Le capital est du travail volé.
Auguste Blanqui.
Le monde merveilleux d’AB, vitrine de super U du capitalisme glorieux que le Grand Patron (aka Dieu aka JLA aka Le Grand Tout) a fait clignoter sans vergogne sous les mirettes des pays d’ex-URSS à peine libérés de la VERMINE COMMUNISTE, fait l’apologie de la réussite individuelle, d’un système bienveillant où l’effort est toujours récompensé et où l’ascension sociale n’est pas un mythe. Encore faut-il la mériter.
Panorama social : bourgeoisie, prolétariat, lumpenprolétariat
Avant de causer boulot et (dictature du) prolétariat à Bonheur city, il convient de détailler les différentes classes, et la façon dont s’organise et se répartit le travail au sens large au sein de ces catégories.
La petite bourgeoisie
La « classe moyenne », celle dont sont issus la plupart des personnages. C’est celle qui a un pouvoir d’achat assez élevé sans non plus pouvoir prétendre se torcher sur la gueule de Pascal (pour les plus jeunes : pas le Grand Frère, celui qui avait sa ganache sur les biftons de 500 francs), un pavillon de banlieue et une Citroën CX dans le garage.
« Les Girard, avec deux salaires et des boulots plutôt valorisants, ont des revenus aussi confortables que leur canapé moche »
Néanmoins, même au sein de cette fameuse classe moyenne fictive, il y a quelques menues disparités : Annette, par exemple, semble moins privilégiée que les Girard. Certaines intrigues reposent sur le départ inévitable du « têtard à hublot » qui doit retourner à Montélimar pour des raisons pécuniaires. Ou alors ses parents (commerçants) sont blindés d’oseille et ils ont acheté leur tranquillité (et surtout celle de leurs oreilles) au prix fort pour que les Girard gardent leur insupportable gamine. Théorie à explorer.
Les Girard, parlons-en : avec deux salaires et des boulots plutôt valorisants, (scénariste pour la tv et directrice commerciale-ou un truc approchant) ils ont des revenus aussi confortables que leur canapé moche. Madame Girard, lâfâme moderne qui conjugue-maternité-et-vie-professionnelle-mais sans être pour autant une de ces mégères féministes castratrices aux aisselles velues qu’abhorre JLA- travaille dur et ne compte pas ses heures. Les 35 heures c’est pour les faibles, prends ça dans les dents Martine Aubry.
Mais attention, Marie reste une lâfâme, du coup c’est bien qu’elle ramène de la thune au ménage et prenne le temps d’éplucher les carottes en rentrant, mais faudrait voir à pas faire trop de zèle, parce que ça nuit à l’équilibre familial. Annette lui reproche régulièrement l’abandon de ce pauvre Monsieur Girard et les trop longues heures passées avec Xavier, son boss. (Avec le soupçon d’infidélité qui va bien.)
Monsieur Girard, lui, incarne le « boulot de rêve » : taffer de chez soi, dans le domaine « artistique », faire rêver les gens. Une triple mise en abyme : on rêve devant notre télé de faire rêver le public comme le fait ce brave Roger avec sa série « Amour Toujours ». On rêve de se faire exploiter par JLA quoi. Hashtag #LifeGoals.
« Monsieur Girard dépend du bon-vouloir d’un patron, le tyrannique Monsieur Berdoulay, qui le presse comme un citron et lui fait pisser du scénario jusqu’à la cystite »
De plus, cette disponibilité permet à ce même Roger d’être présent pour les « jeunes » qui gravitent autour de lui. Cette relative détente pourrait être considérée comme un résidu de ses années soixante-huitardes. Mais attention, le père d’Hélène, Justine et Chloé n’est pas indépendant pour autant : il dépend du bon-vouloir d’un patron, le tyrannique Monsieur Berdoulay, qui le presse comme un citron et lui fait pisser du scénario jusqu’à la cystite.
Évidemment, Roger, en tant que figure tutélaire, se doit de montrer le bon exemple : va-t-il se foutre en grève, appeler son syndicat pour séquestrer Monsieur Berdoulay tout en faisant cramer des pneus devant ses bureaux, pneus sur lesquels les Musclés feront griller des merguez cégétistes tout en entonnant l’Internationale ?
Ben non, Monsieur Girard en homme zélé se saigne pour son patron, sa chaîne de tv, les publicitaires, bref se fait la carpette du capitalisme avec le généreux secours des potes de sa filles (qui savent, Annette en tête, qu’un licenciement ferait considérablement chuter leur train de vie, parasites qu’ils sont à squatter les Girard à tour de rôle). Et pourtant, faut avouer que « Allez hop c’est la lutte finale boum boum groupons-nous et tant qu’y a de la braise c’est pas fini crac crac l’internationale sera le genre humain gouzi gouza » ça aurait eu de la gueule (Henri Krasucki aurait kiffé).
