lui aura donné raison.
Le Daubignisme est une sorte de mixe entre l’univers des Bisounours et le PMU du coin de la rue
En outre, Daubigné ne connaît aucune limite dans la complicité qu’il développe avec ses élèves. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est de réconcilier les couples de lycéens. Il peut le faire n’importe où. Chez lui, ou encore à l’intérieur même de la classe, en plein cours, comme lorsqu’il règle les problèmes conjugaux d’Audrey et Michel. Il donne des pauses à ses élèves, leur offre du café, les laisse discutailler…etc.
Sa démagogie ne présente aucune limite. Par contre, le programme semble loin. Rappelons que l’objectif de la philosophie en terminale est officiellement de « favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement, et de lui offrir une culture philosophique initiale (…) L’enseignement de philosophie contribue ainsi à former des esprits autonomes, avertis de la complexité du réel et capables de mettre en œuvre une conscience critique du monde contemporain. » Rien de tout ça dans la « Philo » de Phil. On y apprend un tas d’autres choses, mais rien qu’on ne puisse trouver dans un manuel scolaire. Le Daubignisme serait au contraire une sorte de mixe entre l’univers des Bisounours et le PMU du coin de la rue.
Le lycée de cette sitcom (à l’instar du monde d’AB en général) sort alors tout droit d’un autre univers. Des classes de 20 élèves, pas d’arabes ni de noirs (juste un chinois et un noir en figurants !), pas de CPE ni de surveillants, juste un Proviseur qui s’occupe de tout et surtout… Phil ! Tout le contraire ou presque de la sitcom Seconde B, plus engagée politiquement et surtout, un peu plus réaliste concernant la « vie scolaire ».
La Philo sans Philippe : Les « Profs »
Heureusement, la série ne repose pas uniquement sur la présence de Phil. Toute une galerie de personnages plus ou moins inoubliables peuplent la sitcom. Tout d’abord chez les « vieux », ce sont les collègues de Phil que l’on suit avec grand intérêt. Il y a Monsieur Caldéro, interprété par le très charismatique Olivier Galfione, le frère du célèbre perchiste médaillé olympique. C’est le prof de maths ultra-autoritaire par excellence, et le lèche-cul du proviseur, (« tout d’suite Monsieur le Proviseur, oui vous avez raison Monsieur le Proviseur »).
Caldéro représente la figure typique du séducteur raté, mal dans sa peau, inconstant et politiquement incorrect. Il n’hésite effectivement pas à draguer ses élèves, attend en bon fonctionnaire caricatural que les vacances arrivent et picole comme un polonais.
Il incarne un personnage maniéré, et culte, formidablement interprété, sans aucun doute celui qu’on peut considérer l’anti-héros de la série.
« Au début de la série, il dormait dans sa voiture, une ancienne ambulance, il avait peur d’arriver en retard, et donc, il préférait dormir sur le parking, et se réveiller juste devant les studios ! »
Il a été difficile de retrouver Olivier Galfione. Pendant des années, le comédien a été discret sur le net, préférant selon ses dires « le minitel et sa bonne vieille machine à écrire. » Cet original présente une carrière assez mouvementée, et tient aujourd’hui un centre de Yoga. Un site de fans a été créé en 2005 [10], où l’on peut lire une interview absolument bordélique. On comprend alors qu’il aspire dorénavant à une vie normale : « Je ne me sens absolument pas artiste. [J’ai plus] envie de structure, de fuir toute forme artistique, envie d’entreprise, de tickets restaurants et de R.T.T…»
Plus récemment, dans le blog de Jérémy Wulc (supprimé hélas, depuis), on a pu en savoir un peu plus sur Galfione : « Avec Olivier, on a bien rigolé aussi. Au début de la série, il dormait dans sa voiture, une ancienne ambulance, il avait peur d’arriver en retard, et donc, il préférait dormir sur le parking, et se réveiller juste devant les studios ! » Il sera un jour temps de réhabiliter ce comédien. En attendant, on se contentera d’un petit guest surprise dans la série des Mystères de l’amour. Malheureusement, si Yannick Debain est quant à lui revenu dans son rôle de Philippe, ce n’est pas le cas du personnage de Caldéro.
Maillet, c’est la caricature du petit prof d’histoire-géo à lunettes, gentil et attentionné
Gérard Maillet, joué par Alain Delanis, est quant à lui tout simplement adorable. C’est la caricature du petit prof d’histoire-géo à lunettes, gentil et attentionné. Ses cours s’avèrent toutefois bordéliques (suffit de voir celui sur la mondialisation). Comme Daubigné, il donne un grand (trop) espace de liberté aux élèves. Ces derniers en profitent amplement. Un cours de Maillet peut alors vite partir dans tous les sens. L’épisode dans lequel Zikowski et Roussel se lancent dans un exposé de géo sur le Brésil est significatif : émeute dans la classe, un élève qui se casse le bras et une série d’attentats aux pétards.
