Au bout de 173 épisodes des Années Fac, Jean-Luc Azoulay et son escouade de scénaristes semblent s’être dit qu’il était temps de régler quelques comptes avec leurs chers comédiens. Nous sommes alors en 1997, année du grand déclin des « années sitcoms ». Dans cette ambiance morose, le relâchement est total. Les épisodes des Années Fac finissent par devenir des sortes de défouloir pour leurs créateurs.
On avait déjà pu l’apercevoir dans un reportage de l’équipe de « Ça se discute » sur les coulisses de la sitcom : les stars du show (Anthony, Christophe et Virginie en tête) n’en font plus qu’à leur tête sur les tournages. De quoi ainsi susciter cet épisode mémorable, « Une mauvaise presse », histoire de dégonfler quelques melons. Il faut néanmoins avoir à l’esprit que ce vicieux procédé n’est pas vraiment neuf dans l’écriture des sitcoms AB. Car très vite, Jean-Luc Azoulay semble avoir pris un malin plaisir à distiller messages et banderilles à ses collègues, confrères ou encore aux méchants critiques.
Surtout, le producteur n’est clairement pas le dernier à se moquer de ses propres sitcoms. On ne compte plus les fois où l’on peut noter la fameuse réplique « Oh mais j’ai dû rater un épisode moi », accompagnée d’ironiques rires enregistrés.
On peut en outre entendre régulièrement les divers personnages affirmer que « la télé, c’est nul », ou que « Amour Toujours », la série de Monsieur Girard (par extenso celle d’Azoulay), est « ringarde », son producteur (Berdoulay, notez le jeu de mots – amusante contraction de Berda-Azoulay – ndlr) considérant que le scénariste est « incapable de raconter la vraie vie des jeunes. » De quoi forcément penser à toutes les critiques qui pleuvent sur les sitcoms AB depuis leur création.
« Des play-boys de carton-pâte arpentent les abords de la fac, ils s’appellent Luc, Anthony, Jérôme ou Daniel. Ils ont en commun l’étroitesse de leur cerveau et le ridicule de leurs petites histoires. Moulés dans leurs jeans trop serrés, ils se retrouvent à la cafète ou à la salle de sport, dans laquelle paradent deux pseudo professeurs qui pensent plus à draguer les minettes qu’à donner leurs cours »
Cet épisode des Années Fac dépasse toutefois ces petites allusions. Une nouvelle étape est franchie puisque le scénario attaque frontalement la médiocrité de la sitcom, ainsi que les personnages incarnés par les vedettes AB (et cerise sur le gâteau, leur physique). Comme d’habitude dans les Années Fac, c’est le pseudo « Journal de la Fac » qui est l’épicentre de l’intrigue.
La « méchante » Sandra (Aurore Brunel), devenue rédactrice en chef suite à un « coup d’État » orchestré de main de maître par le fourbe Louis-Philippe, utilise sciemment le journal pour régler ses comptes avec le reste de la petite bande. Recrutée dans un premier temps par Virginie (alors directrice – une grosse blague soit dit en passant) en tant qu’animatrice d’une vulgaire « rubrique des potins », Sandra transforme le journal en petit « Closer » de l’univers AB.
Elle s’amuse alors à diffuser rumeurs et ragots sur la petite bande, nonobstant le fait que la plupart ne sont même pas étudiants ! Dans cet épisode, le Journal sort « l’article de trop », un condensé de toutes les saloperies possibles sur les héros des Années Fac. C’est la fameuse « mauvaise presse » de cet épisode mythique.
Se sentant exclue et humiliée après avoir couché avec la totalité des garçons (à la notable exception d’Ary, bien évidemment), Sandra est donc la coupable toute désignée de cette « affaire ». Pour les héros des Années Fac, il n’y a qu’elle pour avoir osé écrire un tel concentré de méchanceté.