« Dans le Miel et les Abeilles, les protagonistes appartiennent clairement à la haute bourgeoisie, mais une haute bourgeoisie fantasmée par JLA : une espèce de reliquat du XIXe siècle où cette classe émergente a dégagé l’aristocratie tout en s’en appropriant les codes »
Toute la famille étendue (tous les parents/adultes Girard) occupe des postes « haut-placés » : Toitoine, le père de Lola, est un grand journaliste, Élisabeth (Un homme à domicile) est médecin, Agnès (Les Garçons de la Plage) possède un club de vacances, et puis bon, y’a Tonton Framboisier qui branle rien mais il est musicien de Dorothée puis personnel navigant et dans son monde parallèle payer le loyer à la fin du mois, ce doit être le dernier de ses soucis.
En parlant du Miel, ses protagonistes appartiennent clairement à la haute bourgeoisie, mais une haute bourgeoisie fantasmée par JLA : une espèce de reliquat du XIXe siècle où cette classe émergente a dégagé l’aristocratie – c’est-à-dire, pour aller vite, les riches par hérédité, qui n’ont pas à travailler pour vivre – tout en s’en appropriant les codes (larbins, meubles luxueux- l’article Wikipédia consacré à la série mentionne « des Meubles de style Louis Philippe. » C’est autre chose que les clic-clac Conforama des prolos du style Luc & Anthony ça ma bonne dame.)
Des « parvenus », ceux que Gustave Flaubert dégueule à longueur de romans, mais qui sont, dans la série, des personnes fort sympathiques, bien que Johnny leur jette de temps en temps à la tronche leurs tares petite-bourgeoises. Lola est copine avec une certaine Pauline, « fille de ministre », ce qui sous-entend que ces Girard-là évoluent dans des sphères encore plus huppées que celles des Girard de Premiers Baisers.
« Antoine Girard pourrait travailler pour un Figaro-like : à plusieurs reprises, dans les scénarios, il est sous-entendu qu’il travaille pour un journal orienté à droite, et l’on imagine aisément qu’il pourrait s’agir du Figaro »
Le triomphe de la bourgeoisie, toujours au XIXe siècle, s’explique aussi par son entrée en politique, sa présence dans les journaux – toujours grâce à Wikipédia, on apprend qu’Antoine pourrait travailler pour un Figaro-like : À plusieurs reprises, dans les scénarios, il est sous-entendu qu’il travaille pour un journal orienté à droite, et l’on imagine aisément qu’il pourrait s’agir du Figaro. Par exemple, lors d’un dîner chez les Garnier, avec le patron du journal et le rédacteur en chef, un incident se passe dans le jardin, et le premier dit au second : »Même dans les quartiers bourgeois, il y a de plus en plus de problèmes d’insécurité. Il va falloir écrire un article sur le sujet ». [source : le wikipédia du Miel et les Abeilles]
L’affreux Anatole, l’oncle de Lola, a aussi un boulot haut-placé, et les compagnes de Toitoine, bien plus jeunes que lui, (un autre signe de réussite sociale à Bonheur City) ont également des tafs qui rapportent. En clair, pas de trois-huit à l’usine, de burn-out hospitalier ou d’escarres au cul contractés sur les chaises de bureau dans un clapier de la Défense chez les joyeux drilles du Miel & les Abeilles.
Les prétendants de Lola sont des nazes aux yeux du rebelle Johnny en grande partie à cause du balai bourgeois logé dans leurs fondements ; concernant ces dégénérés sortis des recoins les plus sombres de Son Excellence Eugène Rougon, le chantre du rock dégoulinant se transforme en Docteur Pascal (toujours pas le Grand Frère, celui de Zola) et délivre une analyse de haute volée (non) : l’hérédité et la reproduction sociale en font des tarés indignes de son « bébé d’amour », qui a grand besoin de se décoincer. Ce qui passe par une confrontation avec d’autres classes que les carrés Hermès, les brushings de futur PDG et les mocassins à glands (et les glands en mocassin).
Cette première catégorie se caractérise par son étrange capacité à lécher le patronat. Les Xavier, Berdoulay et autres tyrans le plus souvent invisibles se font si bien lustrer le derche qu’ils doivent servir leur caviar dessus.
« Contre le patronat d’AB, on rouspète gentiment « oh la la ton patron il t’en fait voir quand même ! » mais on s’exécute avec un entrain à faire collapser Arlette Laguiller »
Cette servilité s’étend même aux employés plus modestes-les Jumelles ou Gérard des Filles d’à côté se pliant en quatre, comme les serviettes dudit Gérard, afin de satisfaire M. Laplace ou M. Alfredo. On rouspète gentiment « oh la la ton patron il t’en fait voir quand même ! » mais on s’exécute avec un entrain à faire collapser Arlette Laguiller.
La lèche va même bien plus loin-organisations de dîners, réceptions, sorties et autres mondanités- et donne lieu à des rebondissements (par exemple, le fils du patron de Marie dans Premiers Baisers, ou la rencontre entre les patrons d’Antoine et le Freak Show qu’il abrite dans sa baraque des beaux quartiers.)
Les « investisseurs » étrangers bénéficient du même cirage de pompes, avec la petite touche raciste-Michel Leeb – qu’on se souvienne du collègue japonais de Marie et Xavier.
Citons également Agnès Girard, la directrice du club Hawaï (Les Garçons de la plage), dirigeante rigide que le non moins rigide Norbert Michaux sert avec déférence en se frittant à sa place avec la bande de branquignoles qui leur sert d’employés.