Vis-à-vis de ses collègues, Maillet est le camarade idéal, toujours souriant et attentionné. C’est aussi un grand séducteur, jusqu’à ce qu’il tombe follement amoureux de la prof de dessin, Mademoiselle Valentine Dufresnoy, incarnée par une comédienne bien connue, Cathy Andrieu. La belle brune avait en effet interprété Cathy, dans la première mouture d’Hélène et les Garçons. Mais elle avait décidé de quitter l’aventure AB en pleine gloire, pour « faire carrière. » Après deux années de disette, elle fait logiquement son retour au bercail.
Si son accent toulousain est définitivement parti, son nouveau personnage n’est pas sans rappeler celui de Cathy : une beauté froide, mystérieuse et pas franchement rigolote. Ses premiers cours s’avèrent catastrophiques. Les élèves ne la respectent pas. Grâce à l’aide de Phil, Valentine fait peu à peu son trou. Elle parvient à imposer son autorité et le goût de l’art aux élèves.
Les choses se gâtent lors de l’arrivée d’un nouveau professeur, le violent et colérique Guillaume Morlan. On finit par apprendre qu’il est en réalité son ex-petit ami. Et comme Muriel, Morlan a de sérieux problèmes avec l’alcool. Il est venu au lycée car il ne souhaite qu’une chose : reconquérir son ancienne fiancée. Mais Valentine refuse. Guillaume, incapable de se maîtriser, la frappe. Phil comme toujours intervient. Dans un premier temps, il est catégorique : « Non aucune excuse pour les hommes qui violentent les femmes. » Mais très vite, Phil « comprend » sa peine, et pardonne. Comme toujours. Finalement, Morlan quitte le lycée, acceptant sans broncher la fin de son histoire avec Valentine.
Le singe
Enfin, last but not least, c’est bien le Proviseur, incarné par le formidable Patrick Palmero, qui est la vedette cachée de la série. Celui qu’on avait déjà aperçu dans le rôle d’un avocat dans la série Cas de Divorce, incarne ici le rôle du haut fonctionnaire borné, dictatorial et lunatique. Patrick Palmero, qui a manifestement pris beaucoup de plaisir dans l’interprétation de Monsieur Gautrat, est un comédien issu du monde du théâtre, ce qui donne un aspect surréaliste et comique à ce personnage de Proviseur.
A la fois loufoque et mesquin, Gautrat joue les réacs, drague tout ce qui bouge et se mêle ostensiblement de tout. Un dialogue avec Phil résume parfaitement l’état d’esprit du personnage :
Gautrat : – « Monsieur Caldéro vient de m’appeler, il sera absent aujourd’hui, il a la grippe ! Et Mademoiselle Dufresnoy également, elle ne viendra pas et pour les mêmes motifs ! Ah, inutile de me faire un cours sur le mode de transmission des virus, notamment celui de la grippe !
Phil : – Qu’est-ce que vous voulez dire Monsieur le Proviseur ?
Gautrat : – Eh bien, deux grippes le même jour chez deux enseignants du sexe opposé, on imagine très bien ce que ça cache ! Enfin, les gens font ce qu’ils veulent de leur vie privée ! »
La prestation de Carole Dechantre est mémorable : son personnage manipule, allume, couche avec tous les hommes de la série
Cependant, rien n’est épargné à Monsieur Gautrat. Il devient rapidement la tête de turc des élèves, qui le surnomment « le singe ». De leur côté, les professeurs le craignent autant qu’ils le méprisent. Constamment remis en cause par Phil, Monsieur Gautrat finit par se retrouver dans toutes les merdes possibles. Son prestige et sa crédibilité s’effritent au fur et à mesure de la série. Il tente tant bien que mal de faire régner l’ordre, allant jusqu’à intervenir dans les classes des professeurs. Mais sa déchéance débute lors de l’arrivée de sa nouvelle secrétaire « personnelle ».