C’est Anthony qui découvre le pot aux roses. Il s’empresse dans la foulée de le montrer à ses amis, Virginie et Luc. Si les héros des Années Fac ont l’habitude des horreurs proférées par cette garce de Sandra, cette fois, la coupe est pleine. Extrait : « Des play-boys de carton-pâte arpentent les abords de la fac, ils s’appellent Luc, Anthony, Jérôme ou Daniel. Ils ont en commun l’étroitesse de leur cerveau et le ridicule de leurs petites histoires. Moulés dans leurs jeans trop serrés, ils se retrouvent à la cafète ou à la salle de sport, dans laquelle paradent deux pseudo professeurs qui pensent plus à draguer les minettes qu’à donner leurs cours. »
« On ne sait pas ce qu’il fait mais son air d’abruti lui colle à la peau. Si la bêtise était transformée en être humain, elle s’appellerait Ary »
Ou comment réaliser un résumé aussi parfait de ce qu’est la sitcom des Années Fac ! Les bras nous en tombent quand on découvre la suite de l’article choc, car chaque personnage en prend pour son grade :
Suzy et Suzon : « Deux jumelles sorties tout droit de la famille Adams, prêtes à tout pour réussir »
Jérôme : « Le roi des crétins »
Ary : « On ne sait pas ce qu’il fait mais son air d’abruti lui colle à la peau. Si la bêtise était transformée en être humain, elle s’appellerait Ary »
Paul : « Le petit toutou à sa mémère »
« Ils vivent leurs petites histoires ringardes à l’Alfredo’s Café ou au Nelly’s, ils se draguent, se quittent, se déchirent comme des collégiens »
Il est clair ici que les scénaristes se sont fait plaisir. De cette démarche nihiliste, on retiendra ce passage, édifiant car terriblement véridique : « Ils vivent leurs petites histoires ringardes à l’Alfredo’s Café ou au Nelly’s, ils se draguent, se quittent, se déchirent comme des collégiens. »
On le voit, JLA reprend quasiment mots pour mots les critiques adressées envers ses sitcoms. Car les Années Fac, c’est exactement ça, ou presque : des marivaudages dignes de collégiens. Et surtout pas le quotidien de vrais étudiants.
Les « Années Fuck », c’est en effet une sorte de club échangiste qui ne s’assume pas, une série dans laquelle les protagonistes couchent les uns avec les autres. Une sorte de psychodrame interminable dont on ne semble pas voir pas le bout.
C’est plus particulièrement vrai pour le binôme Luc et Anthony, qui se fait violemment allumer. Et pour cause, si Sandra a forcément de quoi leur en vouloir, la production aussi. On sait depuis quelques années que les deux enfants terribles d’AB ont eu un comportement détestable sur les tournages, dénoncé un temps par Camille Raymond et Fabien Remblier. Guerre de clans, bagarres, insultes : la vie n’a pas été rose dans la saga Premiers Baisers.
« Luc et Anthony, deux garçons qui se disent intelligents mais qui sont trop faibles pour progresser, même dans le monde du sport »
C’est le collègue de la salle de sport, le très culte Martial, qui lit un passage édifiant de l’article du Journal à propos de Luc et Anthony : « Bon elle est un peu dure la journaliste. Bien sur je savais que vous n’étiez pas très cultivés, un peu radins, mais à ce point-là !! Il y a un truc par contre que j’arrive pas à comprendre, c’est quand la journaliste écrit : deux garçons qui se disent intelligents mais qui sont trop faibles pour progresser, même dans le monde du sport. » Une saillie d’autant plus amusante quand on sait que Christophe Rippert (Luc) et Anthony Dupray (Anthony) sont eux-mêmes des sportifs ratés, le premier dans le domaine du tennis, l’autre dans celui des sports de combat.
Si Martial est trop limité pour saisir l’ironie du propos, ce n’est pas le cas des deux loustics, qui ont parfaitement saisi le message. Virginie préfère ne pas répliquer à ce « torchon » (« J’ai pas envie de rentrer dans leur jeu, c’est tout », précise-t-elle), Anthony manifeste ostensiblement son désir de vengeance : « T’es trop gentille Virginie, ça te perdra ».
Le « champion de karaté » n’est pas un bisounours et va mettre son plan à exécution. Sans prévenir ses potes, il part directement à la rencontre de Sandra, puis la ramène dans son baisodrome. Son idée ? Pour une fois, ne pas frapper son ennemi. Non, Anthony est déterminé à prendre sa revanche en couchant avec elle, tout simplement (!)
« Sandra se rend alors compte qu’elle s’est fait doublement baiser dans l’histoire »
Le séducteur-macho des Années Fac parvient sans grosse difficulté (juste une petite gifle à signaler) à séduire Sandra, irrésistiblement attirée par ce Marlon Brando du pauvre. Toutefois, Anthony va vite déchanter quand il se rend compte que Sandra n’y est pour rien dans cette histoire. Certes, elle admet que c’est bien elle qui est l’auteur de l’article à scandale. Mais elle jure qu’elle n’est en rien la responsable de sa diffusion dans le Journal de la Fac…
Car oui, immense coup de théâtre : ce n’est pas Sandra, mais ce bon vieux Louis-Philippe qui a décidé de son propre chef de publier l’article ! Sandra se rend alors compte qu’elle s’est fait doublement « baiser » dans l’histoire. Anthony a beau être désolé, il sait qu’elle a de toute façon pris son pied avec lui. Au final, c’est finalement du gagnant-gagnant pour les deux parties : lui a ses vidés ses couilles pleines, elle a pris pour une fois son pied.