« Chez les bourges à Bonheur City, on est obsédé par la domesticité »
Cette très forte conscience hiérarchique s’applique aussi en sens inverse : chez les bourges à Bonheur City, on est obsédé par la domesticité. Avoir un larbin signifie qu’on pèse dans le game. C’est en toute décontraction que Roger suggère de transformer la pauvre Odile en bonniche lors d’un dîner avec le boss, Antoine peut compter sur les fidèles Mélanie puis Eugénie, l’affreux Galfi ajoute la touche coloniale raciste à son personnel de maison, les Watson ont Jean-Paul, un genre d’Alfred Pennyworth Carrouf, et un autre méchant riche se paie les services du majordome azimuté formidablement interprété par Philippe Lavot dans LVDLA.
Ces créatures d’un autre siècle sont évidemment dévouées. On imagine mal Madame Eugénie en mode Le journal d’une femme de chambre. Cette dernière, ainsi que sa prédécesseure, Mélanie, sont les bonniches typiques du Second Empire : élevant les gosses des maîtres, substitut maternel bienveillant, se refourguant la fonction en famille- la domesticité comme horizon indépassable.
La sociabilité se fait sur un mode similaire : Madame Eugénie, courtisée par le pharmacien et le tenancier de bistrot, ne fricote jamais hors de sa classe, toujours en uniforme (sauf cas exceptionnel de délire scénaristique impliquant déguisements) histoire qu’on l’identifie au premier coup d’œil, avec des fringues de Mary Poppins quand elle sort de sa cuisine (manteau-cape, chapeau etc.)
La pauvre Mélanie (pas celle du Miel), soubrette du pervers Galfi, doit aussi se coltiner l’ensemble tablier/coiffe, et les majordomes/hommes de main sont tenus de suer dans leur défroque réglementaire sous le soleil de Love Island.
« Les profs de Bonheur City, Philippe Daubigniais en tête, sont aux antipodes des gauchistes estampillés educ-nat fumant la pipe avec pulls Camif rapiécés aux coudes et collier de barbe qui s’échangent du Lexomil en lousedé en salle des profs derrière un exemplaire de l’Huma »
Enfin, à cette classe dirigeante dont la domination s’exerce plutôt « à l’extérieur » (au bureau, au journal, dans les « affaires » hors-scène, à l’exception de LVDLA où les magouilles et autres expressions de pouvoir font l’objet d’intrigues) s’ajoutent…les fonctionnaires. Les profs de Bonheur City, Philippe Daubigniais en tête, sont aux antipodes des gauchistes estampillés educ-nat fumant la pipe avec pulls Camif rapiécés aux coudes et collier de barbe qui s’échangent du Lexomil en lousedé en salle des profs derrière un exemplaire de l’Huma.
JLA prend le contre-pied de la représentation du prof au bout du rouleau mal payé, lâché par sa direction, emmerdé par ses élèves (de ZEP, forcément), ou encore de la grosse feignasse qui se met en grève histoire d’être bien sûre de ne rien foutre entre deux périodes de vacances scolaires.
Que nenni, à Bonheur City on a la flamme de l’enseignement, la vocation, (même un branlottin de type Caldéro trouve la motivation nécessaire pour venir exercer le plus beau métier du monde, et tant pis si elle se trouve dans son slibard, on va pas chipoter.) Le directeur est un peu ronchon mais pas méchant, et puis surtout, il semblerait qu’agrégé, ça palpe : appart bourgeois en plein Paris, budget gin-tonic pour Mumu, c’est sûr que le Philou doit pas ressentir le besoin de s’assurer à la Maïf et se tape des congés payés autrement plus reluisants que le camping GCU autogéré dans le Vercors où le tournoi de pétanque entre les profs de sciences/humanités détermine qui nettoiera les chiottes.
Les élèves appartiennent aussi à la classe moyenne, pas de « jeune de banlieue », même si certains ont un peu plus de difficultés financières, comme Flo, qui vit avec sa mère célibataire, (la punition éternelle de la femme seule, t’avais qu’à garder ton mari connasse, maintenant : rame) ou Michel Pichard. Le duo infernal Zicowsky-Roussel doit pas rouler sur l’or sans pour autant crever la dalle puisque les deux trublions ont les moyens de parier aux courses.
Les profs du Collège des cœurs brisés évoluant dans un monde à part, on ne peut pas vraiment les inclure dans cette analyse. Disons qu’ils doivent toucher une rémunération suffisante pour alimenter en drogues dures tout un établissement.
Le prolétariat
Le prolétariat abéien n’a rien de commun avec Germinal : c’est même souvent l’objet d’une franche rigolade. Les Garçons de la Plage sont d’affreux beaufs tire-au-flanc et priapiques : grosse marrade. Brigitte est un ressort comique, Norbert Michaux aussi. C’est pas au club Hawaï qu’il faudra aller chercher une charge contre les conditions salariales des clubs de vacances.