Cette dernière, incarnée par Carole Dechantre, est la véritable bombe sexuelle de la sitcom. Son personnage, Émilie Soustal, est au départ simple élève, qui pense plus à aguicher ses professeurs qu’à étudier. Monsieur Caldéro en fait les frais, et manque de peu la faute professionnelle avec elle. Émilie finit par quitter le lycée prématurément, puis revient en tant que secrétaire du Proviseur. Sa prestation est mémorable : elle manipule, allume, couche avec la plupart des hommes de la série, que ce soit Caldéro, Gautrat ou Bremont, un élève. Pour donner un simple aperçu de l’ampleur du phénomène Soustal, il suffit de noter les titres des quatre épisodes où sévissent ses agissements machiavéliques :
n°45 : Perversion
n°46 : Perversité
n°47 : Perverse
n°48 : Pervertie
Recrutée directement par Monsieur Gautrat, qui tombe sous le charme de sa nouvelle secrétaire juvénile, celle qu’on appelle désormais « Mademoiselle Soustal » ou « La Régente » n’a qu’une idée en tête : user et abuser de ses atouts physiques pour dominer le cœur et la bite des mâles. Sa perversité n’a pas de limites, Émilie allant jusqu’à proposer des plans à trois ou quatre. Il va lui manquer cependant une prise à son tableau de chasse : Phil.
Pourtant, la nymphomane harcèle continuellement Phil, n’hésitant pas à participer à ses cours pour le draguer aux yeux de tous. Mais le philosophe n’est pas un homme facile, et refuse toutes ces avances. Résignée, Soustal finit par employer les grands moyens.
Elle simule une tentative de viol, s’arrache les vêtements et hurle dans les couloirs qu’elle a été violée par Monsieur Daubigné, à la vue de tous les élèves. Phil, désemparé, décide d’appliquer les principes stoïciens à sa propre personne et ne réagit pas. A la fois consternée et admirative par une telle réaction, Émilie se résout à abandonner son accusation et accepte une mutation dans le Nord. Elle prévient cependant qu’un jour, elle finira par l’avoir. Phil, sûr de lui, n’est toujours pas convaincu. Mais pourtant, quinze ans plus tard dans les Mystères de l’Amour, les deux personnages réapparaissent.
On y apprend alors que Phil et Émilie ont finalement bel et bien couché ensemble, quelques années après l’époque de la « Philo ». Daubigné change par conséquent de vie et met à mal toute la philosophie développée jusque-là. « J’ai quitté l’Éducation Nationale car pour moi un professeur qui a une aventure avec une élève, ce n’est pas digne », explique toutefois Philippe, dans les « Mystères ».
Le couple ne dure pas bien longtemps, même si Phil en a profité pour lui enseigner « l’amour dans la Grèce Antique ». Leurs destins se séparent alors à nouveau. Phil se reconvertit dans l’humanitaire et part en mission dans les Balkans et au Sahel. De son côté, Émilie change d’identité pour devenir Ingrid, et se lance dans le business du sexe en tenant un luxueux bordel. Finalement, Émilie Soustal, avait raison, elle est parvenue à séduire Phil. Les deux auront l’occasion de recoucher ensemble lors des Mystères de l’Amour, avant de définitivement se séparer.
Les élèves, des lycéens crédibles ?
Et les élèves dans tout ça ? Pris par des castings AB, déjà aperçus pour certains dans Premiers Baisers, ils forment une sympathique bande. Quelques pétasses, de beaux brushings, des types un peu lourds et un point commun : leur relation avec Phil, propédeutique. Avec leur nouveau professeur et son enseignement si particulier de la philosophie, les élèves vont tirer, par leurs multiples expériences, de nouveaux savoirs. En outre, Phil va polariser l’attention des élèves par son état d’esprit et sa fougue.
Dès le départ, la majorité des filles le trouvent mignon, et beaucoup avouent être sous son charme. Elles prennent toujours son parti lors des conflits : « Wow, il est génial ce prof. Il nous comprend lui au moins. » De leur côté, les garçons sont immédiatement jaloux, mais finissent par comprendre que Phil est là aussi pour les aider, surtout qu’il n’est pas très porté sur la « chose ». Il est vrai que, contrairement à une légende tenace, Phil ne couchera jamais avec un(e) élève. En outre, après un accident de voiture suivi d’un long coma, Phil revient dans les tous derniers épisodes avec un look et une attitude de curé austère.
La goutte d’eau (de gin) qui fait déborder leur histoire a lieu lors de l’anniversaire de Muriel : en pleine fête, Phil se sent obligé d’aller aider un élève que l’on croyait suicidaire
La relation de proximité qu’entretient Phil avec ses élèves pose de graves dissensions avec Muriel, sa copine alcoolique. En effet, et on peut la comprendre, Phil est totalement « absorbé » par son métier, et plus précisément par « ses » élèves. Phil n’arrive pas à séparer vie privée et vie professionnelle. Car Phil est le genre de professeur qui n’hésite pas à quitter le lit conjugal en pleine nuit pour partir aider une élève qui ne va pas bien. La goutte d’eau (de gin) qui fait déborder leur histoire a lieu lors de l’anniversaire de Muriel : en pleine fête, Phil se sent obligé d’aller aider un élève que l’on croyait suicidaire.