Quant aux autres héros de la sitcom, chacun réagit avec ses moyens. On ne sera pas surpris du comportement de Jérôme, qui fait bien évidemment profil bas. Sa seule réaction est de baisser la tête et se morfondre dans son coin. Un vrai mollusque.
« Un figurant va jusqu’à s’approcher des Jumelles pour voir si elles ressemblent vraiment à la famille Adams, prêtes à tout pour réussir »
Les Jumelles mettent un certain temps à comprendre pourquoi tous les connards de clients de la cafète se moquent d’elles. Un figurant va jusqu’à s’approcher des deux freaks pour voir « si elles ressemblent vraiment à la famille Adams », allant jusqu’à leur demander si elles sont effectivement « prêtes à tout pour réussir », sous-entendant ainsi cette drôle d’idée que les Jumelles puissent avoir une quelconque forme de sexualité.
Pour le « cas » Ary, c’est une double ration de lose qui est proposée. Le nerd est en effet ravi de la situation, parce que même si les filles se foutent ouvertement de sa gueule, il se console en expliquant qu’au moins, elles le remarquent. On peut voir ici à quel point ce personnage est pathétique…
Il fallait bien un « happy end » malgré tout. Les héros des Années Fac ne peuvent pas en rester là. Louis-Philippe devient alors leur ennemi numéro un. Pour se « venger », le plan des Jumelles consiste alors à le « plumer », histoire de l’humilier publiquement à la faculté. Une réponse plutôt puérile qui ne doit pas nous étonner considérant le niveau mental des « Ugly twins ».
Finalement, on voit que que le monde avant les réseaux sociaux possédait ses propres « méthodes » de vendetta. Aujourd’hui, Sandra aurait sûrement cherché le buzz avec un blog à la manière de la série « Gossip Girl », histoire de salir la réputation de ses petites camarades.
Quant à la petite bande, elle aurait certainement préféré chouiner sur facebook, préférant se lamenter de ces méchants qui pratiquent le harcèlement virtuel. Génération chochotte comme le dit si bien Bret Easton Ellis.
« Mon style était kitchissime. C’était une cata, je sais. Merci de me le rappeler »
Ces dernières années, nous avions retrouvé la trace du comédien qui incarnait à merveille ce salaud de Louis-Philippe. Un certain Julien Thevenet, qui s’est avéré plein d’humour et de dérision vis-à-vis de son modeste guest au sein des Années Fac : « Mon style était kitchissime. C’était une cata, je sais. Merci de me le rappeler ! »
Il faut dire que Louis-Philippe est un personnage plutôt singulier dans l’univers AB. De part son prénom composé, ses fringues, sa voix et ses manières, il est l’incarnation du « bourge » insupportable et manipulateur. En tant que « patron », il se comporte comme un petit monarque, tirant les ficelles du Journal de la Fac, et pas que les ficelles. Louis-Philippe profite en effet de son statut pour coucher avec des nanas, offrant ainsi le poste de rédac chef à Sandra en échange de petites gâteries d’ordre sexuel.
« J’ai encore un léger goût de plumes dans la bouche »
Mais « l’affaire de l’article » provoque une cassure définitive entre Sandra et Louis-Philippe. Ce dernier perd le peu de respect qu’elle lui portait encore. Sandra finira par le jeter violemment, et abandonnera par la même occasion ce maudit poste au Journal. Dans la plus pure tradition AB, Sandra quitte ses habits de garce manipulatrice pour se métamorphoser en « gentille », finissant par devenir la petite amie officielle d’Anthony. Moche.
Quant à l’interprète de Louis-Philippe, il reprendra sa « vie normale », loin des projecteurs des tournages de sitcom. Son rôle dans une sitcom AB fut pour lui comme une casserole de jeunesse, pratiquement effacée de sa mémoire, qu’il évoque aujourd’hui avec tendresse : « Ah mes vieux démons. Merci pour le souvenir, ça m’a fait beaucoup rire, et là, pour le coup je ne risque pas d’oublier cette expérience avant longtemps… D’ailleurs, j’ai encore un léger goût de plumes dans la bouche ! »
DiscussionUn commentaire
🤣