« Mais ce n’était pas le tout, il fallait manger, et pour manger, gagner des sous » Jacquou Le Croquant, Eugène Le Roy
L’exploitation devient même rigolote : le pauvre Aristide réquisitionné pour que dalle par Monsieur Albert se fait martyriser par une machine à café récalcitrante, le chemin de croix à rollers des Jumelles est parsemé de gags si hilarants (non) qu’on en oublierait presque les méthodes de M. Alfredo, l’autorité invisible qui a transformé sa cafet’ en stalag. On est invité à rire des déboires du pauvre Gérard, victime consentante de M. Laplace.
A Bonheur city, il n’y a pas de sot métier, et surtout, il n’y a pas de honte à travailler. Pas besoin de s’immoler devant la CAF ou de ramper à Pôle Emploi, un taf vous tombe tout cuit dans le bec dès lors que vous manifestez votre enthousiasme à ne pas crever la dalle, le taux de chômage inexistant en JLAndie doit faire pleurer d’amertume Michel Sapin.
Au vu du jeune âge d’Emmanuel Macron, on se plaît à imaginer que c’est aux Luc, Annette, Adel et autres jeunes de bonne volonté qu’il pensait en évoquant l’envie d’entreprendre. Les diplômes ? Facultatifs, quand on a la gniaque. Capital de départ ? Bof, il se trouvera bien un Monsieur Girard sur votre chemin pour vous donner un petit coup de pouce.
« Sa fréquentation de la cafète permet à Luc de frayer avec la classe moyenne + et même de lever de la bourgeoise AOC de type Isa ou Céline »
Dans Premiers Baisers et les Années Fac, pas question de se tirer les crottes de nez en touchant le RSA si on est déscolarisé : Luc donne l’exemple en travaillant au Giga-store, ainsi que son collègue Joël arrivé plus tard dans la série. Le Rip’ n’est pas mis sur la touche pour autant, bien au contraire, sa fréquentation de la cafète lui permettant de frayer avec la classe moyenne + et même de lever de la bourgeoise AOC de type Isa ou Céline.
C’est l’opposé de François, qui préfère mettre au point des plans foireux ou soutirer de la thune à la trop gentille Odile plutôt que de se trouver un petit boulot et gagner son argent de poche. Jérôme semble quand même galérer un peu – il emprunte de l’argent à François (enfin à Odile), Justine lui fait des cadeaux – et il est étonnant qu’il n’ait jamais envisagé de louer sa turne à l’heure au vu de sa fréquentation par ses amis. Malgré tout, il a « l’excuse » d’être toujours scolarisé et un bon élève.
Ce qui n’est pas le cas d’Annette, qui après son échec au bac, doit urgemment trouver du taf. Le duo de star-fuckers se forme aussi grâce au monde du travail : après le bac, Anthony décide de lancer son paquet dans la vie active, rejoignant ainsi Luc du côté des besogneux qui n’ont ni bourse d’étude ni parents blindés.
S’entassant alors dans un baisodrome dont l’exiguïté, en plus d’être l’objet de nombreux gags, signifie bien leur appartenance prolétarienne, les deux compères se plaignent du salariat (prof de tennis et prof de karaté) alors que contrairement à leur collègue Martial, puis à Ary qui tiendra la buvette de la salle de sport, ils n’en foutent pas une.
« Adel est le quota-mélanine de Pour Être libre, qui gagne honnêtement sa croûte, avec une abnégation qui force le respect, et qui sera récompensée puisque ce n’est qu’un job transitoire avant d’accomplir son rêve »
Ce qui n’est pas le cas de l’industrieux Adel, archétype du jeune Arabe-de-banlieue qui se doit d’être exemplaire afin de ne pas effrayer Madame Michu. Commis garagiste d’un autre Monsieur Laplace, patron débonnaire celui-ci, le quota-mélanine de Pour Être libre gagne honnêtement sa croûte, avec une abnégation qui force le respect, et qui sera récompensée puisque ce n’est qu’un job transitoire avant d’accomplir son rêve.
Il en va de même pour les mannequins (Lynda, Manuela…) arrivées « par hasard » (on y croit) dans le mannequinat, souvent par cooptation, mais qui « travaillent dur » et font « beaucoup de sacrifices » en contrepartie d’un métier de rêve. De temps à autres, les mannequins déjà installées font profiter un peu leurs potes moins chanceux-ses de leur monde glamour en les rencardant à l’occasion, mais bien vite, « il faut retourner sur terre », car il y a beaucoup d’appelé-es et peu d’élus.
Même topo pour les apprentis-comédiens de l’École des Passions : avant de brûler les planches, il faudra avaler quelques couleuvres (mais ne jamais au grand jamais vendre son âme, plutôt bouffer des pâtes dès le 5 du mois que de souiller son intégrité artistique.)
« Les moins nantis de Bonheur City ne se font pas forcément une place au soleil en se tirant simplement les doigts du cul »
Parallèlement à ce prolétariat faisant office de caution « réaliste », il y a le prolétariat de la lose ; le cynisme de JLA se profile derrière ces mises en scène d’une méritocratie qui a piscine dès qu’il s’agit des « losers » ou des freaks. Les moins nantis de Bonheur City ne se font pas forcément une place au soleil en se tirant simplement les doigts du cul.