Cette attitude débouche sur une fabuleuse tentative de suicide de Muriel, cultissime. Cet épisode, qui traite un sujet grave (le suicide dans l’adolescence), est incroyablement mal joué, mais fait partie de ces scènes qui rendent la Philo Selon Philippe inimitable dans le microcosme des sitcoms AB.
Ce décalage, entre les thèmes sensibles abordés et la légèreté des dialogues propre à une sitcom AB, fait que la plupart des acteurs gardent un bon souvenir des tournages, à l’instar de cette anecdote racontée par Yannick Debain : « Un soir nous jouions avec Karine Lazard une scène où je me trouvais dans le lit avec elle. Dans le texte, elle parlait de boire du gin. Seulement, on avait pas le droit de dire gin. Il fallait donc remplacer par alcool ou autre chose. On a dû refaire la prise au moins 30 fois et chaque fois qu’elle disait gin, on arrivait plus à se concentrer, on riait une fois sur deux à moitié nu dans le lit. Ce soir-là, on a beaucoup rit, et on a fini très tard. La production n’était pas très contente, mais parfois les nerfs lâchaient et on rigolait bien ! »
« On écoutait, Blur et Oasis à fond dans la loge. On faisait aussi de la musique, il apportait sa guitare et moi la mienne, et on jouait des heures en attendant de tourner nos scènes »
De même, la bonne ambiance règne au sein de la troupe des jeunes garçons. Les deux héros principaux sont incarnés par Alexis Loret et Arnaud Riverain. Le premier joue le rôle de Serge Fremicourt, un beau blond, amoureux transi d’une certaine Flo. Avec son style british et son air maladroit, il ressemble à un mixe entre Damon Albarn et Gérard Filippelli. Jérémy Wulc garde un excellent souvenir d’Alexis : « On écoutait, Blur, Oasis etc … à fond dans la loge. On faisait aussi de la musique, il apportait sa guitare et moi la mienne, et on jouait des heures en attendant de tourner nos scènes ».
Le personnage de Serge est tout à fait sympathique, bien que trop réservé. Sa vie dans la « Philo » est un long calvaire, car il traverse la totalité des 97 épisodes de la sitcom à prendre râteaux sur râteaux par cette garce de Flo. Toutefois, lors du dernier épisode, il finit héroïquement par recevoir un baiser de celle qu’il aime, ce qui doit nous faire dire que dans la vie, il ne faut jamais désespérer. La carrière d’Alexis Loret connaîtra par la suite de belles réussites, avec quelques apparitions au cinéma, fait rare pour un comédien passé par AB.
L’autre garçon est Arnaud Riverain. Il incarne Yves Bremont, le « sérieux » de la bande. « Avant la Philo j’avais fait quelques épisodes dans Premiers Baisers et c’est ainsi qu’ils ont pensé à moi, à priori. Je faisais mes études en même temps », se souvient Arnaud, qui semble avoir considéré le métier de comédien comme un simple job alimentaire.
« On ne m’a pas pris parce que j’étais un grand acteur mais pour mon physique qui correspondait au rôle »
Son personnage dans Premiers Baisers incarnait un « beau gosse », le petit ami attitré d’Isabelle, puis de Virginie. C’était l’époque où apparaissait Ary, transfuge du Miel et les Abeilles. Arnaud avait les cheveux longs, beaucoup de gomina et jouait comme un pied. Il s’en explique aujourd’hui : « Pour ce qui est des critiques, en faisant une série d’AB, on savait que l’on serait sujet à cela. Ce n’était donc pas une surprise et souvent elles étaient justifiées pour la qualité du jeu. Par exemple, on ne m’a pas pris parce que j’étais un grand acteur mais pour mon physique qui correspondait au rôle (…) Il faut savoir que l’on tournait un épisode par jour et 4 épisodes par semaines. Donc ce n’était pas facile de faire tous les jours du Molière. Mais l’ambiance était bonne, on arrivait à bien coupler travail et plaisir. »
Par rapport à son rôle, Arnaud se souvient : « Mon personnage avait un caractère assez sérieux, ce qui me ressemble assez, il n’y avait pas vraiment de rôle de composition. Il n’y avait donc pas de points particuliers que j’appréciais ou non si ce n’est la manière dont j’étais habillé. »
Yves est certes sérieux, mais n’est pas le dernier quand il s’agit d’aller forniquer au « repaire », le fameux décor dans lequel les lycéens se retrouvent pour faire leurs petites affaires. Il en profite pour tromper Sophie avec la diabolique Émilie. Par la suite, il aura beau se confesser, le mal est fait. Sophie ne veut plus le voir.