Prenons le pauvre Daniel, qui en voit des vertes et des pas mûres : bon étudiant, propre sur lui, gentil tout plein, travailleur (il épluche les petites annonces), sa vie est une série d’échecs. Ary le nerd, pourtant excellent élève, ne tient pas une chaire d’entomologie dans une fac prestigieuse. Après une courte expérience radiophonique qui a dû lui rapporter quelques amitiés cibistes chez des camionneurs en mal d’affection plus que du vrai pognon, il finit serveur de la buvette de la salle de sport. Paye ton CV gratifiant. Les Jumelles sont condamnées à trimer pour M. Alfredo.
Quant à Olivier, le gaz soporifique de la Trilogie, il est passé de pizzaïolo à vendeur d’articles de plongée.
Annette semble aussi adaptée au monde du travail que Philippe Poutou à un dîner du Medef. Ses expériences pro sont plus foireuses les unes que les autres, entre radio, mascotte (accompagnée d’Ary), heureuse propriétaire d’une boutique de fringues qui a certainement dû être saisie par les huissiers, mettre le grappin sur M. Girard semblait la seule opportunité possible de la blondinette.
Et puis il y a Bernadette, une autre blondinette en échec scolaire, qui incarne toute la misère des « petites gens » dans La Philo. Cette jeune vendeuse de chaussures (et dans l’imaginaire collectif des 90’s, vendre des pompes c’est le cliché du taf de merde) subit la double oppression inhérente aux femmes prolos : comme l’a dit Marx, la femme est le prolétaire de l’homme, et la pauvre Bernadette se fait harceler par son vicelard de patron.
Heureusement, Phil & co viendront la délivrer du joug patronal mais elle restera : vendeuse. Ben oui meuf t’as raté tes études et t’es pas un personnage clé, t’espérais quoi, un CDI dans une start-up ? Et encore, il y a plus mal lotie qu’une Bernadette : il y a le lumpenprolétariat d’AB.
Le Lumpenprolétariat
Le Lumpenprolétariat, terme créé par Marx et Engels, désigne littéralement « le prolétariat en guenille », les pauvres (hommes, femmes, enfants) qui cherchent du travail à la journée, en milieu rural ou urbain. Évidemment à Bonheur city on est loin des représentations apocalyptiques des « pauvres mercenaires » (Eugène Le Roy) arpentant la campagne désolée en quête de labeur, des ouvriers battant le pavé en quémandant de l’ouvrage ou des enfants abandonnés descendant à la mine ou turbinant à l’usine pour trois piécettes.
Non, là, le lumpenprolétariat version AB, c’est festif, rien de plus qu’une énième bizarrerie des marginaux peuplant les différentes séries. Les copines successives du gazeux Olivier sont des inadaptées sociales, trop bruyantes, trop fantasques, trop encombrantes, trop vulgaires : leurs tentatives d’intégration via le monde du travail se soldent toujours par un échec.
Taxi la klepto enchaîne les tafs d’un jour, incapable de garder un travail, pareil pour Rosy (et sa sœur Zaza) : leur instabilité professionnelle serait limite de leur faute, car elles sont excentriques, et pour avoir le droit de l’être, faut de la thune, comme une Laly ou une Johanna, sinon tu peux pas te le permettre.
Une autre prolote vient momentanément faire entendre la voix (de poissonnière) du peuple, la glorieuse Carole.
« Carole, c’est la femme populaire telle que la conçoit JLA : une pétroleuse sans (lutte des) classe, une poissarde du faubourg qui se sent pousser des ailes au cul à la moindre promotion sociale »
Carole, c’est la femme populaire telle que la conçoit JLA : une pétroleuse sans (lutte des) classe, une poissarde du faubourg qui se sent pousser des ailes au cul à la moindre promotion sociale. Carole, qui est pourtant une jolie fille conforme aux standards AB (blanche-jeune-mince avec de beaux cheveux et une jolie frimousse) est « enlaidie » par son statut : elle passe son temps à brailler, harcèle ses subalternes et s’est rendue coupable d’une trahison odieuse en faisant virer les jumelles.
La chefaillonne à la botte de M. Alfredo symbolise l’absence totale de solidarité de classe ; y’en a qui se sont fait gicler de la CGT pour moins que ça. Et surtout, Carole répète à l’envi que contrairement au ramassis de bourges qu’elle arrose de jus d’orange à contrecœur, elle, elle en a chié, elle a charbonné dur à l’école de la vie pour en arriver là (« là », rappelons-le, c’est derrière le zinc de la cafet. Si ça c’est le sommet de la pyramide pour Carole, on ose à peine imaginer la fange d’où elle s’est péniblement tirée).
Alors elle va pas se laisser marcher sur les arpions. La carapace mi-Rastignac mi-Régine de la tenancière finira par se fendiller quand elle connaîtra les affres du licenciement et les gentils lui bricoleront un happy end soumis à condition (la métamorphose totale de la Cendrillon du ghetto), lui démontrant que finalement, les bourges sont pas si horribles : réconciliation de classe, youpi tralala, exit Carole qui doit sûrement officier désormais à la grande braderie de Lille entre deux tas de moules.
« Momo reste le loukoum au milieu des croissants au beurre »
Aux antipodes de la bruyante tôlière se dandine l’affable Momo. Le « beur de banlieue » est le Gavroche-Harissa de l’Ecole des Passions : comme le morveux des Misérables, qui est « un gamin des lettres » rapport à son boulot de coursier pour des écrivains et journalistes, le zélé Momo est un homme de théâtre grâce à ses petits boulots. Victor Hugo écrivait à un ouvrier qui lui avait envoyé ses poèmes de rester un ouvrier-poète [1].
Il en va de même pour Momo : madame Arlette découvrant avec ravissement la grande connaissance du théâtre de boulevard du mec, elle l’engage…comme homme à tout faire. On va pas mélanger les torchons et les serviettes non plus.
Momo reste le loukoum au milieu des croissants au beurre, il a pas le droit de rêver d’autre chose que de larbiner pour Madame Arlette ou même ses potes théâtreux lors de l’ouverture de leur crêperie-spectacle. Autre point commun avec Gavroche, Momo crèche partout et nulle part, c’est un homme de la street comme le petit « rentre dans la rue ».
Et surtout, Momo incarne, à l’instar d’Adel, l’arabe Madame-Michu-Proof : dur au taf et bien soumis-il ira même jusqu’à vendre son exotique popotin contre des pots de peinture, toujours pour ses amis. De Gavroche à Fantine il n’y a qu’un pas, que franchira allègrement le double M double O.
Le fantasme du colonisé content de son sort (de merde), philosophant devant son brasero entre deux manutentions payées des clous, assorti de l’option fétichisme orientalo-prolo du jeune mec arabe un peu « caillera » qui fait mouiller la bourgeoisie blanche (hétéro ou gay d’ailleurs).
« La Cour des Miracles made in AB pratique le sabotage du monde d’en haut un peu à la façon de Clopin Trouillefou et sa bande »
Au sein de ce lumpenprolétariat AB, il y a une catégorie assez inclassable : le freak show du Miel. Les Giant Coocoo, Lolo Beebop, Screaming Nadia et autres créatures des bas-fond (littéralement, ils vivent dans les égouts) ne sont pas vraiment des prolétaires vu qu’ils foutent rien-plus exactement, ils sont musiciens de rock, mais c’est pas vraiment un « métier » et pour eux, c’est même un sacerdoce.
La Cour des Miracles made in AB pratique le sabotage du monde d’en haut un peu à la façon de Clopin Trouillefou et sa bande : en parasitant une société qui les rejette. Marie de Maubeuge et Lola vont s’encanailler avec la team choucwoute grâce aux impulsions de Johnny, le voyageur social.
Le gars, dans la lignée du Rodolphe des Mystères de Paris, est en réalité un maxi-bourge qui adopte les mœurs et la dégaine des plus marginaux. Il tente désespérément de se débarrasser de sa particule et des obligations qui vont avec pour être un rocker tout en profitant des bourges (et du pain perdu de Madame Eugénie).
En fait, le pionner du rock dégoulinant est un anar de salon qui peut se permettre de ne rien foutre et rejeter le salariat parce qu’il a déjà du pognon. Il s’entend mieux avec les prolos (Madame Eugénie, Monsieur Emile, Monsieur Albert…) qu’avec ceux de sa classe.
La fin brutale du Miel laisse en suspens le destin de Georges Grandcoin du Toit : est-il retourné dans les égouts avec ses troupes pour fomenter des attentats sonores, telles des Panthères des Batignolles du rock n roll, ou a-t-il remisé sa banane contre une raie sur le côté et la gestion de patrimoine familial ? Le mystère reste entier.
Les mauvais riches
« Les bourgeois nous tuent par la faim ; volons, tuons, dynamitons, tous les moyens sont bons pour nous débarrasser de cette pourriture » Michel Zevaco
A Bonheur City, c’est un peu le pays de Candy, comme dans tous les pays, il y a des méchants et des gentils, et ce dans toutes les strates de la société. On ira donc chercher ailleurs (chez ces marxistes mal peignés de Seconde B, par exemple) la dénonciation d’un système produisant des inégalités.
Il n’est pas inintéressant de constater que le public-cible des séries AB est le même que celui de romans mettant en scène de « mauvais riches » : la jeunesse. En effet, chez la Comtesse de Ségur ou dans Jacquou le Croquant, le méchant riche (le Galfi version rouflaquettes et haut-de-forme ou la Isa en crinoline, pour situer) est une anomalie et ne saurait représenter une classe dans son ensemble. Il se caractérise par :
1) indécent étalage de pognon (c’est souvent d’ailleurs un imposteur, ce pognon a été mal acquis).
2) mépris des moins nantis et des pauvres.
3) moralité plus que douteuse. D’ailleurs, sa méchanceté finit toujours par lui retomber sur la gueule. Soit il crève, soit il devient pauvre, et ça, ça craint.
« Le méchant riche d’AB est dépravé, retors, il abuse de son pouvoir et fait étalage de sa richesse »
A Bonheur City, le méchant riche est dépravé, retors, il abuse de son pouvoir et fait étalage de sa richesse. Isa, la queen bitch de Premiers Baisers, nargue ses congénères en exhibant la thune de Père. Elle fera momentanément basculer Justine du côté obscur de la bourgeoisie, la gentille Juju éblouie par le monde des rallyes et des fins de race.