Son autre grand moment de gloire se situe lors de l’élection du délégué de classe, dans laquelle il s’improvise homme politique. Élu à la majorité par ses camarades, il se transforme sous la pression en un petit stalinien à la botte de Monsieur Gautrat. Cette anecdote concernant son personnage n’est pas sans ironie, quand on connaît aujourd’hui la suite de sa carrière. Arnaud Riverain est en effet devenu un vrai capitaliste : « Maintenant, je suis très loin du milieu des séries car je suis directeur d’un département d’analyse financière chez un broker. » Le genre de révélation qui en impose. [11]
Les groupies de Phil
Les petites amies de deux lascars sont interprétées par Alexandra Mancey et Aurore Brunel. La première joue le rôle de Sophie, plutôt mignonne, la plus grande groupie de Phil. Elle démarre cependant la série en couple avec Yves. Pas franchement amoureuse, elle justifie sa relation avec le jeune homme pour des questions « d’hygiène ».
Sous ses grands airs de donneuses de leçon, Sophie Girard n’en reste pas moins une vraie petite peste. Usant de ses charmes pour séduire son professeur, elle est à l’affût de tous les ragots (notamment la relation supposée entre Daubigné avec Mademoiselle Dufresnoy), quitte à semer la zizanie dans le couple de Phil. Mais, un tantinet sotte, elle se laisse aussi facilement impressionner par les adultes.
La situation dérape quand Phil tombe dans le coma. Son remplaçant, Daniel Vernon, prend les rênes de la Terminale 2. L’intérimaire débarque dans un contexte difficile, car tout le monde souhaite le retour de Phil. Mais Vernon s’en moque : il est là pour draguer. Avant même son premier cours, il fait la rencontre de Sophie dans le café. Il tente de la draguer, mais Sophie l’envoie bouler. La surprise est de taille quand elle s’aperçoit qu’il est le nouveau prof de philo.
« Je te ferais passer pour une petite nympho frustrée »
Vernon est ainsi l’anti-Phil par excellence. Le « bad teacher » n’est pas là pour philosopher dans le vent. C’est un prédateur sexuel, déterminé à se faire la petite Sophie. Naïve, cette idiote accepte sous la pression son invitation à dîner. Après quelques verres de mousseux, la proie de Vernon est à portée de main. Il passe à l’attaque, mais Sophie parvient à se défendre. Vexé, Vernon montre sa vraie personnalité de pervers : « Je te ferais passer pour une petite nympho frustrée. » Phil étant dans le coma, c’est Caldéro, pourtant pas le dernier à séduire des élèves, qui vient au secours de Sophie. Il donne un coup de poing à la figure de Vernon, qui sera mis à pied sur le champ.
Cinq épisodes plus tard, même rengaine pour Sophie. Cette fois, c’est avec un photographe professionnel que ses ennuis recommencent. N’ayant visiblement pas compris la leçon, Sophie se laisse séduire par un nouvel adulte, Jean-Michel. Ce dernier cherche à lui faire une « Manuela » [12]. Dans un double épisode resté fameux, Sophie est encore à deux doigts de passer à la casserole. Cette fois, c’est le post-comateux Phil qui casse la gueule du photographe et délivre Sophie d’une nouvelle tentative de viol.
Terriblement marquée par ces expériences glaçantes, Sophie rentre enfin dans le rang à la fin de la série. Elle tombe même enceinte. Yves, qui l’avait trompé avec Émilie Soustal auparavant, est le papa. Ce dernier refuse dans un premier temps d’assumer ses responsabilités, avant de réaliser que son bébé va naître, et que Sophie a besoin de lui. D’ailleurs, une vraie épidémie de femmes enceintes est à noter à la fin de la série : Mademoiselle Dufresnoy et Muriel tombent en cloque (on ose imaginer dans quel état sera le bébé de cette dernière).
Flo s’avère être le garant moral de la classe, celle qui calme les ardeurs frénétiques des puceaux de la classe
Aurore Brunel joue la très frigide Florence Carré, surnommée « Flo ». Son personnage distant, insensible et antipathique, est certainement le plus ennuyeux de tous. Elle suspecte les hommes, forcément tous porté sur « la chose ». Dans l’univers lubrique d’AB, cette conception des rapports entre hommes et femmes est certainement salutaire, mais ô combien chiante pour les téléspectateurs, qui veulent leur quota de coucheries (l’effet TF1). Physiquement, Aurore sort de l’ordinaire. Son visage d’ange et sa maigreur lui donnent une apparence chétive, qui contraste avec son caractère ombrageux et autoritaire. Elle admet tout de même avoir un faible pour Phil.