Délaissant ses amis devenus trop ploucs à ses yeux, Justine se prend pour une marquise, encouragée par une Isa diabolique bien contente de foutre la merde. Ses parents se prêtent au jeu juste pour lui mettre le nez dans son caca, et la morale de tout ça : l’argent ne fait pas le bonheur. Facile à dire quand on en a.
Mais Isa peut compter sur un camarade de classe (dans tous les sens du terme) : son valet Jean-François et sa tête à porter des badges « Les jeunes avec Juppé » avant même que ce soit tendance. Lui aussi issu de la « haute », sa décadence fin-de-siècle le conduit à : être une serpillière masochiste.
D’autres bourgeoises vicieuses (dont la plus mémorable reste Céline) viendront prêter main-forte à la queen, mais les crêpages de chignon sous les serre-tête en velours auront raison des diverses collaborations.
La punition d’Isa viendra d’en bas : Yvan le séducteur à gilet de cuir fait descendre princesse Isa de sa tour d’Ivoire. Plus du genre à ouvrir la portière de la Fuego pour éclairer la banquette arrière post-coïtum que dîner aux chandelles à la Tour d’Argent, le rugueux Don Juan fera d’Isabelle son esclave. Dictature du prolétariat qu’on vous a dit. Dans le même genre, il semblerait que Nathalie soit une petite fille pourrie gâtée.
Sans être aussi explicite qu’Isa, la Méchante d’H&G a sûrement des ronds à gauche car elle propose occasionnellement de dépanner financièrement ses acolytes. Contre des faveurs sexuelles, bien entendu.
La dépravation des riches s’exprime par leur tendance au proxénétisme, dans le plus grand des calmes : Nataloche, mais aussi Eve Watson, les parvenus (Fava, Galfi, Audrey…) et bien sûr, Isa qui n’hésite pas à réclamer des « baisers » (l’équivalent PB du queutage). T’es pauvre ? Vazy fais péter ton cul, et si ça te plaît pas ben…t’avais qu’à pas être pauvre.
« Le méchant riche de Bonheur City exploite la misère sous toutes ses formes, y’a pas de petit profit »
Le méchant riche de Bonheur City exploite la misère sous toutes ses formes, y’a pas de petit profit. Eve, c’est le dark side de la Jeanne bourgeoise, ce qu’elle aurait pu devenir si elle avait pas découvert les joies d’une vie simple et de la défécation à même le sable derrière une cabane en merde séchée.
Complètement « folle », son syndrome de la pauvre petite fille riche prend une ampleur considérable : la tragédie de la haute société et sa supposée perte de valeurs à elle toute seule. Et bien sûr elle incarne le fantasme de la bourgeoise lubrique qui donne son cul aux prolos par désœuvrement. La confrontation de classe par les chlamydiae, merci qui ? Merci JLA.
C’est bien connu, l’argent pourrit les gens. Enfin les gens qui ont des dents qui rayent le parquet et prêts à tout pour réussir. (Les Girard par exemple, ils savent garder la tête froide.) Thomas Fava est l’un des plus fameux parvenus, un nouveau-riche vautré dans la coke, le fric et le Pento. Sa punition (le VIH) est à la hauteur de sa méchanceté. Au moins il ne cache pas son ambition : faire du pognon avec Hélène & co. Tous les parvenus azoulesques veulent pressurer la petite bande, à croire qu’ils se refilent le tuyau d’une poule aux œufs d’or aisément manipulable.
« L’odieux Galfi, le méchant à la dimension post-coloniale »
Évidemment, l’odieux Galfi, dont la richesse à des relents balkanyques, ne manque pas de s’accrocher telle une sangsue en sudation excessive à la joyeuse bande. Persécution des faibles (le pauvre Stéphane dont il menace de prendre les avions, harcèlement des filles, extorsion, chantage…) magouilles en tout genre, le béké en chef de Love Island agite son pognon avec une indécente frénésie.
Une scène magique où il dévore du poulet Picard en se roulant dans ses biftons résume l’ignominie du personnage.
A Bonheur City, ce n’est pas mal d’un point de vue moral d’avoir de l’argent, c’est mal :
1) de l’étaler.
2) de l’acquérir illégalement. (Ce bruit au fond, c’est rien, ce sont juste les Balkany qui s’étouffent de rire.)
Un autre aspect du personnage le rend encore plus détestable : son statut de maître blanc. Bienvenue dans l’imaginaire colonial dégueu où le maître de la plantation convoite sa « n******e de maison ». [2]
Cette dimension est sans doute accidentelle, vu le peu de cas du racisme des scénaristes AB (toujours une faute morale, jamais le produit d’un système, comme l’exploitation des travailleurs). La couleur de peau de Mélanie, la bonniche terrifiée, n’est sans doute pas un choix scénaristique délibéré.
Néanmoins, on ne peut s’empêcher d’avoir des nausées à la vue de cette mise en scène involontaire de l’addition des oppressions : Mélanie est une femme, elle est noire, et elle est pauvre, montrée à la merci d’un homme blanc riche.
Bref, le mauvais riche est fondamentalement malsain, et se retrouve au cœur de scènes-malaises au très fort potentiel gênant. Ce qui lui fait un point commun avec le mauvais pauvre.