Mais, plus mature que les autres, Flo s’avère être le garant moral de la classe, celle qui calme les ardeurs frénétiques des petits puceaux de la classe. A la fin de la série, elle finit par craquer et laisse enfin le très patient Serge l’embrasser. Toutefois, on préférera largement retrouver Aurore Brunel dans les Années fac, jouant un personnage toujours aussi autoritaire, mais largement plus portée sur le sexe.
On a malheureusement peu de renseignement sur le devenir des deux sitcomédiennes. Seul Fabien Remblier affirme avoir revu il y a quelques années Aurore, lors d’une soirée en compagnie de Jean-Luc Lahaye (!) [13] Quant à Alexandra Mancey, elle semble s’être mariée et reconvertie dans le secteur de la santé.
Pichard, le nouveau Cri-cri d’amour ?
Et le reste de la bande ? Impossible de ne pas mentionner l’élève Pichard, incarné par Paul-Régis Label. Le fameux petit blondinet qui, du fond de la classe, se levait en plein cours de philosophie pour raconter des blagues d’Arthur, malheureusement à la mode dans les années 90 : « Monsieur et Madame Uler ont deux fils ? … Yvon et Jacques. »
Ce nain, censé être de la race des grands séducteurs d’AB, est franchement une calamité. Récemment, Jérémy Wulc a évoqué une théorie, crédible, expliquant l’intérêt d’un tel personnage. En effet, Jean-Luc Azoulay cherchait, à travers le personnage de Michel Pichard, un nouveau « Cri-cri d’amour », c’est-à-dire un petit rigolo, teigneux, séducteur, lâche et coureur. Comme son modèle, Pichard sort avec une fille plus grande que lui, Audrey, et la trompe inlassablement.
« Audrey s’appelait à la première réunion avec la production Françoise. Pas du tout de notre génération. Jean-Luc Azoulay avait accepté l’argument et m’avait laissé libre de choisir le prénom de mon personnage »
C’est la comédienne Aurélie Anger qui joue sa petite amie. Très accessible, elle narra avec plaisir ses débuts chez AB : « Je suis arrivée par hasard et par le biais de mon agence de mannequins on m’a proposé ce casting et ça a marché ! C’est une très bonne école : 27 minutes à tourner dans la journée c’est un sacré rythme ! Il y avait une bonne ambiance, pas de jalousie entre les comédiens, juste des petites histoires de cœur, forcément à prévoir avec une bande de jeune. »
La très charmante Aurélie raconte une petite anecdote quant au choix du nom de son personnage, révélatrice de la souplesse du producteur vis-à-vis de son propre programme : « Audrey s’appelait à la première réunion avec la production Françoise. Pas du tout de notre génération. Jean-Luc Azoulay avait accepté l’argument et m’avait laissé libre de choisir le prénom de mon personnage. J’aimais bien cette fille un peu cancre qui traînait avec les garçons et toujours prête à chahuter. »
Cancre oui. Pour chahuter d’accord, pour être cocue aussi et surtout ! La naïve Audrey Lavantin est trompée à de nombreuses reprises. Et quand elle décide enfin de ne plus pardonner à son petit ami, elle finit quand même par s’excuser, sous la pression d’un Phil toujours aussi intrusif dans la vie de ses élèves. Les marivaudages sont relativement rares dans la Philo, du moins pour une sitcom AB, mais peuvent donner des scènes cultes. Le trio Audrey-Michel-Bernadette est particulièrement mis à l’honneur, notamment dans le fameux extrait du « J’en étais sûr.« Aujourd’hui, Aurélie n’est plus vraiment comédienne, mais il est toujours possible de l’imaginer revenir dans les Mystères de l’Amour : « Je fais toujours de la pub, des photos. Mais les plateaux, je les ai un peu délaissés, même si on est jamais vraiment vacciné. »
Les deux connards
Enfin, comment ne pas évoquer Zikowsky et Roussel, les deux attardés de la série ? Cancres, amateurs de courses de chevaux, ils n’en branlent pas une et font rire (ou pas) la classe et les téléspectateurs avec leurs blagues. Ce sont les spécialistes des attentats à la boule puante, du lancement de pétards. Mais les deux complices ne se contentent pas de leurs farces de collégiens. Grands amateurs de ragots en tout genre, ils colportent des rumeurs, vraies ou fausses, sur les élèves, les professeurs ou la direction.
Ce sont deux véritables salopards, collectionnant les punitions et les conseils de discipline. Seul ce brave Phil semble les apprécier. Leur comportement, souvent lourdingue, permet néanmoins quelques fantaisies scénaristiques, dans la lignée des blagues potaches vues dans les Sous Doués. Ainsi, Zikowsky (Benjamin Tribes) et Roussel (Jérémy Wulc) sont là pour remuer la merde et mettre un peu de bordel dans l’établissement bourgeois dirigé par Monsieur Gautrat.