Les mauvais pauvres
Le mauvais pauvre est assez rare à Bonheur City. Soit il a dérapé mais trouve la voie de la rédemption en travaillant honnêtement pour les bourges (les clodos de type Phil ou Monsieur Jojo), ou encore, dans le cas du clodo compagnon de cellule de Filip, il est pris en pitié par les personnages (Pour Être Libre) soit c’est un faux pauvre (le punk à chien qui fait la manche dans Premiers Baisers-par désœuvrement).
« Même pour JLA, fustiger ouvertement les feignasses qui l’ont bien cherché et les profiteurs, ça fait un peu trop réac »
Même pour JLA, fustiger ouvertement les feignasses qui l’ont bien cherché et les profiteurs, ça fait un peu trop réac. Et puis il y a Marc Malloy. L’aventurier refuse catégoriquement de bosser. Écrivain dilettante, il vit aux crochets de Daniel son coloc, exploite Madame Bellefeuille, profite de Madame Pichardot.
Le parasite ultime qui finit glorieusement par se taper toutes ses voisines, un projet de vie bien plus prenant et intéressant que de gagner sa vie. Les voisines d’ailleurs, sont d’honnêtes travailleuses qui ont quitté leur confort marital bourgeois pour être indépendantes. Mais finalement, elles retombent dans les bras d’un homme parce que bon, contrairement au mantra de Claire qui secoue énergiquement ses coreligionnaires, « les filles, on a quitté nos maris pour être LIBRES » l’émancipation par le travail (et donc la capacité à assumer ses besoins financiers) ça va bien cinq minutes.
Il faut évoquer aussi la « prostitution » : gagner son argent avec son corps (danse « érotique », strip-tease, cam, photos, et prestations sexuelles) c’est MAL. Les meufs en galère ne doivent pas se « salir » (ou alors seulement à l’usine ou en faisant le ménage, des jobs honnêtes quoi.) Les femmes qui obtiennent « facilement » de l’argent sont systématiquement punies (les photos de Manuela).
Conclusion : bosser à Bonheur City, c’est bien ou pas ? (et en terme de couverture sociale, c’est comment ?)
Ça dépend. Si on est docile, issu-e de cette classe moyenne/sup finalement assez homogène, c’est le bon plan. En revanche, si on veut le Grand Soir, les patrons pendus par les tripes et la chute fracassante du capitalisme, c’est pas l’idéal. La reproduction sociale prime : l’expérience professionnelle insulaire de la bande d’Hélène, extrêmement variée, n’est pas représentative. Ils finiront par s’embourgeoiser comme leurs parents, avec plus de trafiquants de drogues/proxénètes/autres à gérer.
Les « autres classes » n’existent que pour créer des rebondissements basés sur les antagonismes caricaturaux, et délivrer des leçons de morale pas chère. JLA, en faisant rêver les masses avec un monde où le conflit du travail est quasi-inexistant, préserve la paix sociale : « Si les masses ne prennent pas sur la tête quelques romans, elles risquent de nous lancer des pavés » a écrit Terry Eagleton.
On peut l’appliquer au Dieu sitcomologique sans problème.
1- Lettre de Victor Hugo à Savinien Lapointe, 1841 : « Continuez Monsieur, votre double fonction, votre tâche comme ouvrier, votre apostolat comme penseur. Vous parlez au peuple de près, d’autres lui parlent de haut ; votre parole n’est pas la moins efficace… »
2- Rôle explicité par Malcolm X dans son discours Black Power, (1963) et dévolu aux esclaves qui passaient le test du « paper bag »: si la peau de l’esclave était aussi claire/plus claire qu’un sac en papier brun, il ou elle se voyait accorder l’immense privilège de servir à l’intérieur de la maison.
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Article vraiment intéressant. Un passage sur Annette me chiffonne, cependant : « Annette, par exemple, semble moins privilégiée que les Girard. Certaines intrigues reposent sur le départ inévitable du « têtard à hublot » qui doit retourner à Montélimar pour des raisons pécuniaires. Ou alors ses parents (commerçants) sont blindés d’oseille et ils ont acheté leur tranquillité (…) au prix fort pour que les Girard gardent leur insupportable gamine. Théorie à explorer. » Si ma mémoire est bonne, les parents d’Annette se sont installés à Montélimar après avoir gagné au Loto, et c’est pour ça qu’Annette doit vivre chez les Girard.
Vous auriez aussi pu mentionner les personnages d’aristocrates comme Marie de Maubeuge dans « Le Miel… » ou Valériane de la Motte-Picquet dans « Salut les Musclés ». Sans oublier le personnage de Jeanne Garnier, la baroudeuse au passé trouble, qui se fait passer pour une riche héritière à son arrivée dans « Les Vacances de l’amour » (soit le schéma opposé de Johnny du « Miel… », qui est plutôt un riche qui se fait passer pour un pauvre). Et le cas particulier du riche héritier Peter Watson, qui découvrira que son véritable père biologique est un homme d’une condition inférieure (Jean-Paul) …
Rectification : Marie de Maubeuge n’est pas une aristocrate, car son nom de famille est Girard (Maubeuge est sa ville d’origine, comme Quentin de Montargis…).