« Moi, j’aimais le fait d’être un peu en décalage avec les autres, d’être toujours avec Ben, et de faire pas mal de conneries »
Wulc se souvient avec nostalgie de cette époque : « Nous tournions studio 233 ! Mais j’ai adoré cette période de ma vie, on a rigolé pendant plus de huit mois ! Vraiment un très bon souvenir. On commençait tôt, on finissait tard ! Mais toujours dans la bonne ambiance. C’était un peu ma famille de l’époque ! »
Pourtant, au départ, le duo n’était pas vraiment important dans la trame de la série : « On a pas eu le scénario tout de suite. On a dû l’avoir quelques jours avant. Dans le premier numéro, Benjamin et moi nous n’y sommes pas ! On a cru vraiment qu’on allait avoir un rôle minuscule dans la série. Mais petit à petit, les auteurs nous ont donné beaucoup de choses à faire. » Et quelles choses ! Le tandem a fait les 400 coups, à l’image de leurs personnages dans la série : « Ah, je me souviens des fous rire, Benjamin qui se coupe un doigt pendant un tournage, les répétitions pour trouver des gags. Mais la meilleure chose quand même, c’est d’avoir rencontré Benjamin, Gregory et Alexandra sur le tournage. Moi, j’aimais le fait d’être un peu en décalage avec les autres, d’être toujours avec Ben, et de faire pas mal de conneries. »
Aujourd’hui, Jérémy Wulc est devenu scénariste pour des pièces de théâtre et le biographe français officiel des Cure ! [14] Déjà, on pouvait lire dans la presse de l’époque que Wulc était fan de la bande de Robert Smith. On a en outre la confirmation que sa coupe de cheveux arborée dans la « Philo » est bien en référence à la célèbre touffe du chanteur des Cure. Mais surtout, Jérémy a fait un retour remarqué dans les Mystères de l’Amour, d’abord sous la forme d’une pige, puis dans un second rôle de flic. Quant à Benjamin Tribes, il continue discrètement de tourner, tout en militant pour les droits des gays.
Enfin, reste à dire un mot sur Dorothée Pousséo, la blonde albinos, rebaptisée à cette occasion Dolly car personne chez AB ne pouvait se présenter avec un tel nom. Elle joue Bernadette, une élève qui a quitté le lycée pour travailler dans un magasin de chaussures, ce qui permet au passage d’introduire quelques scènes de fétichisme de pied chères à Jean-Luc Azoulay.
Peu présent, son personnage a au moins le mérite d’introduire la thématique du monde du travail dans la série. Elle confie alors à ses anciens camarades (ou directement à Phil) que son patron lui fait des avances, ou que des clients fétichistes des pieds (JLA ?) viennent l’ennuyer au magasin. Les galères de la jeune fille montrent ainsi que quitter le lycée prématurément n’est pas si cool. Bernadette est un peu la caution sociale de la « Philo », qui avait pour mission de concurrencer Seconde B (qui se voulait la série qui raconte les galères de lycéens de banlieues). Toutefois, peu présente dans les intrigues, elle est le genre de personnage embarrassant dont on ne sait que faire.
« Je me rappelle surtout que je cachais mes textes un peu partout sur le décor parce que j’avais pas eu le temps de les apprendre ! »
Très sympathique néanmoins, la comédienne revient sur son personnage : « J’ai été choisie pour le rôle de Bernadette en passant un casting. J’étais de loin la plus jeune de tous car j’avais à peine seize ans. J’ai découvert le scénario le veille du premier jour de tournage car on avait toujours les textes au dernier moment, donc on peut pas dire que j’ai accepté la série à cause du scénar ! J’aimais bien mon rôle parce qu’elle était mature et dans la vie active. J’étais supposée avoir 18 ans alors que j’en avais que 16 et les autres comédiens étaient supposés en avoir 16 alors qu’ils avaient tous entre 22 et 28 ans ! L’ambiance était très sympa et on s’entendait tous très bien. Y avait pas de clan. Les critiques dans la presse ne m’ont pas gênée car je les ai même pas lues ! En fait, je passais mon bac en même temps et j’avais d’autres tournages plus intéressants et surtout je n’étais qu’un rôle secondaire ! Comme anecdote je me rappelle surtout que je cachais mes textes un peu partout sur le décor parce que j’avais pas eu le temps de les apprendre ! »
L’univers AB et la philosophie, le rendez-vous manqué
Le tournage de la Philo Selon Philippe semble avoir créé des liens solides entre une bonne partie des comédiens. Beaucoup sont restés amis et nostalgiques de cette époque. La série a fortement marqué le public, qui se souvient encore aujourd’hui de ses têtes d’affiches. Arnaud Riverain le confirme, lui qui ne semble pas du tout regretter son ancienne vie de petite vedette de la télévision : « On me reconnaît encore parfois mais nettement moins qu’au tout début et heureusement. Cette expérience m’a permis de me rendre à quel point il devient impossible d’avoir « une vie normale » quand on est à la télévision. En effet, alors que je n’étais pas un grand acteur et même un mauvais « sitcomédien », il y avait toujours quelque fans en bas de chez moi. Alors imaginez quand vous être un véritable acteur connu. Vous ne pouvez plus faire un pas dehors. »
Même son de cloche pour Aurélie Anger : « Aujourd’hui encore je ne passe pas une semaine sans qu’on me reconnaisse, c’est touchant. » Enfin Yannick Debain, pourtant toujours actif dans le métier, est encore reconnu à travers son personnage de Phil : « Oui de temps en temps on me reconnaît, et j’essaie (sic) d’être agréable le plus souvent possible. Les gens sont d’ailleurs toujours très sympathiques. Je vous conseille de venir me voir au théâtre, le théâtre aussi c’est agréable et vivant. »
Sitcom à jamais culte dans l’histoire d’AB Productions. Voilà comment définir le statut de la Philo Selon Philippe. Malgré tout un ensemble de défaut, la sitcom a ses qualités. Sa rediffusion en 2007, sur une chaîne du service public (France 4), semble en être la preuve. Une sitcom qui mérite une vraie réhabilitation, même si elle n’a pas connu le succès populaire d’Hélène et les Garçons ou des Années Fac. Une sitcom qui a eu le mérite d’offrir un concept original et de mettre en lumière une bande de comédiens attachants.
« L’aspect philosophique est bâclé, caricatural et le plus souvent d’un ridicule à faire pâlir le premier Bernard Henry-Lévy venu »
Certes, la rencontre entre l’univers AB et la philosophie est aussi celle d’un rendez-vous manqué. L’aspect philosophique est bâclé, caricatural et le plus souvent d’un ridicule à faire pâlir le premier Bernard Henry-Lévy venu. En outre, AB n’a jamais fait dans le réalisme social, et les lycéens de la sitcom ne font pas exceptions. Ils n’ont bien sûr pas grand chose à voir avec la réalité de la jeunesse des années 90. La « Philo » souffre sans doute de sa continuité avec l’esprit sitcoms AB (rires enregistrés, décors, comédiens récurrents) et du recyclage permanent des scénarios des sitcoms précédentes : la secte new wave, l’arnaqueur, l’accident de voiture…etc.
En guise de conclusion, on peut citer une phrase Bertrand Russel, qui résume peut-être le mieux l’œuvre de Philippe Daubigné : « Les hommes naissent ignorants et non stupides. C’est l’éducation qui les rend stupides. »
1- Le lycée et la fac y sont uniquement représentés par des couloirs ou par un hall. Ce sont principalement des lieux de passages, tandis que dans la « Philo », la classe est le décor central, de même que la salle des profs.
2- AB Productions lance la sitcom « philo », Le Monde, 17/09/1995.
3- Tous les entretiens des comédiens de la série ont été réalisés par les sitcomologues en 2009.
4- ILLICH Ivan, Une société sans école, Seuil, 1971.
5- STIRNER Max, Le faux principe de notre éducation, 1842.
6- PIAGET Jean, De la pédagogie, Éditions Odile Jacob, 1988.
7- DE CERTEAU Michel, La Prise de parole. Et autres écrits politiques, Seuil, Paris, 1994.
8- FERRY Luc, Lettres à tous ceux qui aiment l’école avec Xavier Darcos et Claudie Haigneré, 2003
9- Pour une analyse de l’alcoolisme de Muriel, lire notre article sur l’alcoolisme et AB.
10- Le site de fans d’Olivier Galfione : www.oliviergalfione.fr/
11-Arnaud Riverain est une petite star du magasine Capital et du CAC40.
12-« Faire une Manuela », dans le jargon sitcomologique, consiste à user de la naïveté d’une jeune fille pour lui faire accepter de poser pour des photos de charme. Voir notre article sur Manuela Lopez.
13- REMBLIER Fabien, Les Années Sitcom, Mediacom, 2006.
14- WULC Jérémy, The Cure my dream come true , Camion blanc, 2009.
Discussion2 commentaires
Je me régale avec votre site. J’aime ce mélange de langages. Sophie, je ne trouve pas grand chose à part orthophoniste.
Je me régale avec votre site. J’aime le mélange de langages.